Sisouan ou lArméno-Cilicie

Հեղինակ

Բաժին

Թեմա

  NERSÈS a le surnom spécial de Lambroun, lieu de sa naissance, comme son grand-oncle paternel, le patriarche S. Nersès, avait celui de Rom-Cla, lieu de sa résidence. Tous deux sont des personnages vénérés par les habitants des inexpugnables forteresses qu'ils rappellent: et si un jour les ruines de ces châteaux doivent disparaître, leur souvenir n'en restera pas moins dans les archives de la postérité, grâce à la mémoire de ces deux illustres patriarches.

Après Grégoire l'Illuminateur et Isaac le Parthe, c'est le Catholicos de Cla qui fut leur égal sur le siége patriarcal; mais comme évêque, notre Lambrounien les surpasse tous, du moins sous la dynastie des Arméno-Ciliciens. A partir de lui, personne ne l'égala dans le haut rang il s'était élevé; et dans toute l'Arménie, personne, dans une vie de quarante-six ans, n'a montré un ensemble de tant de vertus et de mérites [1] .

Nersès naquit de famille noble et de mœurs très pures; il était doué de riches talents très précoces, d'une âme fervente, d'un cœur plein de sagesse et de connaissance dans les sciences théologiques et contemplatives. Versé dans diverses langues et dans les lettres, habile dans l'éloquence et la rhétorique, il a laissé des idées profondes et délicates dans ses homélies et dans ses hymnes, des inspirations divines dans ses Commentaires des Psaumes et de la Messe: des désirs et des implorations ardentes à Jésus, et il serait difficile de trouver dans notre langue, des expressions plus touchantes et plus divinement sublimes.

Pour toutes ces prérogatives et pour d'autres, on lui a très convenablement décerné, le surnom d' Aimable de son vivant même, comme on a donné celui de Chrysostome à Saint Jean d'Antioche, et celui de Gracieux à Saint Nersès de Cla. Je ne sais pas qui a été le premier à lui décerner ce surnom, mais qui que ce soit, qu'il ne reste pas sans récompense devant Dieu ni devant la nation! N'oublions pas qu'avec lui il faudrait aussi louer son illustre élève le Docteur Samuel de Sghévra. Celui-ci l'année 1190, copia du manuscrit original de son maître les Commentaires des Psaumes. Persuadé de la célébrité de Saint Nersès, prévoyant, comme par inspiration, sa grande renommée dans les temps à venir, il a ajouté au commencement du volume l'abrégé de la vie du saint homme, encore dans son vivant, afin qu'il n'y ait, pour celui qui le jugerait dans le progrès des temps, aucun doute sur son origine, sur le lieu de sa naissance et surtout sur la qualité de sa personne. Comme nous ignorons, dit-il, la vie de Moïse de Khorène, de David et de Grégoire de Nareg, «j'ai pensé de rappeler en abrégé sa vie, qui est jusqu'à présent de 38 ans; et nous souhaitons que le Seigneur nous l'accorde encore pour plusieurs années, avec un bon pastorat et une sage surveillance, sur la sainte communauté (de Sghévra) et sur son troupeau de fidèles. Et .... si cet arbre qui est planté au courant des eaux de la sainte écriture, produit par la grâce de Dieu d'autres fruits, que le Seigneur donne de la force à ses disciples plus jeunes, pour recueillir le tout dans un livre, racontant aux postérieurs la continuation de sa vie».

Hélas! les souhaits du pieux biographe ne devaient par se réaliser; car devant le Seigneur, Nersès devait terminer dans peu le cours de sa vie. En effet huit années après il expira dans la force de son âge. Dans cet espace de temps il travailla tant, fit de telles œuvres et laissa tant de glorieux souvenirs, qu'à peu de personnes il fut possible de l'égaler même dans une longue vie. Non seulement Samuel, mais d'autres personnages distingués ont reconnu, dès son enfance, les dons et les grâces sublimes de l'illustre Saint; «et plusieurs d'entre eux se demandaient attentivement, ce que deviendrait plus tard cet enfant?» comme le rapporte un de ses plus chers compagnons, Grégoire de Sghévra, qui, écrivant sept années plus tard le panégyrique du Saint, témoigne, «qu'un de ses intimes et de ses plus fervents amis l'a déjà loué avant lui». Il n'y a aucun de nos personnages des plus illustres qui aient attiré comme lui l'attention, le cœur et la plume des autres hommes durant sa vie et après sa mort. Son nom et sa réputation étaientsi répandus qu'il fut obligé, pour sa justification personnelle, de le confesser devant le roi Léon: «Je jouis, dit-il, d'une bonne réputation chez les Latins, les Grecs et les Syriens, et je demeure en Arménie » [2] .

Ses admirateurs enthousiasmés avaient grandement raison de lui donner ce tribut. Car qui, à l'âge de seize ans, s'est-il élevé à la dignité du sacerdoce aussi dignement que lui? A cet âge il commença à écrire les premiers Commentaires des Saints Livres, qui forment le plus grand mérite de ses ouvrages. Sept années plus tard il fut institué inspecteur, c'est-à-dire archevêque du grand diocèse de Tarsus (1175). Il est aussi distingué, dans les mémoires de ces temps, avec le titre de Docteur universel. Durant l'année suivante, il acheva son incomparable Pastorale; je veux dire les Commentaires de la Messe qui est non seulement la première et la préférable de toutes ses œuvres, mais peut-être le premier parmi tous les écrits de ce genre écrits en arménien. Sous un autre point de vue, ses volumineuses Interprétations des Psaumes, apostillées avec beaucoup de sens, et avec d'abondants et touchants passages, ne sont pas de moindre valeur: il les a écrites à l'âge de 26 à 28 ans (1178-1180); c'est, à vrai dire, l'ouvrage d'un esprit éclairé, d'une haute expérience et d'une âme mystique. De sa part le vieux moine Samuel ne le pouvait autrement comprendre qu'en lui attribuant, après Dieu, «l'assurance d'un savoir et d'une science incompréhensibles». Qui de nos érudits de ce temps, aurait pu composer et prononcer après lui les admirables homélies sur l' Ascension de J. C. et la descente du Saint-Esprit! et au concile national de toute l'Eglise arménienne à Rom-Cla (1179), le fameux discours d'ouverture, l'un de ses chefs d'œuvres! Ce fut alors une preuve palpable non seulement de sa haute éloquence, mais encore de ses grâces angéliques; on croyait entendre une voix surnaturelle. Il était si bien rempli des dons célestes, qu'étant le plus jeune parmi les vieillards vénérés dans le concile, il en devint l'âme, la voix et l'inspirateur, comme nous le verrons encore dans d'autres circonstances.

