Sisouan ou lArméno-Cilicie

Հեղինակ

Բաժին

Թեմա

  Des trois districts que nous avons mentionnés, selon la dernière statistique ottomane, le plus à l'est et au nord c'est celui de Zeithoun; celui de Fernouz est à l'ouest, et celui de Gaban, au sud. Tous les trois sont formés d'un terrain montueux inégal, avec des vallons étroits et raboteux. Ainsi, grâce à la configuration de leur pays, les habitants ont pu vivre dans une certaine sûreté et conserver leur liberté, en se réfugiant dans les places fortes formées par la nature. Les montagnes qui sont indiquées sur des cartes géopographiques et qui séparent les confins de Hadjine et de Coc, sont le Koche-dagh au nord-ouest de Zeithoun, le Kandil-dagh du même côté, au pied duquel il y a, près du village Bentoukh, un lac très riche en sangsues, aussi l'a-t-on appelé Suluglu-gueul. Au sud-ouest de ce lac s'élèvent les deux montagnes, la Grande et la Petite, Tchavdar, la dernière est au sud de l'autre, et touche au mont Tozlou; entre ces montagnes et le lac s'étendent des pâturages et des maisons de campagne appelées Khnekhoze ( Խնըխօզ ). La montagne que l'on voit au sud-ouest est le Kezel-dagh, qui sera peut-être l'ancien mont Garmir des Arméniens. Au sud-est de cette dernière sommité s'élève le Saghdaly, d'où sort le ruisseau Sève aghpure (Source noire), qui se dirige vers Zeithoun; non loin du Saghdaly, au sud-ouest c'est le mont Tchoukhourlouk, en arménien Dzovk (les mers); puis dans la même direction et au nord-ouest de Gaban, un peu plus loin s'élève la grande montagne Asdouadzachèn (Construite par Dieu).

Toutes ces montagnes sont à l'ouest de Zeithoun un peu vers le nord; du côté de l'est, entre Albisdan et Marache, on trouve les monts Alichèr, Èngouzég ou Anguedzeg (écrit sur quelque carte En-yuksék, en turc: le plus haut); et du côté du sud le Kawkirt; enfin au sud-ouest de ce dernier, près de Zeithoun, sur les confins de Marache, le Khopoug.

La haute et célèbre montagne, Brid ou Bérit, est la sommité principale de la chaîne qui se trouve au nord de Zeithoun; elle n'est pas assez loin de la ville. Plus au nord, on trouve encore les monts Yédi-kardache (sept frères). Dans le mémoire d'une bible, laissée par le catholicos de Sis, Garabied d'Oulni, au couvent d'Angora, qui dépendait de son siège, on trouve l'explication du nom de cette montagne. Selon l'éthymologie, Brid veut dire froid. Cette montagne, à laquelle on suppose une hauteur de 10, 000 pieds, est en effet toujours couverte de neige, ce qui est la cause de la fraîcheur de l'eau de la rivière, qui prend sa source sur cette sommité et descend, au sud vers Zeithoun, s'unit d'abord avec l' Aghadjar, en un lieu appelé Kavourma, et traverse un étroit vallon. Célèbre par sa conformation naturelle et ses produits, le mont Brid est à la fois un magasin de vivres et une retraite fortifiée pour les habitants de Zeithoun. Il renferme de riches mines de fer, et le sol fertile abonde en plantes alpestres dont les espèces varient selon l'exposition des lieux et leur altitude, comme le remarque le savant allemand Haussknecht. L'an 1865, il en a trouvé plus de 200 espèces, parmi lesquelles quelques-unes étaient encore inconnues et furent appelées Bridéennes, du nom de la montagne, ou reçurent le nom de l'explorateur, ou de la province de Cataonie, selon l'opinion du botaniste. Prenant en considération le grand nombre de ces plantes et la nouveauté de plusieurs d'entre elles, afin de ne pas charger de trop mon texte avec une longue nomenclature, j'ai cru bien faire d'ajouter dans les annotations une liste que j'ai dressé d'après la Flore Orientale du savant botaniste Boissier, à qui Haussknecht avait envoyé son herbier [1] .

Le catholicos Garabied que nous avons cité plus haut, indique les noms des trois montagnes, qui entourent de près la ville de Zeithoun. L'une s'appelle Barzenga ou Bérzénghian; elle est fendue en deux, l'une de ces deux parties s'appelle Mavoulou et s'élève du côté est de la ville, près du couvent de la Sainte Mère de Dieu; la seconde s'appelle Aïradz (brulée), et s'étend au nord, près des vignes de Zeithoun; et la troisième, nommée Ganguerod, est située à l'ouest. Les habitants du pays croient qu'elle fut ainsi appelée, à cause des artichauts que les compagnons de Saint Etienne d'Oulni y cueillaient; le mot arménien կանգռոտ signifie, en effet, lieu des artichauts.