On est frappé d'étonnement quand on examine ses divers ouvrages qui se montent maintenant à une cinquantaine, grands et petits, soit de sa composition, soit des traductions du latin, du grec et du syrien; sans compter les copies des divers livres saints, ou les annotations et les solutions à la marge des livres [3] . Nous le voyons de nos propres yeux et voici une pièce tirée d'un des manuscrits écrits de sa propre main, de l'ouvrage profondément théologique des Scolies de Saint Cyrille; il y a ajouté en marge des explications et des réflexions lors qu'il n'avait que 21 ou 22 ans.

Lorsque la mort vint surprende Saint Nersès le Gracieux, le premier de nos écrivains du XII e siècle, vers la deuxième moitié de ce même siècle, paraissait notre Nersès de Lambroun. Dans la poésie, ce dernier ne peut pas égaler son prédécesseur, mais dans l'éloquence et dans les sciences théologiques il nous semble qu'il le surpasse par son érudition et par la connaissance de différentes langues et d'autres sujets: et je crois même qu'il excelle sur tous les écrivains nationaux. (p. 91. Fac-simile, tiré du manuscrit autographe de Saint  Nersès de Lambroun)

Après avoir considéré Saint Nersès dans sa vie littéraire, passons à sa vie active. Nous le trouvons partout, dans les villages, dans les ermitages, dans les couvents et dans les capitales. Il est élu et appelé par les particuliers et les savants, par le clergé et par la cour; et, dans diverses questions le roi et le Catholicos l'envoient à l'empereur des Allemands, aux princes et aux évêques latins venus pour la délivrance de Jérusalem et quelquefois à la cour de l'empereur d'Orient à Byzance, ou aux princes Francs à Antioche. Saint Nersès connaissait les langues de toutes ces nations et on croit qu'il fut envoyé parfois à Rom-Cla (1189) et à Jérusalem (1179), sans compter ses autres pélerinages, pour des affaires importantes. Ajoutons aussi ses nombreuses occupations dans les couvents arméniens, grecs, syriens ou francs, qui se trouvaient dans le territoire de Léon, dans les Montagnes-Noires, dans la province d'Antioche et autour du Golfe des Arméniens. «Notre saint homme dans tous ces endroits (dit un écrivain de mémoires), ramassa, comme une abeille active, de tous les illustres saints des premiers temps, toute espèce de bien à imiter... Il fut reconnu un second rabbi dans les derniers temps de notre nation». (p. 92. Fac-simile, du manuscrit authentique de Saint  Nersès de Lambroun)

Que dire de sa direction de la communauté de Sghévra, de l'ermitage et du couvent, de ces deux maisons religieuses que ses ancêtres avaient fondées et qui furent agrandies et embellies par son père et son frère Héthoum? Que pourrions-nous dire de son inspection du siège de Tarsus, cette patrie de Saint Paul! tous ceux qui le voyaient, témoignaient qu'il en avait hérité aussi la puissance et l'esprit. Des hauteurs de Sghévra, ainsi que Moïse du haut du Sinaï, il descendait tous les jours dans la ville épiscopale, consolant par sa doctrine et s'attirant par ses vertus tous ceux qui le voyaient et qui l'entendaient; non seulement des Arméniens mais encore des Francs et des Grecs; car il connaissait tout aussi bien les lois et les règlements de la religion de chacune de ces nations. Son jugement était fort juste et sans parti pris [4] . Lui-même dans ses écrits témoigne qu'il désirait fondre ensemble toutes les nations et toutes les langues par la charité et la foi de Jésus, et ajoutait: «Pour moi l'Arménien est comme le Latin, le Latin comme le Grec, le Grec comme l'Egyptien ou le Syrien» [5] . Nous possédons le manuscrit authentique (1195) de ses pensées sur ce sujet écrit dans le mémoire de la Concordance des Evangiles de S. Ephrem, dans lequel il a même posé son sceau, que nous pourrions nommer le sceau de la douceur de son cœur; en effet le sceau porte l'image d'un agneau.

En considérant les si féconds travaux de son esprit, de ses mains et de sa langue, comme il l'a avoué lui-même, je crois devoir affirmer, qu'il a eu l'infusion des grâces divines du Saint-Esprit. Une preuve qui me fait croire à ce que j'avance c'est ce que je le tiens de lui-même: car il dit dans son premier et précieux ouvrage, les Commentaires de la Messe, qu'il écrivait de ses propres mains «mais selon la dictée du Saint-Esprit . . . lorsque j'avais vingt-quatre ans, et je restais dans le silence et dans la solitude dans les montagnes du Taurus».

C'est vraiment un moyen propice pour l'effusion des grâces du Saint-Esprit, que le silence dédié à la prière et à la retraite, , semblable à Saint Jean, s'approchant de Jésus, il devenait son temple et s'avançait dans la vertu, de toute son âme et de tout son corps, et presque comme Saint Jean Baptiste, étant consacré à Dieu du sein de sa mère. Car avant sa naissance même, ses parents, Ochine son père, et la gracieuse Chahantoukhte sa mère, l'avaient offert à Dieu par un vœu qu'ils avaient formé. Plus tard, ils eurent l'idée de le garder chez eux, charmés de sa vivacité et de ses qualités aimables; ils voulaient l'élever dans la gloire et dans les honneurs du monde. Mais une maladie dangereuse, dans laquelle l'enfant faillit mourir, les ravisa et les retint de leur dernière décision. La mère désespérée, à la vue du visage cadavérique du jeune innocent, courut à Sghévra, et s'adressant à la Sainte Vierge vénérée dans ce couvent, elle sauva son enfant par un deuxième vœu rendu irrévocable, elle le délivra de la mort prochaine et de la perte de ses mérites dans l'avenir [6] . Dès lors sa mère le consacra tout à fait à Dieu, l'instruisit elle-même et le fit instruire sous la direction de saints personnages, d'abord dans les exercices de piété, ensuite dans les sciences humaines, donnant ainsi à Dieu ce qui est de Dieu, et conservant pour elle ce qui est de la mère. De cette manière elle le laissait aller dans les églises et dans les sanctuaires, dans les ermitages et dans les couvents; mais elle ne lui permettait jamais de s'éloigner trop d'elle dans des pays lointains. L'enfant essaya quelquefois de s'enfuir secrètement de chez ses parents, enflammé de l'amour de Dieu, parcourant les chemins escarpés des montagnes, les pieds ensanglantés et meurtris, les vêtements déchirés. Son intention était d'aller à la province de Saint Grégoire, c'est-à-dire à Taranaghi, dans la Haute Arménie, dans la retraite ce grand saint avait passé la fin de sa vie. Pourtant l'attention et la vigilance de sa mère le ramenait toujours à la maison: et cela non seulement pendant son enfance, mais aussi durant son sacerdoce et son épiscopat. Plusieurs fois son amour pour les choses divines le conduisait dans les déserts et dans les lieux isolés, mais la tendresse de ses parents l'obligeait de retourner chez lui et de se rendre à l'église de Tarsus. Pendant les dernières années de sa vie, quelques évêques soupçonneux de l'Arménie orientale l'ayant calomnié, il eut l'intention d'aller leur parler, de disputer avec eux et de chercher à les persuader. Toutefois la crainte que sa famille, par tendresse, ne mit un obstacle à son désir, l'empêcha de mettre son projet à exécution.

Ainsi Nersès était vraiment aimé de Dieu et des hommes judicieux. Autant il avançait dans la vertu de la charité, autant il croissait dans le prestige de ceux qui avaient le bonheur de l'entourer. Il cherchait à détourner ses admirateurs, mais cela ne lui pouvait réussir que difficilement. Comme il est impossible d'empêcher la lumière de luire aux heures de midi, de même l'est-il pour l'amour et la grâce qui reluit par le Seigneur.

Un ancien écrivain judicieux après avoir dit pour Nersès de Cla, qu'après l'Illuminateur, Nersès [7] et Sahag, il fut, comme le premier, un second Nersès angélique, qui succéda au siège patriarcal de ses pères, ajoute: «C'est de sa parenté, ou plutôt de son école, que se leva et brilla après lui, par une doctrine illuminée et une vie toute pure, son neveu, élevé par ses propres soins, notre saint et bienheureux père Nersès: qui a mérité qu'on lui attribue, comme au fils de Zébédée, le beau surnom de «Bien-aimé».

De tout cela nous sommes obligés à conclure que selon le désir prématuré de ses parents, le Seigneur lui fit le don d'un génie et d'une capacité non communs, et l'on pourrait dire de lui, selon notre Jean d'Otzoun [8] , qu'il était un enfant d'un esprit vif et intelligent et déjà dans son bas âge «il méditait et pénétrait de toute sa volonté, ce qui était surnaturel et divin. Lorsqu'il entendait parler des maîtres érudits et savants des alentours ou des pays lointains, il y courait promptement comme un oiseau léger et intelligent, volant sur les prés de l'ancien et du nouveau testament» etc. . . . Peut-être Nersès pouvait-il trouver dans les monastères célèbres une nourriture suffisante pour son esprit, mais pas assez pour le rassasier. Il fréquentait pendant sa vie, et dans ce même but ses compatriotes et les étrangers savants; et c'est lui qui fut le premier à ouvrir la voie de traduire du latin [9] ; déjà dès son enfance par les soins de sa mère, il s'était instruit dans la langue grecque. Il fit beaucoup de traductions de ces deux langues; mais, sans doute il a plus lu que traduit. Il est aussi très probable qu'il était versé non seulement dans le syrien, mais aussi dans l'hébreu, et toutes ces connaissances furent des sources de sa science et de son excellence.

Mais plus que ces dons qui luisaient par éclat, il en eut d'autres intérieurs qui le poussaient à l'avancement, et c'étaient les exercices de vertu, une conduite toute pure, et l'amour de la prière. Il ne s'épargnait pas les mortifications du corps, se restreignant même dans la nourriture nécessaire et dans son sommeil, doublant ainsi le temps de sa courte vie. Selon les témoins oculaires, le serviteur qui chaque jour lui portait à manger, retrouvait le jour suivant les mets intacts, ou à peu près, sur la fenêtre il les avait placés: le saint homme souvent ne se contentait que de quelques légumes. Il n'avait ni table ni lit; «Il ne se couchait pas, dit son biographe, ni pendant le jour, ni pendant la nuit. Durant la journée il s'occupait à la prière, à la lecture des livres saints, à l'instruction et aux bonnes œuvres; pendant la nuit il payait le tribut d'un peu de sommeil sur une chaise, et aussitôt éveillé il se mettait à la prière .... il lisait souvent, il apprenait toujours, et écrivait sans cesse le jour et la nuit». Il est à propos de dire que le temps qu'il gagnait en sacrifiant son sommeil, il le passait dans les méditations et dans des explications des livres saints. A ce point, Grégoire, son panégyriste, fait une bonne réflexion lorsqu'il dit: «Si je passais outre tous ses dons célestes, celui de la grâce de commentateur suffirait pour étonner les lecteurs» [10] : et après: «Si quelqu'un désire comprendre les profondeurs inscrutables du Seigneur, qu'il le lise (qu'il lise Nersès)» [11] .

Ainsi, l'objet des désirs et des efforts du Saint, était non seulement de pénétrer dans le sens des écritures saintes, mais encore de les communiquer à d'autres, surtout aux prêtres et aux moines. Il écrivit pour les premiers les Commentaires de la Messe, les Réflexions sur la foi et sur les ordres de l'Eglise, qui sont généralement unies avec celles de la Messe, et les Canons de diverses Bénédictions qui manquaient dans le Rituel arménien».

Il traduisit du latin les Livres des Ordres de l'Eglise latine, les Lois de l'Eglise Romaine et les traités des cinq patriarcats de Nil, dit le Doxopatrios, de la fin du onzième siècle. Pour les moines, il a assemblé et développé les Vies des Pères; il traduisit les Dialogues du Pape Saint Grégoire, les Règles de saint Benoît et les Constitutions particulières du Couvent, rédigées par le P. Berenger, du même ordre [12] .

Il veillait avec soin sur la conduite des moines, lui qui aimait dès son enfance à se retirer dans les solitudes des monts de la Cilicie, près des cours paisibles des eaux du Cydnus et du Jéragri(?). Il obtint la fortune touchante et rare de consacrer par ses propres mains et de vouer au Seigneur celle qui lui donna le jour et qui l'avait donné à Dieu depuis son enfance. Il la régénéra spirituellement en l'introduisant, avec ses deux sœurs, Dalitha et Suzanne, sous un même toit religieux comme une paire de colombes ou de tourterelles, dont les prières ferventes durant sa vie, et les soupirs après sa mort, montaient de dessus son tombeau vers le ciel.

Il a composé pour l'office de l'église et pour les personnes dévotes, outre les différents commentaires des Livres Saints, aussi une interprétation du Bréviaire [13] et des prières de l'Eglise; il a résolu les questions et les doutes sur des passages difficiles des saints Pères, comme ceux de saint Denis et de Saint Grégoire de Nareg, ainsi que d'autres questions théologiques, difficiles même aux savants. Au nombre de celles-ci sont celles qui regardent le Baptême des catéchumènes, l'Extrême-onction, et la vigile de Pâques. De plus, il a composé des Vies et des Martyrologes des Saints.