Les noms de ces montagnes semblent leur assigner une origine volcanique, de même que les eaux thermales et minérales que l'on trouve à l'est de Zeithoun. La dernière montagne, dont nous avons supposée la situation à l'ouest, nous rappelle la montagne Gonguernade ( Կոնկըռնատ ) dans le district de Coc ( Կոկ) Mathieu d'Edesse écrit Goncanag: c'est que durant 65 ans, Marc, le solitaire arménien ou syrien, (qui mourut à Castalon), passa sa vie dans la prière et la mortification. La puissance de ses «prières, avait fait sourdre, dit-on, deux sources aux alentours»; et on dit même qu'il prédit la reprise de Jérusalem par les Sarrasins, après la conquête par les chrétiens. Comme l'historien d'Edesse pose l'endroit dont nous parlons, dans le district de Coc et près de Marache, il doit être sans doute à la frontière de ces deux provinces, est situé Zeithoun; ainsi nous pouvons admettre que Zeithoun était compris dans le district de Coc.

Sur une carte qui a été publiée dernièrement, nous voyons indiqué une haute montagne sans nom au sud-est de Cocussus, à deux ou trois lieues de distance, et au nord du village de Gantchi; peut-être cette montagne est-elle la même que Gonguernade, droit à l'ouest, peu loin de Zeithoun. Je mentionne aussi ici la ville ou la place forte de Longhinach, Լոնգինակ, à cause de la ressemblance de son nom avec Gonguernade. La position de Longhinach nous est restée inconnue: dominait autrefois le franc Bernard surnommé l' Etranger (Extraneus). Le même lieu est indiqué encore par Anna Comnène dans son Alexiade, comme une ville de la Cilicie; elle l'appelle Λογγινιάδα, et elle fut, dit-elle, subjuguée avec les villes de Tarse, d'Adana et de Messis, par Monaster, général de son père Alexis, l'an 1104. Près de Zeithoun, au nord-ouest, s'élève encore la montagne Solakh, l'on voit une immense grotte avec des stalactites. De nombreuses rivières descendent des montagnes qui entourent la ville; l'une s'appelle Sève-tchour (l'Eau noire) et descend de la montagne Saghdaly; on a jeté plusieurs ponts sur cette rivière qu'on désigne sous les noms de Sève-aghpure, Tchou-khour, Kaba-kéchiche, Aghpurove, près de Zeithoun. Une autre, l' Aghadjarghi, prend sa source sur la montagne Brid; son pont principal s'appelle Gharsi. D'autres ponts encore ont été jetés des deux côtés de la ville, et ils sont surmontés par de grandes croix en fer pour leur protection: l'un de ces derniers s'appelle Վարդապետի կամուրջ (le pont du maître ou du Docteur).

La ville de Zeithoun est située sur un haut plateau; mais comme elle est dominée par les cimes de hautes montagnes, elle semble s'élever au milieu d'un vallon; cependant elle a une altitude de 3, 500 pieds. Le plateau est assez vaste pour contenir des vignes et des plantations de figuiers et de coton, signes d'un climat tempéré, d'une bonne culture et du progrès du pays. Le Catholicos Garabied en a décrit sa position l'appellant Petite ville: «Zeithoun, dit-il, est bâtie entre les trois montagnes voisines de Barzinga, d'Aïradz et de Ganguerode, enfoncée dans un vallon fertile, le terrain produit des vignes, des oliviers, des grenadiers, des figuiers, etc: il produit encore du coton et de la soie; il y a aussi des mines de fer. La villette se désaltère dans l'eau douce et murmurante du petit ruisseau qui descend de la montagne Brid, dont le nom veut dire froid, à cause de la neige éternelle qui couronne sa cime. Cette ville possède, à l'est, au pied de la montagne Barzenga, le superbe couvent de la Sainte Vierge bâti par les Apôtres; et un peu en avant, au sud, la plaine fertile, qui a l'eau thérapeutique de Tchermoug, et la belle église du Sauveur».

Le produit le plus remarquable du terrain est sans doute le fer, dont les mines principales sont, comme nous l'avons dit plus haut, dans la montagne Brid. Les mineurs amassent d'abord le minerai au pied du mont Saghdaly, et en automne ils le transportent dans leurs fonderies et dans leurs usines. Ce métal, depuis une époque très reculée, a toujours été pour les habitants une garantie de travail, de subsistance, d'activité et d'une certaine liberté; non seulement ils le vendent, mais encore ils s'en servent pour se fabriquer leurs armes. Dès leur enfance ils s'exercent au maniement des armes et les portent jusqu'à leur vieillesse. En cas de guerre ou d'attaque, tous les hommes de 16 à 60 ans s'enrôlent. Plusieurs fois ils ont combattu contre les mahométans du voisinage; d'autres fois ils se sont alliés avec eux contre l'oppression des gouverneurs. Tantôt ils leur obéissaient leur payant un tribut; tantôt ils se déclaraient sujets du seigneur des montagnes Kozan, qui dans la première moitié de notre siècle s'était emparé des districts du voisinage de Hadjine et de Sis, les tyrannisait et exigeait un tribut: pourtant les habitants le payaient pour sauvegarder leur liberté.

L'origine du nom Zethoune Զեթուն, comme il est écrit dans les livres, nous reste inconnu; par habitude générale on dit à présent Zeithoun; nous ne pouvons pas attribuer ce nom à l'olivier, (car zeithoun en turc signifie olive) ni même à la tribu des Dzaïthounik, Ծայթունիք. Nous ne connaissons pas non plus l'origine de cette communauté libre, ni les événements historiques qui s'y rattachent dans les premiers siècles. Il s'est passé pour Zeithoun le contraire de ce qui eut lieu pour les autres pays arméniens. Pour ces derniers nos livres nous donnent le récit de la splendeur et des événements des anciens temps; tandis qu'ils laissent dans l'obscurité l'histoire des temps actuels: de Zeithoun on ne connaît pas l'origine, mais on connaît très bien l'état présent. Selon la tradition encore en honneur chez les Zeithouniens, leurs ancêtres seraient originaires du bourg ou du village voisin d'Ané ou Ani, cité dans nos auteurs comme une place forte.

Il est presque sûr et même historique, qu'après la suppression du royaume de Sissouan, quelques seigneurs, maîtres des forteresses des montagnes, conservèrent leur liberté, comme dans les places fortes des Portes de la Cilicie, et surtout dans la région de Gaban. Un écrivain de mémoires qui vécut, un siècle environ après l'extinction du royaume des Arméniens, écrit que lui-même descendait de la famille de Héthoum, le dernier généralissime des Arméniens; lequel continua à lutter contre les Egyptiens, même après que Léon V eut été emmené en captivité: il ajoute que Zarmanouhi, la courageuse femme de ce général, avait elle-même fait prisonnier le fils du sultan, qu'un traître nommé Grégoire, le délivra et tua même Héthoum le général; Zarmanouhi, effrayée, «s'enfuit alors dans les montagnes de Cocussus et d'Oulni, et elle y passa cinq ans; après quoi elle réunit 300 montagnards et avec son fils (George) s'empara de Gaban, et délivra le peuple pour soixante-cinq ans, du joug des Turcs. Les exploits de Zarmanouhi, de Héthoum son mari, et de ses fils, sont écrits dans les livres de mémoires du couvent de St. Garabied et de celui de St. Etienne à Gantchi et dans celui du couvent de Fernouz; comme encore y sont écrits tous les événements, les combats, le grand tremblement de terre, la grande famine et la peste. L'auteur de ce mémoire qui se dit descendant de Héthoum et de Zarman», est un nommé D r. Cyriaque (1473), qui était frère du D r. Jean, prêtre de Gantchi; ce dernier était le père de Héthoum et de Léon. De la même famille descendaient aussi ceux qui en 1557 ont restauré le livre, dans lequel se trouve écrit le mémoire de ce D r. Cyriaque, et qui sont: le D r. Luc, supérieur de Zeithoun ou de St. Garabied, et son frère le prêtre Mathieu, père de Sarkis et de Léon.

On devrait chercher dans les couvents de ces régions les mémoires et les documents des églises; on y découvrirait peut-être quelques renseignements sur les faits accomplis dans ces contrées, surtout depuis le XV e siècle jusqu'à nos jours.