Il a écrit pour les évêques ses confrères, son grand discours d'ouverture dans le Concile de Rom-Cla et la Cause des Epîtres pour l'union des Arméniens et des Grecs, à la demande de Héthoum son frère; son Message à Constantinople (1197) un peu avant sa mort, il parla aux Docteurs grecs si éloquemment, d'un cœur et d'un esprit si droit, et, en même temps si animé par un zèle patriotique, qu'ils lui cédèrent dans diverses questions avec des applaudissements mérités. Comme unique moyen d'union il proposait aux Grecs quelques conditions; il consterna et ferma la bouche à ceux qui ne voulaient pas se plier, ni s'éloigner un tant soit peu de certaines de leurs coutumes qui étaient non seulement contraires aux Arméniens mais aussi aux Romains. Nersès retourna sinon avec profit, ce qui ne dépendait pas de lui, du moins avec la victoire de son rigoureux raisonnement et avec les éloges de ses contradicteurs mêmes [14] . Il s'en retourna mécontent et affligé pour leurs mœurs orgueilleuses, comme il le dit lui-même, dans un mémoire, les ayant trouvés ignorant tout à fait la correspondance qui, dans les temps anciens, avait eu lieu entre les deux nations sur ces questions religieuses; puis il ajoute, qu'ils étaient très grossiers dans leurs paroles, «difficiles et attachés à la matière à la manière des Juifs, ne voulant pas servir Dieu par le renouvellement de l'Esprit mais par antiquité de ce qui est écrit. Tout affligés dans notre vouloir spirituel, nous sommes retournés remplis de confusion et désespérés de leur sagesse supposée». Il faut juger que c'est pour ces mêmes besoins spirituels qu'il a fait la traduction des épîtres des papes Lucius III et Clément III, dirigées au Catholicos et au roi Léon, et dont les originaux manquent dans les archives du Vatican. Ajoutons encore les Epîtres adressées pour éclairer les esprits et les opinions de quelques-uns, comme celles au moine Oscan, à Jacques le Syrien, et celle au roi Léon, contre les accusations des moines de Haghpade. Cette dernière pièce est très souvent citée et on peut la comparer à l'apologie personnelle de Cicéron.

Nous pourrions encore ajouter à tout cela ses traductions des restes des Ecritures Saintes et d'autres livres qui s'y approchent, telles que l'Apocalypse de Saint Jean et son Commentaire par André, évêque de Crète; l'Epître de l'apôtre Barnabé que nous indique sa remarque personnelle au-dessous de la marge d'une copie de l'original grec [15] qu'on conserve au Vatican. Pourtant la traduction arménienne n'a pas encore paru.

Il a encore, fait pour des personnes civiles et politiques, des traductions des Codes des empereurs grecs, Léon, Constant et d'autres [16] ; leurs Lois civiles et militaires, dont il se servait pour exhorter les soldats arméniens [17] ; l'Ordre de la Bénédiction des rois et des empereurs, traduit du latin; le livre d'Anatomie selon témoignage de celui qui a écrit un abrégé de sa vie; on croit que c'est le Commentaire du livre de Saint Grégoire de Nysse. Il a encore d'autres traductions, et, combien n'y en aura-t-il pas de perdues! S'il ne pouvait entreprendre une traduction ou un ouvrage, il le chargeait d'autres personnes de le composer ou de le traduire.

Non moins qu'à ses travaux littéraires il faut prêter foi, sans aucun doute, sur ce qu'attestent ses biographes, pour tout ce qu'il a fait pour les réformes du clergé et des constructions des églises et leurs décorations, en y ajoutant encore les descriptions des images et des mystères de la rédemption. Il remit à leur place les ornements des églises qui avaient été supprimés d'une manière ou d'autre. Il dépensa pour chacune de ces deux œvres, l'embellissement littéraire et ecclésiastique, le tiers des 30, 000 besants d'or, sans en compter beaucoup d'autres, que pour cette fin il avait reçus de son père Ochine, dans ses premières années [18] .

Non seulement il augmenta les ornements des temples du Seigneur, mais encore il multiplia le nombre des églises, si nous pouvions interpréter ainsi les paroles vagues de l'historien Gyriaque, qui, peut-être, avait visité ces bâtiments: «Il construisit, dit-il, des églises magnifiques dans le couvent qui s'appelle Sghévra, près de l'inaccessible forteresse de Lambroun». Il distribua une autre partie des 30, 000 besants d'or, à ses chers amis, les pauvres, comme à des personnes plus intimement attachées au Christ et à lui; il ne se contenta pas seulement de cela, mais il leur donnait tout ce qui lui tombait dans les mains. Il prit l'habitude de distribuer le mercredi et le vendredi, à la porte de la cathédrale de Tarse, du pain et de fèves, à trois cents indigents, qui arrivaient quelquefois au nombre de quatre cents, comme il en parle dans son épître à Léon et comme d'autres personnes le rapportent.

Faut-il pénétrer, après tout ce que nous venons de dire, à la profondeur de son cœur, au centre du foyer de son amour pour Dieu! à cette charité ardente qui jetait de si vifs éclats dans toutes ses œuvres, dans ses paroles et sur son visage! Je me confonds lorsque je cherche à me pénétrer dans ce foyer sacré, pour en donner quelques explications: et je crois impossible qu'un tel personnage, qui se mortifia et macéra son corps, qui dédaigna tout bien-être du monde, et qui en même temps aima tout le monde, n'ait pas été converti effectivement à l'image de Dieu, et ne soit pas devenu tout saint, tout ange. Et si tout ce que nous avons dit jusqu'à présent n'est pas suffisant pour convaincre, ni même les temoignages de ses biographes [19] , qui nous en ont fait part, il suffit de se rapporter au respect des étrangers, qui surpassait, peut-être, celui de ses compatriotes, et qui honoraient dans la personne de Saint Nersès un second Paul de Tarse. Nous avons en outre le témoignage de l'adroit et intelligent roi Léon, qui le proposait au siége de catholicosat, et même sa propre confession involontaire pour ses travaux, son estime et sa réputation; confession qu'il fut obligé d'inserer dans son épître au roi, afin de rompre une fois le silence, l'indulgence et les prières qu'il adressait pour ses calomniateurs insensés des couvents de Haghpat et d'Ani, qui le persécutaient de loin par de noires calomnies et qu'ils faisaient parvenir jusqu'au roi. Nersès se vit contraint, pour faire connaître son état au prince, de lui déclarer, non seulement l'ignorance de ces contradicteurs, mais encore leurs mœurs corrompues [20] .

Mais plus qu'à tout cela il faut se rapporter à ses contemplations, à ses admirations: il affectionne particulièrement les exemples et les écrits des personnes d'une vie toute pure, édifiante, angélique, comme Saint Jean l'Evangéliste et Saint Grégoire de Nareg: c'est vraiment le cas d'affirmer ici que chacun aime ses semblables: et encore plus à ses paroles, à ses désirs tout divins, qui lui échappaient assez souvent de sa plume, et qui ne sont que des saintes saillies. En verité, un saint et un grand saint seul pouvait dire et écrire franchement: «J'ai soif de toi, ô Jésus; je te désire ardemment; j'ai soif de boire des deux ruisseaux de ton côté et m'enivrer de leurs sources; je suis ravi par ton amour; je soupire de voir ta face! ... Mon âme languit de ton ineffable amour... je m'anéantis quand je te regarde!... Quand viendrai-je à te voir!». Et d'autres semblables aspirations. Grégoire de Sghévra l'ayant entendu plusieurs fois les répéter avec des soupirs, écrivait: «Nersès s'écriait, de fait, en les écrivant: Quand viendrai-je à te voir!... ».

Ainsi l'amour vers J. C. faisait couler des yeux de son bien-aimé Nersès des ruisseaux continuels. Une personne qui l'aimait le plus, son serviteur et son disciple, Khatchadour, les appelle Torrents de larmes; gémissements continuels, des sources intarissables! «Et qui est qui voyant ses torrents de larmes, ne recueille pas de fruits des biens impérissables? Qui regardant la forme de ses signes sensibles, ne se transporterait à la vue des Séraphins immatérielles? Car la splendeur pudique et l'éclat éblouissant de son visage, déclarait qu'il se trouvait en présence de Dieu; et les larmes qu'il versait doucement, inspiraient aux spectateurs la passion du Sauveur et la science de la Croix» [21] .

Autant son amour grandissait, autant le torrent de ses larmes devenait plus abondant: et «quelques-uns disent, qu'on avait l'habitude, pendant qu'il offrait le saint sacrifice de la Messe, de mettre un linge sur sa poitrine... et que le diacre l'essuyait deux ou trois fois» [22] . O admirable éponge d'amour divin! Nersès lui-même témoigne trois fois dans sa lettre au roi Léon, qu'il restait devant Dieu «en versant sans cesse des larmes»; et puis: «illuminé de plus par la magnificence divine, je verse des larmes devant Dieu le Pére». Il a encore beaucoup d'autres passages dans le Commentaire des Psaumes qui laissent apercevoir la ferveur de cet amour, qui se traduisait par ces larmes: et nous concluons par ses brèves paroles: «Ce n'est pas celui qui craint Dieu, ni celui qui le contemple qui peut voir Dieu, mais celui qui l'aime». Combien devait être attrayant et admirable le sourire du miroir extérieur de son cœur, c'est-à-dire, l'aspect de son visage ! et combien «ce doux modèle faisait apercevoir son attouchement à l'amour véritable» [23] !

Mais autant la charité est douce pour l'âme, autant elle est un tourment pour le corps de la personne vertueuse. Et comment le couvercle matériel de celui qui portait dans son âme une si grande dévotion et le feu d'un tel amour, aurait-il pu persister longtemps? Ainsi du bien-aimé Nersès ne pouvait-on espérer une longue vie, tant désirée par nous. «Avec tant de vertus, disait à propos, Grégoire de Sghévra, de jour en jour Nersès jaillissait comme une source, s'avançait comme un fleuve, s'étendait comme une mer»! Mais enfin il fallait qu'il arrivât dans peu à l'embouchure, pour se précipiter de toute sa force, dans l'immense océan de la Divinité.

Nersès, qui avait passé une vie sublime, devait avoir aussi une fin sublime; il l'avait pressentie, comme par une révélation d'en haut. Ce signe était une douleur légère qui devait délier les liens de sa vie. Et comme en tant de rapports il fut semblable à Saint Jean Crysostome, dans l'ardeur de son cœur, dans la ferveur de son âme, dans la fécondité et dans la force de ses paroles et de ses écrits, dans l'interprétation des livres saints, dans la longanimité magnanime et dans l'indulgence envers ses détracteurs et ses calomniateurs, il lui fut encore semblable dans l'accomplissement des lois de la mort. «Il se remplit, dit son biographe, d'une joie ineffable; revêtit les vêtements sacrés et offrit le saint sacrifice, et après s'être communié du mystère vivifiant et expiatoire, dont il ne s'était jamais désisté, il appela ses frères, leur parla de sa mort; et après avoir brièvement répété ses conseils à ses fils bien-aimés, il les exhorta à y rester fermement fidèles. ... Et tandis que ceux qui étaient présents pleuraient et gémissaient avec une douleur excessive, en entendant ce touchant adieu, il éleva ses yeux vers le ciel, d'où il ne les avait jamais abaissés... et d'un visage gai, et d'une joie qui lui faisait couler les larmes, il dit: O Jésus, je remets mon âme dans tes mains. Et à l'instant son âme pure s'envola dans le sein du Dieu qu'il avait toujours si ardemment désiré». Il est juste d'ajouter ici, que ce n'est pas lui qui eut peur de la mort, mais plutôt la mort qui eut peur de lui; lui qui disait et écrivait d'avance (Comment. Psaume CVI): «Personne ne descend de l'amour à la peur, mais de la peur on s'élève à l'amour». Selon les assertions d'un biographe contemporain, Nersès avait toujours Jésus-Christ présent: il était le but de ses aspirations et comme son archétype; et selon un autre: «Il fut placé au milieu comme un miroir pour tout le monde par Celui qui a créé tous les hommes». Et son neveu également appelé Nersès, également écrivain et élevé par ses soins, s'écrie emporté d'amiration: «O admirable force de l'Esprit Saint, qui souffle il veut, donnant aux siens sans mesure, ce qui est propre à lui-même».

Ce même prêtre Nersès, son élève, portait dignement le nom et l'esprit de son oncle; après la mort duquel il devint le disciple de Grégoire de Sghévra, et sur ses instances ce dernier écrivit le panégyrique du Saint. Tous deux témoignent d'accord que les personnes honnêtes et pieuses ne tardèrent pas à célébrer le jour glorieux de sa mort, qui tomba le 14 juillet, 1198. C'est la seule personne dans l'ordre de l'épiscopat arménien, qui soit indiquée dans le calendrier parmi les défunts de la famille royale: «Aujourd'hui se reposa en J. C. le Saint Père Nersès de Lambroun, l'archevêque»; et parmi les soixante défunts dont les noms sont inscrits dans ce livre, (Ménologe), il est le seul à qui soit attribué le titre de saint.

La seule consolation et la seule joie qui resta à tant de personnes désintéressées et pieuses qui avaient été témoins oculaires du saint homme et qui avaient entendu sa voix, fut le souvenir de la sainteté et des œuvres de celui qui, durant sa vie même, parmi les nombreuses grâces dont il avait été enrichi, avait encore possédé le «don des miracles.... entre autres celui, de chasser les démons, et de guérir les malades»; comme le témoignent son biographe contemporain et Grégoire de Sghévra.