Mais un souvenir beaucoup plus ancien et plus sacré que tous les autres se rattache à ces lieux: c'est le martyre de Saint Etienne d'Oulni, de sa mère et de ses 36 compagnons, originaires de différentes régions; plusieurs étaient de Cocussus, demeuraient les parents mêmes de ce saint, Lazare et Marie, qui étaient originaires d'Antioche; et c'est à Cocussus même que naquit notre Saint et qu'il fut élevé. Pendant la persécution de Julien, lorsque le juge Socrate vint à Cocussus, les fidèles s'enfuirent et s'établirent dans ces régions montagneuses. Etienne, ou Somnas son compagnon, l'un des deux, allait sur le plateau de la montagne pour y ramasser des chardons, (on peut concevoir par la nature et la hauteur du lieu); trahis par un berger, ils furent arrêtés et conduits au tribunal du juge, qui, de Cocussus était arrivé à la forteresse «qui s'appelle à présent Gantchi». Cette dernière expression du mémoire ou de notre écrivain Grégoire, (dont le texte grec traduit en arménien au XI e ou XII e siècle [2] , a été trouvé à Constantinople), nous fait comprendre qu'anciennement les Grecs appelaient cette place d'un autre nom. La mère du Saint et les vierges furent jugées et martyrisées à l'entrée d'un vallon au pied de la montagne; quant à Saint Etienne et à ses compagnons, le juge ordonna de les conduire près du torrent et de les tuer. On les emmena au lieu du martyre, dans un vallon profond, à quelque distance du lieu les vierges avaient été martyrisées. On les voulut d'abord brûler, mais leurs corps restant intacts, on les passa au fil de l'épée. Les fidèles vinrent relever les corps et ils construisirent dans ces lieux trois églises, l'une sur le lieu du martyre des saintes vierges, elle fut appelée Cathédrale ( Կաթողիկէ ); la seconde en l'honneur des compagnons de Saint Etienne, et la troisième pour recevoir les reliques du Saint; elle fut placée sous le vocable de son nom et bâtie devant la fontaine miraculeuse qui jaillit pour le salut des malades, et fut la cause qui peupla ce lieu désert.

Comme le père du Saint était déjà mort et avait été enterré (selon quelques-uns sur le mont Asdouadzachèn, à l'ouest de Gaban), il ne doit pas être compté au nombre des 36 martyrs que notre église fête avec une hymne particulière, dont la dernière strophe dit: «Tu as été choisi par le Saint-Esprit pour la joie de l'Eglise, et tu as éclairé les enfants de Thorgom, (les Arméniens); aujourd'hui les fidèles se réjouissent et célèbrent la fête de ta victoire; prie le Seigneur qu'il nous accorde la vie éternelle».

Probablement le grand Chrysostome qui était encore en bas âge lors du martyre de Saint Etienne, durant son exil à Cocussus, aura visité l'église du Saint, qui était fils de l'un de ses compatriotes, (Lazare d'Antioche). Nous avons une biographie de ce grand Docteur, écrite I'an 1328, «dans le saint, magnifique et célèbre couvent de Saint Etienne d'Oulni et de ses 34 compagnons». L'écrivain Etienne, mentionne encore le supérieur et le directeur du couvent «de ces saints et braves martyrs», le P. Thoros, le gardien Constantin, l'économe Basile, et une dixaine de religieux, qu'il nomme séparément.

Le nom d' Oulni n'est cité ni dans ce mémoire, ni dans le martyrologe ancien ni dans le nouveau; il paraît que c'est le nom du lieu du martyre de ces Saints; pour quelques-uns c'est l'ancien Fernouz, pour d'autres, Zeithoun.

Mais quelle est l'origine de ces noms, Oulni et Zeithoun? La date la plus ancienne du nom de Zeithoun que j'aie rencontrée dans les manuscrits se rapporte à deux de ses évêques, qui ont vécu vers le commencement du XVI e siècle, ou plutôt dans la seconde moitié du XV e; car ces personnages, pour se trouver évêques dès l'année 1526, devaient avoir un certain âge. Naturellement la fondation de Zeithoun ou l'établissement de la colonie Arménienne doit être plus ancienne, et je suis d'opinion qu'elle doit être même très ancienne. Après ces deux évêques (voir la liste ci-dessous), et après d'autres sans doute, je trouve dans l'année 1586, Jean, un de leurs successeurs, qui avec trois ou quatre autres évêques signa une lettre de témoignage, adressée au Pape Grégoire XIII, pour l'élection du D r. Azarie à la succession de Khatchadour, Catholicos de Sis. Dix ans plus tard (1596) je retrouve le nom de Zeithoun dans un livre d'Ordination des clercs, écrit pour l'évêque Jacques «dans le couvent de Zeithoun, près de l'église de la Sainte Vierge, pendant le supériorat de l'archevêque Dér Dzéroun» (p. 200- Fac-simile, tiré d'un livre d'Ordination, écrit à Zeithoun, en 1596 [3] ). Dans un mémoire, ce couvent est appelé Karavedag (de quatre sources). Ce même couvent et le rectorat d'Oulni, qui est situé au pied du mont Barzenga, sont appelés par le Catholicos Garabied, fondé par les Apôtres, ce qui prouve leur antiquité; il serait intéressant de chercher des renseignements dans les archives de Sis, s'il en reste encore.

A la fin du XVI e siècle et au commencement du XVII e, on trouve plusieurs fois le nom du prêtre Vahan de Zeithoun mentionné comme un excellent calligraphe; il eut plusieurs élèves, dont l'un, le clerc Hagopig, était aussi «du bourg de Zeithoun»; il s'était retiré à Sébaste et pour chasser sa tristesse, s'occupait à copier des livres; il se souvient avec gratitude de ses professeurs et de «son frère de lait Alexis », qui l'aida dans la copie des livres. Dans un de ses manuscrits de 1608 il dit: «J'étais étranger et triste de cœur personne ne me prêtait assistance, je pleurais toujours et j'étais dans l'incertitude; mais mon compatriote de Zeithoun, le pélerin diacre Arakel, qui était un commerçant, me conduisait dans sa chambre et me consolait, en me donnant à manger et à boire, et il me disait: Mon frère, ne vous tourmentez point, car je vous délivrerai de ce monde cruel et difficile» [4] .

Vahan, écrivait encore en 1625: «Dans le bourg de Zeithoun, sous le patronage du saint général Serge et de tous nos autres temples et objets sacrés, pendant la direction de notre province par l'archevêque Meguerditch (J. Baptiste) et par l'évêque Vartan et du D. r Khatchadour, assisté de tous nos autres frères qui servent dans notre couvent». Il n'oublie pas non plus son père Avédis, ni sa mère Zemrouth (Emeraude), ni ses frères, l'évêque Dér Nersès et les prêtres Etienne et Constantin.

Vahan eut encore un autre élève, un certain Johan qui, l'an 1629, «sous le patronage de la Sainte Vierge et de Saint Grégoire » a écrit un recueil d'hymnes religieux. Dans un autre livre copié l'an 1634, et sous la direction du même archevêque Meguerditch, on trouve mentionnées huit églises à Zeithoun: celles du saint Général Serge, des Saints Archanges, de Saint Jacques de Nisibe, de la Sainte Vierge, de Saint Garabied (le Précurseur), de Saint Grégoire l'Illuminateur, des Saints Barsam et Théodore.

Le D r. Garabied, qui fut après Catholicos d'Etchmiadzine, parle plus longuement de soi-même dans le mémoire d'une Bible. Il était à Zeithoun, l'an 1661, de Mardiros surnommé Tahoug et de Marie, «qui me porta, dit-il, sept mois dans son sein, et j'ai sucé son lait pendant sept ans». Après la mort de ses parents, ayant appris qu'un de ses compatriotes avait été élu évêque au siège d'Ancyre, il alla chez lui, s'instruisit sous sa direction, fut ordonné prêtre par lui (1681), et reçut également de ses mains le bâton doctoral en (1684 et 1687). Il aida beaucoup son protecteur pour la restauration du couvent, et fut chargé de plusieurs députations; enfin il fut envoyé chez le catholicos Nahabied pour y être ordonné évêque et pour devenir le successeur de l'évêque d'Ancyre. Il succéda en effet à ce dernier et régit le siége plus de 30 ans (1694-1726): au dire de Lazare de Djahoug, c'était un personnage «d'un aspect superbe et majestueux».

Durant son long épiscopat il restaura ou construisit beaucoup d'églises et de couvents à Ancyre, les enrichit de toute sorte d'ornements et en outre d'un grand nombre de livres qu'il légua et confia aux soins de son disciple, le D. r Moïse, avec lequel en 1705, il fit un pèlerinage à Jérusalem, à Rome-cla et dans sa patrie, pour y voir son frère Etienne. Il y demeura quatre mois à cause des troubles de cette époque et des périls du voyage. Son compagnon et son successeur, le D. r Moïse, écrit: «Nous avons fait notre pèlerinage à Zeithoun en accomplissant notre vœu dans l'église du Saint Sauveur, dans le couvent de la Sainte Vierge, et dans l'église du disciple Ananie, l'on conserve son bras droit, de même qu'au tombeau de notre maître (l'évêque Etienne). Nous avons passé dans cette région 120 jours, effrayé par les Turcomans qui rugissaient comme des lions autour de nous. Enfin, par une voie secrète nous arrivâmes au couvent de Hadjine, auprès du Catholicos Jean».

A la mort du Catholicos Asdouadzadour, Garabied d'Oulni fut élu à Constantinople pour son successeur et se rendit, avec un édit royal, à Etchmiadzine (1726); il y mourut après avoir occupé le siége pendant cinq ans, (1730). Voici comment il parle de sa patrie dans le mémoire qu'il a ajouté dans une Bible: «Avant elle était riche et dans l'opulence, à présent à cause de nos péchés elle est humiliée et devenue pauvre; pourtant elle possède encore les sept églises, dont la plus grande est celle de la Sainte Mère de Dieu, outre le couvent du même nom». Il mentionne le D r. Jean son compatriote, personnage austère et dévot, qui pendant trente ans fut son coadjuteur à Ancyre, et qui à sa mort, lorsque Garabied fut élevé au siége de catholicos, laissa beaucoup de fournitures ecclésiastiques et de livres au siège d'Angora. Sis aussi eut des Catholicos qui étaient natifs d'Oulni, parmi lesquels nous connaissons Siméon (1539), et son successeur Lazare (1545), puis Khatchadour II, surnommé le Musicien (1560-1584).