Cependant si la sainteté de Nersès causa de la joie à tous ceux qui étaient présents, sa mort les laissa tous accablés d'une grande douleur: ils se voyaient privés d'un grand saint et d'un grand écrivain, et restaient abandonnés comme des orphelins. Qui pourrait mettre en doute ou décrire l'affliction et la consternation de ses parents, de ses proches et de ses disciples, et de sa mère Chahantoukhte, qui, (peut-être), vivait encore, cependant la dernière mention qui en soit faite dans l'histoire remonte à huit années avant la mort de son fils. Une chose aussi nous semble extraordinaire, c'est que ses admirateurs nous font un récit très court, ou passent sous silence les cérémonies qui se firent à ses funérailles. Grégoire de Sghévra seulement nous a laissé ce qui suit: «On lui paya le tribut légitime: les prêtres le conduisirent au lieu du repos en chantant des psaumes et des bénédictions sacerdotales. Celui qui était devenu le temple de la très Sainte Trinité avec une pureté éclatante, on le remettait avec de grands honneurs dans un tombeau dans le temple du Seigneur; on plaçait le Saint dans le sanctuaire des Saints, et on fixait sa fête au quatorze juillet de chaque année».

Le neveu de Saint Nersès nous informe que le lieu de son repos fut à Sghévra; mais il paraît aussi qu'une partie de ses restes sacrés fut offerte au sanctuaire de Tarsus; car on faisait ainsi aux personnes illustres et à celles qu'on aimait et qu'on vénérait, et qui tour à tour avaient habité dans ces deux lieux: c'est ainsi q'on le fit aussi avec le roi Léon.

J'ignore le nom de celui qui a prononcé le panégyrique le jour de ses funérailles ou de l'anniversaire de sa mort, mais certainement ce fut dans les premiers jours du deuil que son serviteur et son disciple Khatchadour composa ses lamentations rimées en langue vulgaire, qui sont profondément touchantes, surtout par ses exclamations au commencement et à la fin de ces lignes, inimitables et uniques en leur genre, dans notre littérature arménienne. Je ne doute pas qu'on lira avec attention et avec plaisir et attendrissement ces paroles touchantes. Oui, tous ceux qui l'auront connu devront aimer le bien-aimé Nersès de Lambroun; et pourrait-on ne pas l'aimer quand on à un esprit et un cœur!

 

LAMENTATIONS

SUR SAINT NERSÈS ARCHEVÊQUE DE TARSE

Prononcées par le Ministre Khatchadour son élève.

 

«Am ! Oh! je laisse de côté la peur, j'oublie la honte,

Je rends honneur à mon étincelant Maître.

Je lui paie le tribut de m'avoir nourri.

Je m'en souviens et j'y reviens par esprit.

Lorsque je me suis rappelé de mon Maître, mon appui,

Ma lumière s'est éteinte, ma force m'a abandonné.

Mon esprit et mon âme sont confondus.

Je me rappelle mon maître dans le Scikiron(?)

Je me rappelle mon maître dans Grégoire de Nareg [24] .

Je me rappelle mon maître devant la lampe:

Je me rappelle mon maître dans l'église:

Je me rappelle mon maître dans la sacristie:

Je me rappelle mon maître dans sa chasuble»

Je me rappelle mon maître devant le saint autel

Je me rappelle mon maître durant la sainte messe.

C'est à vous que je parle, (prophètes) de l'Ancien Testament,

Venez, pleurons ensemble, vous n'êtes plus bons à rien.

Viens, Salomon, toi qui ne sers à rien;

Viens, Daniel, toi qui es délaissé;

Viens, Genèse, pleure toi qui as été fermée;

Viens, David, qui n'as pas été vaincu(?)

Je prends saint Jean, fils du Tonnerre, pour compagnon de mes larmes,

Viens, enlève la Vision et conserve-la [25] ,

Il n'y a plus le Maître qui l'interprète,

Mais pleure et plains moi malheureux que je suis,

Car j'ai perdu un Maître semblable à toi.

Tu as vu amèrement ton Maître sur la Croix,

Moi, j'ai vu amèrement mon Maître sur le siége.

Tu as entendu amèrement le «J'ai soif»,

Moi, j'ai entendu amèrement le jour de la confusion.

Vous qui pleurez, (auteurs des) épîtres catholiques,

Venez, soyez les compagnons de mes pleurs;

Nous n'avons plus le maître qui nous les fasse comprendre,

Ni un autre écrivain qui les renouvelle.

Viens, ô apôtre de Tarse (S. Paul)

Prends, et recueille les discours que j'ai entendus.

Viens Athanase, compagnon de mes pleurs,

Ce sont vos oraisons de la Messe.

Mais mon maître vigilant ne paraît point;

Plus de Commentaires, plus d'explication,

On n'entend plus le Prédicateur illuminé:

On ne trouve plus un maître comme toi.

Plus de personne qui s'enflamme de tes paroles;

Tes ailes vigilantes ne s'étendent plus;

Tes yeux veillants ne se tournoient plus,

Les torrents de larmes n'en descendent plus.

On n'entend plus tes gémissements touchants.

Je crie au couvent qui n'a plus de pasteur:

Il a besoin d'un pasteur vigilant;

Par Dieu! j'ai écrit cela (sans en douter).

Qui que ce soit, personne ne deviendra comme lui».

Mon maître était vigilant partout,

Il était versé et pratique dans toute science;

Il était saint de vie et non négligé.

Dans sa conduite il était pur comme Moïse;

Par son cœur, compatissant comme Paul;

Aimant les pauvres comme Jésus.

Nersès était une couronne dans l'église,

Il encourageait tous vers le bien.

Nersès ne condescendait pas aux indolents:

Il était doux et paisible pour le bien des éveillés.

Nersès veillait pendant la nuit,

Il passait toute la nuit sans dormir;

En récitant les prières nocturnes selon les règlements:

Ensuite il mettait en ordre ce qu'on devait faire.

Il méditait, après quoi il rédigeait par écrit;

Au point du jour, il commençait l'office de la Messe.

Nersès était un fléau contre le vice;

Aucune mauvaise pensée n'a jamais pénétré en lui,

Il était tout à fait joyeux durant la messe;

Indulgent et obligeant envers tous les frères.

Nersès avait une source intarissable dans sa tête excellente:

Il s'attendrissait sans cesse envers tous,

Il pleurait sans cesse pendant la Messe.

Nersès se confiait dans l'amour de Jésus,

Il ouvrait l'église aux pécheurs;

Il se souvenait des paroles du Sauveur,

Je suis venu pour les pécheurs.

Nersès, soigneux pour les veuves,

Etait un refuge pour les orphelins,

Pour les riches un modèle de bien,

Pour les pauvres un hôtel de repos.

Hélas! pour la pensée qui cessa;

Hélas! pour la plume qui devint inutile;

Hélas! pour le discours qui manqua;

Hélas! pour le visage qui se flétrit;

Hélas! pour la parole qui fut dissoute.

Hélas, pour nous ses serviteurs qui sommes restés orphelins.

O toi, mon maître, tu as trouvé celui que tu as désiré;

Toi, mon maître, tu es arrivé près de Celui que tu souhaitais;

Toi, mon maître, tu as recueilli ce que tu as semé.

Toi, mon maître, tu vois Celui pour lequel tu t'efforçais;

Toi, mon maître, tu fus donné à qui tu était dédié,

Toi, mon maître, tu te repose, car tu as travaillé!

Je te prie ô toi mon bon Maître,

Moi, ton serviteur élevé par tes mains;

Moi, qui ai écrit ces paroles plaintives.

Je sais que tu es à présent près de Jésus:

Prie avec ferveur, en l'adorant, pour moi;

Fais des prières avec instance

Que je retourne à la terre; la vie ne m'est plus nécessaire».

Après avoir dédié à Saint Nersès de Lambroun ce petit chapitre, tribut de reconnaissance, tournons une dernière fois les yeux sur les restes du château qui l'a vu naître, et reste caché dans l'histoire pendant trois siècles et demi, jusqu'aux nouvelles exploitations faites dans les derniers temps par Langlois et autres. J'ignore les événements qui y ont eu lieu depuis la moitié du XIV e siècle jusqu'à la fin du XVII e. Les Mahométans ont appelé et appellent encore ce château la Forteresse des Géants, (p. 102. Vue des portes de la Forteresse de Lambroun) soit à cause de son éminente position et de ses fortifications, soit à cause d'exploits traditionnels; ou mieux encore des souvenirs glorieux de ses premiers Seigneurs, et surtout de l'immortel Nersès. Au mois de janvier, l'année 1706, le voyageur français Paul Lucas, qui avait parcouru plusieurs des territoires, vint à Tarse. Il examina du côté de la plaine, cette grande forteresse, qu'il trouve à trois lieues loin de la ville, et il écrit plein d'admiration: «Il y a en bas de la ville (Nemrod) «trois grands gradins, du côté d'où l'on voit la porte; ils sont de trente à quarante pieds de hauteur chacun! et sont faits sans doute à proportion des jambes de ceux qui les montaient (sans doute il écrit ceci par plaisanterie): c'était par que les Géants descendaient dans la plaine. Ce qu'il y a de certain, c'est que les portes que j'ai vues de mes propres yeux, ont plus de cent pieds de haut chacune; et que les bâtiments que l'on remarque sur la montagne, sont d'une grandeur absolument prodigieuse..... Ces monuments sont des plus merveilleux de l'antiquité. L'on voit, dans ce qui paraît être la ville, des tours qui surpassent encore infiniment les autres édifices par leur hauteur: jamais je n'en avais vu de si élevées».

A une petite distance des autres édifices de Lambroun le P. Sibilian, le dernier visiteur de ces places, a vu une tour carrée plus grande, ou si l'on veut un grand édifice qui a la forme d'une tour, appelée Sinab-Kalé. C'est comme un donjon isolé, à la partie supérieure duquel on avait disposé une chapelle; la partie inférieure était un lieu de refuge. Je ne peux pas concevoir à quoi servait cet édifice dans les temps anciens, ni quel était son nom: pourtant il était compté dans l'apanage de Lam-broun. Près de ce château-fort et entre la forteresse il y avait une autre place habitée, située au nord-est de la montagne Armén, nommé Hovani-acarag, c'est-à-dire Villa de Jean. Il y avait certainement un couvent de solitaires, car ce lieu est parfois appelé Lieu de silence et aussi Ermitage, quelquefois du nom de Jean, ou du nom de la montagne Armén. Ainsi, Etienne Kouyner, célèbre miniaturiste et intelligent écrivain, lorsqu'il copiait en 1290, un évangile, écrivait: «Dans une chambre de l'ermitage, au flanc nord de la montagne qui s'appelle Armén». Ce même écrivain, qui est cité trois fois dans l'ermitage d'Armén, est cité encore d'autres fois dans les limites de ce dernier, comme dans le couvent de Sghévra et ailleurs; sa patrie était Gaïdzaron, localité inconnue. Il était l'un des écrivains les plus savants de son temps: quelques-uns des livres qu'il a copiés ou composés sont parvenus jusqu'à nous. On trouve mentionné en 1271, un noble chevalier, qui porte le même nom, Sire Kouyner; peut-être était-il parent ou frère d'Etienne.



[1] Son plus fidèle ami,  son  disciple  et  serviteur, Khatchadour, jure au nom de Dieu, que personne qui que ce soit ne  saurait égaler Nersès: et il  est parfaitement justifié jusqu'à nos jours.

[2] Pendant que je m'occupais à écrire mes réflexions sur Nersès, un auteur français relativement aux faits des Croisés écrivait ainsi: Ce Prélat est une des plus grandes figures, sinon la plus considérable, de l'histoire religieuse des principautés latines d'Orient, par le rôle qu'il remplit et se faisant, parmi les Arméniens, le propagateur des doctrines, institutions, coutumes et idées importées en Syrie par les Francs, en même temps qu'il travaillait, de tout son pouvoir, à amener l'union des diverses Églises d'Orient. Devenu, à vingt-trois ans, archevêque de Tarse, sa charité et sa tolérance en firent le médiateur entre les diverses Eglises Orientales: Grecs, Latins, Syriens écoutèrent sa parole avec avidité, et tous lui témoignèrent, non moins que ses compatriotes, la plus vive admiration, ainsi qu'un profond respect, et, par allusion au siège qu'il occupait, l'avaient surnommé le Nouveau Saint Paul. Une Lettre adressée par lui au roi Léon II nous est parvenue; c'est un des documents les plus curieux et les plus propres à bien faire juger la situation religieuse, sociale et politique qui s'opérait, parmi eux, sous l'influence de ces derniers. E. Rey, Les Colonies Franques en Syrie, (1883), page 85.

[3] De ce nombre sont la Concordance des Evangiles de Saint Ephrem, que Saint Nersès de Lambroun a écrite de ses propres mains, l'an 1195: Les Scolies de Saint Cyrille et de Saint Denis l'Aréopagite; des homélies de Saint Athanase, et un autre livre probablement écrit de ses mains. Dans la grande bibliothèque de Paris on conserve le livre des Evangiles, en grec et en face l'arménien, écrit de même par lui avec ce mémoire: «Nersès humble évêque de Tarse, travailla avec amour à ce livre, qu'il trouva en grec et le traduisit en arménien; j'espère trouver lieu dans les prières de ceux qui jouiront de ce livre». Avant ces livres est la copie de ceux de Saint Cyrille avec des annotations aux marges, écrits l'an 1175, avec le même modèle et la même forme qu'on voit dans la figure du fac-simile ci-dessus.