Les évêques ou les archevêques de Zeithoun, qui ont sièges au couvent de la Sainte Vierge, sont, outre ceux que j'ai mentionnés plus haut:

1526 Nersès

1534 David

1586 Jean

1596 Dzéroun

1625-34 J. Baptiste

1664 Grégoire

1666 Moïse

1720 Garabied

. . . . . . . . . . .

1800 Jean

1806 Pascal

1808 Michel

1817 Jacques Bosdanian [5]

1821 Paul

1823 Jacques Barmaghi-kessig

1826 Madathie

1828 Mardiros

1867 Sarkis [6] Koulighian

Grégoire D. r Apardian

Isaac D. r Keutcheghian

Etienne D. r Aghdjabeghian

1883 Garabied Keutcheg

La ville de Zeithoun est divisée en quatre quartiers, deux supérieurs et deux inférieurs. Au nombre des églises on en a ajouté une, celle des S. S. Pierre et Paul. Lors de la restauration de l'église de S. Jacques on a découvert le tombeau d'un religieux nommé Gabriel, qui avait fait construire l'ancienne église, moitié en bois. Dans la petite église de Saint Jean, se conserve le grand patron, le Palladium de Zeithoun: c'est un évangile, appelé l' Evangile de Basile; je ne sais quand il fut écrit ni si ce Basile est le prince surnommé le Voleur ou un autre. On donne une grande validité au serment prêté sur cet évangile: on lui attribue aussi une grande puissance dans les périls et dans les combats.

Hors de la ville, à la distance d'une heure et demie du couvent de la Sainte Vierge, au sud-est de la vallée Ilidjé, sont les eaux thermales, s'élève le superbe couvent du Saint Sauveur, appelé par quelques-uns de Saint Jean Baptiste. Dessous le maître-autel de l'église jaillit une source d'eau froide, qui s'écoule dans des bassins près de la porte du temple; selon la tradition du pays, c'est l'apôtre Barthélemie qui a fondé l'église et fait jaillir l'eau. A un quart d'heure du couvent vers la ville, est érigée une chapelle dédiée à Sainte Chatherine, qu'on suppose l'une des compagnes de Saint Etienne d'Oulni; peut-être est-ce la place les Saintes Vierges, leurs autres compagnes, furent martyrisées.

Sur différents autres points, on trouve encore des sanctuaires; comme celui du tombeau de Saint Elie, sur un monticule à une heure du couvent; sur une autre montagne près de la ville on trouve un ancien ermitage. Une chapelle s'élève entre le pont de Kars et les vignes de Zeithoun; elle est placée sous le vocable de Saint Jacques, qui était, dit-on, cordonnier à Marache, il y a un siècle, et qui fut étranglé pour sa foi par un gouverneur nommé Ibiche.

Ce grand nombre d'églises, de sanctuaires, de couvents et de livres écrits à Zeithoun, confirment le témoignage du catholicos Garabied d'Oulni, à l'égard du développement intellectuel et religieux des Zeithouniens; contrairement aux affirmations de certains critiques modernes, qui ont prétendu que le progrès de ces braves gens, abrités au milieu des formidables boulevards de la nature, dont leur pays est entouré, ne consistait que dans l'exercice de la force musculaire et dans le maniement des armes.

Si leur communauté a pu durer jusqu'à nos jours, avec un système de gouvernement tout spécial et paternel, c'est une preuve du bon sens, des traditions et des règlements qui leur ont été transmis par leurs ancêtres. En effet, ils sont gouvernés par un conseil de quatre de leurs notables, qui résident dans la ville même, mais ils ont dans chaque village leurs représentants appelés kiahia. Dans les conseils d'intérêt général, leur évêque a la présidence. Cependant il faut avouer que les événements de ces derniers temps ont eu leur contre-coup sur les Arméniens de Zeithoun. La rivalité et les troubles suscités par la haine des Turcomans et des Afchars, qui parfois se faisaient la guerre entre eux, et d'autres fois se battaient contre les gouverneurs ottomans de la Cilicie et de Marache, les colonies sauvages des peuples barbares, comme de nos jours celle des Circassiens, la guerre des Egyptiens contre les Turcs, la tyrannie exercée par les frères Kozans sur les territoires d'alentour, toutes ces circonstances ont troublé et harassé le peuple d'Oulni; mais elles n'ont pas pu le décourager tout-à-fait. L'accord entre la commune de Zeithoun et la Porte était, je ne sais depuis quelle époque, de payer à la caisse du gouvernement, 60, 000 piastres en temps de tranquillité. Pourtant s'il arrivait quelque révolte, ils refusaient de payer n'importe quelle somme: c'est ce qui est arrivé en 1819; ils s'étaient révoltés: le catholicos Guiragos qui se trouvait à Constan-tinople, fut accusé de connivence avec eux: il parvint à se justifier, mais il refusa de prendre la responsabilité du tribut par les Zeithouniens à la sublime Porte, car il ne se fiait pas à la soumission de ses compatriotes. Pendant les guerres d'Ibrahim pacha (1830-40), ils se coalisèrent avec d'autres peuplades des montagnes pour lui faire opposition. Après cet événement, les Kozans surexcités, commencèrent à menacer sérieusement les Zeithouniens, qui cependant, par quelques petites concessions suggérées par la prudence, réussirent à les appaiser. En 1862 eurent lieu les fameux événements dont les causes ne sont pas bien connues. On a émis diverses opinions, mais ce n'est point ici le lieu de les discuter; je citerai seulement celle qui me paraît la plus probable.