[4] Grégoire de Sghévra, dans son panégyrique.

[5] Epître au roi Léon.

[6] L'enfant se montrait reconnaissant à la Sainte Vierge à peine arrivé au grade ecclésiastique, en faisant son apologie à l'Assomption: «Je fus comme une vigne plantée par lui parmi des milliers de tiges dans  ce  temple  sacré»; comme il disait encore: «Je suis comme Samuel consacré à la Mère de Dieu, dédié par mes parents et avec ma tunique, nourri dans le service du temple»; il invitait aussi le peuple «à entendre ses réflexions le même jour de la fête, comme un vrai et familier serviteur de la sainte et toujours bénie, Vierge».

[7] Nersès I le Grand, l'arrière-petit-fils de S. Grégoire l'Illuminateur; il occupa le siége  patriarcal de 365 à 367. Nersès (IV) de Cla ou le Gracieux, précisément 200 ans après lui, 1165-1173.

[8] Jean (IV), le Patriarche philosophe, 718-29.

[9] Nous sommes heureux de savoir par une lettre d'Innocent  II, dont l'original est inconnu, que le grand oncle de notre Lambrounien, Nersès IV le Gracieux, connaissait aussi le latin.

[10] Dans ses Commentaires sur les 12 Prophètes il cite plus de 50 fois le texte hébreu; mais peut-être aussi qu'il puisait ces remarques dans les commentaires de S. Ephrem qu'il avait sous les mains et qu'il confrontait avec ceux de S. Cyrille; c'était en 1190-1.

[11] Les Livres commentés par S. Nersès et parvenus à nous, sont, La Genèse, les quatre livres de Salomon, les douze Prophètes, Daniel, les Psaumes (l'un de ses chefs d'œuvres); l'Evangile de S. Mathieu, en abrégé, les Epîtres Catholiques, l'Apocalypse de l'apôtre S. Jean, l'Oraison dominicale, les Paraboles de N. Seigneur, le Credo.

[12]   Voir, Benedictinum Statutum Monasticum, a Magistro Berenger concinnatum; a Sancto Narsete Lambronensi olim ex latina in armeniam linguam conversum, et recens latinæ fidei rursus redditum S. Lazari, 1880.

[13] Le livre de la vie des Saints dit: «il commenta aussi les prières de l'église».

[14] Après la solution du concile, selon  les paroles d'un Arménien, «Un religieux savant vint à S. Nersès lui dire: Tu as reçu de grands louanges de la part des métropolites, des clercs, des princes et de tout le peuple en général. Assurément celui qui entre en guerre connaît la violence de son coup, mais les assistants le voit plus encore, ainsi que nous avons été présents à ta victoire sur l'ennemi. De même les princes répétaient avec admiration: un seul homme a été la grandeur de toute l'Assemblée».

[15] Dans le Code grec, . 859 du Vatican, on trouve entre autres, la lettre de S. Barnabé; à la fin de laquelle notre S. Nersès a écrit de ses propres mains: «J'ai traduit, moi Nersès, cette lettre en langue arménienne, dans la ville royale, pour la gloire de Jésus-Christ, notre Dieu. Qu'il soit à jamais béni! Amen». (p. 96. )

[16] Cette compilation des lois - écrit Nersès -je l'ai traduite du livre grec, moi humble évêque de Tarse en 1196, dans le nouveau château de Loulou.

[17] Lui-même écrit à la fin des lois: «Moi Nersès humble traducteur et compilateur de la constitution des soldats; je voudrais avec cela exciter la vigilance des militaires ».

[18] Au nombre des livres copiés pour Nersès, outre ceux que nous avons déjà cité, nous devons marquer un recueil de 34 discours de St. Jean Chrysostome, qui se conserve aujourd'hui à Etchmiadzin (N°. 887).

[19] Un auteur d'un abrégé de sa vie, qui semble avoir été témoin oculaire ou un de ses parents, et dont je répète quelquefois les paroles en lui appropriant le nom de son biographe, pose de la sorte le titre de son ouvrage: «Panégyrique et souvenir de notre bienheureux et Saint père Nersès, érudit universel, docteur très savant et archevêque de Tarse». Cela fut trouvé dans un livre d'histoires des Saints; dans d'autres livres plus communs on traite en abrégé sa vie, mais son caractère est passablement bien rédigé; on dit: «Il était humble et affable, sans parure, miséricordieux, aimant la solitude et la prière; sa dévotion lui causait une abondance de larmes». Grégoire de Datève qui dans plusieurs points avait des vues différentes de celles du Saint, le surnomme pourtant, Le Grand Nersès dans le Commentaire des Psaumes, et  il en prend des passages dans son interpretation de Mathieu.

[20] Peut-être ces paroles et ces satires à quelques-uns paraîtront un peu dures dans la bouche de Nersès, contre le Doudéorti et Basile l'évêque d'Ani, et de leurs semblables. Mais qu'ils se rappellent, ainsi que les détracteurs de notre Saint, l'exemple du Sauveur: il supporta tout avec patience et résignation, mais non point les hypocrites et ceux qui travaillaient à tromper les simples de cœur, sous une frauduleuse apparence de zèle; ces loups qui s'étaient déguisés en agneaux: il les reprit et les menaça de grands châtiments; et quoique il menaça le feu éternel à ceux qui osaient donner aux autres les épithètes de fous et d'aveugles, lui-même par les mêmes paroles les décrala fous et aveugles. Nous connaissons déjà assez et nous connaîtrons plus encore la sainteté et la mansuétude de Nersès, mais jamais suffisamment l'arrogance de ses ennemis. Le Catholicos Grégoire Degha avait déjà déclaré la hardiesse et l'entêtement de l'un d'eux (Doudéorti), dans son épître aux religieux de Haghpat, et après lui l'historien Cyriaque plus clairement. Il s'était à peine sauvé, par la fuite, de la punition que voulait lui infliger le sénéchal Zacharie. Pour Basile d'Ani, Nersès affirme clairement ses mauvaises inclinations; il paraît que non seulement il avait des mœurs dépravés, mais encore il aspirait au siége du catholicosat, comme l'avait fait d'avance l'autre Basile, évêque de la même ville d'Ani. Leurs œuvres et leurs paroles ignominieuses contre Nersès ne font qu'augmenter de plus sa gloire et sa perfection; car la vie des Saints et des personnages pieux semblerait défective, si elle manquait de persécutions et de souffrances.

[21] Grégoire de Sghévra.

[22] Le biographe cité, p. 92, note I re.

[23] Le même Grégoire Sghévra.

[24] Allusion au Commentaire des Prières élégiaques de S. Grég. de Nareg.

[25] Commentaire de l'apocalypse de S. Jean.