Pendant l'été de cette même année eut lieu une querelle et un combat entre les habitants turcs du village Kértmèn ou Kurdmèn, au pied de la montagne du même nom, à 12 kilomètres à l'est de Zeithoun. Le motif de la querelle regardait la culture et la moisson d'un terrain; ceux qui eurent le dessous demandèrent assistance au village voisin Béchén ou Kissir: mais quand ceux-ci arrivèrent, la plupart des habitants de Kertmèn, laissant de côté leur querelle intestine, s'unirent pour chasser les nouveaux venus; là-dessus il y eut du sang répandu. Les Béchéniens en se retirant s'adressèrent aux Arméniens du village Alabache, qui est au sud de Zeithoun: le chef du village Garabied et son aide Jacques, accoururent, accompagnés d'un petit nombre de gens armés, pour terminer le différend; mais les Kertméniens. s'y opposèrent, les esprits s'échauffèrent et il en résulta un combat, dans lequel il y eut plusieurs morts des deux côtés; les Arméniens perdirent Jacques, mais ils furent vainqueurs et chassèrent l'ennemi dont ils dévastèrent, peut-être, quelques propriétés.

Les Turcs incapables de se mesurer avec les Arméniens, et voulant se venger, envoyèrent dire au gouverneur de Marache, que les Arméniens sans aucun motif massacraient les croyants de l'Islame; les Béchéniens de leur côté envoyèrent un message pour défendre et justifier les Arméniens. Mais les mahométans, surexcités par la première ambassade, et surtout les bachibozouks, crièrent vengeance. Le gouverneur Aziz-pacha, pour contenter la populace embrassa son parti et s'empressa de réprimer la prétendu révolte. Un corps de 5 à 6, 000 hommes, réguliers et bachibozouks, se mit alors en marche; le village d'Alabache fut attaqué et réduit en un amas de cendres, tous ceux qui tombèrent entre leurs mains furent massacrés; mais la plupart des habitants, s'étaient déjà réfugiés à Zeithoun. La ville s'alarma; les notables se réunirent en conseil: l'ordre fut donné de courir aux armes, et de se hâter pour défendre les confins du pays contre les hordes qui s'avançaient le fer et le feu à la main. Pendant ce temps Aziz-pacha lui même passa le fleuve Djahan; il arriva au village Tchaker-déré, groupe de 150 maisons, qu'il détruisit, puis s'avançant jusqu'au village d'Alabache, il en chassa les défenseurs et les villageois accourus à leur aide, et incendia le reste des habitations, après quoi il vint camper dans la vallée d' Ilidjé, près du couvent du Saint-Sauveur. Dans cette enceinte sacrée, on trouva trois ou quatre solitaires et une vieille femme; à l'instant ils furent massacrés, peut-être à l'insu du pacha-général. En même temps on tua un chien que les soldats jetèrent sur les cadavres de ces infortunés, puis ils s'occupèrent à démolir les moulins et les usines des forgerons.

Ceci fait, Aziz envoya un message aux Zeithouniens, les engageant à se soumettre, à consigner leurs armes, à donner des otages et à payer une amende; mais les Arméniens se méfiant n'acceptèrent pas ces propositions. Ils occupèrent les passages, bien résolus à résister, et même se mirent en embuscade. Aziz alors ordonna l'attaque; ses soldats se précipitèrent, pendant que les canons leur ouvraient le chemin. C'était le 26 août; les Zeithouniens se défendirent en désespérés; ceux qui étaient en embuscade agirent de leur côté. Bientôt le terrain fut jonché de cadavres; la résistance fut telle qu'Aziz ne pouvant plus avancer s'embarrassa: et enfin, après quatre heures de combat, sa déroute fut complète; la panique fut telle, que le camp fut abandonné avec armes et bagages, canons et munitions, sans compter huit cent cadavres. Ces braves bachibozouks tout terrorisés dans leur fuite précipitée et hors de haleine, ne s'arrêtèrent que quand ils se virent bien en sûreté sous les murs de Marache, bientôt se replia toute l'armée, avec le gouverneur Aziz.

Mais pendant leur fuite ils n'épargnèrent rien; ils massacrèrent plusieurs personnes inoffensives sur le chemin, entre autres un religieux dans le couvent de la Sainte Vierge, et ailleurs plusieurs autres encore. Avant qu'Aziz eût entrepris de nouveaux massacres, il fut destitué et remplacé par Achir-pacha qui arriva avec un corps de soldats réguliers. Des experts furent envoyés en même temps pour examiner la cause des troubles, et après beaucoup de négotiations et des procès, les notables de Zeithoun furent obligés à se rendre à Constantinople. Voici leurs noms: Asdouadzadour Yéni-dunia, Mardiros ou Nazareth Sourénian, Lazare fils de Chour ou Chorvayan et Meguerditch Hagopian. Après de longs pourparlers, grâce à l'entremise des ambassadeurs des puissances européennes, et en particulier de celui de la France, ainsi qu'à la protection du primat ou du patriarche des Arméniens catholiques, que les Zeithouniens avaient implorée, les notables furent remis en liberté, et le gouvernement ottoman résolut d'établir à Zeithoun un gouverneur et un collecteur pour ramasser les impôts, sous la suprême autorité du gouverneur de Marache, comme auparavant.

Pour prévenir de nouveaux troubles et pour soumettre entièrement la ville de Zeithoun, le gouvernement turc érigea une caserne fortifiée au sommet du mont au sud-ouest de la ville, et établit un service télégraphique jusqu'à Marache. Dans le même temps les Kozans furent entièrement subjugués et l'administration de cette partie de la Cilicie fut transformée de fond en comble. Des confusions et des troubles eurent encore lieu l'an 1872; plusieurs Zeithouniens furent arrêtés, parmi lesquels Nicolas, évêque de Fernouz, qui fut arrêté à Marache. L'ordre et le calme régnèrent de nouveau, et les règlements et dispositions de 1862-3 continuèrent à être en vigueur. Depuis cette époque, les voies de communications furent améliorées dans ces régions montagneuses. Le catholicisme y pénétra mieux, et en 1879, la Société Arménienne de Constantinople fonda à Zeithoun des écoles pour les deux sexes.

Après, comme avant ces faits, les abus des gouverneurs et des représentants du gouvernement qui devaient surveiller les Zeithouniens, les incursions de leurs voisins, les Circassiens et les Kozans, poussèrent plusieurs fois nos Arméniens à protester et même à prendre les armes, tant contre les tribus indociles que contre leurs supposés protecteurs. C'est ainsi que pendant l'été de 1876, un acte inqualifiable du gouverneur turc suivi du meurtre d'un domestique arménien, excita à tel point la juste indignation des compatriotes de ce dernier, que le notable Babig Yenidunia, surnommé le Pacha, se mit à la tête de quelques centaines de citoyens (le 15 juin), prit d'assaut le palais du délinquant, et le brûla avec la mosquée. Ayant capturé le gouverneur et son aide de camp, il les envoya honteusement au vali de Marache; puis, pour punir ces étrangers trop fanfarons, il ravagea quelques-uns de leurs villages. L'année suivante, pendant que le vali marchait contre les Kozans, Babig, assisté par le fougueux évêque de Fernouz, Nicolas, battit une troupe des soldats réguliers et irréguliers: mais la soumission des Kozans le força à se retirer avec une poignée de ses hommes vers les montagnes d'un accès difficile; l'évêque guerrier à la tête de quelques autres combattants fut surpris et capturé. Les Turcs rentrèrent alors à Zeithoun et rebâtirent la résidence du gouverneur. Une commission fut chargée par le gouvernement d'examiner la cause des troubles: mais c'est surtout la modération du vali Dadà-pacha, qui les appaisa. Babig et sa troupe purent rentrer dans leurs foyers (1878-9).

Dix années après ces événements, un malheur naturel occasionna de nouveaux troubles. En 1890 la petite vérole éclata à Zeithoun et y fit de grands ravages; 400 enfants en furent victimes: mais la cause d'une si grande mortalité fut attribuée à l'imprudence, volontaire ou non, du médecin délégué par le gouvernement. La douleur des parents de ces innocents moissonnés, et les intrigues d'une société dite des Aimants ou Chéris, Սիրականք, causèrent un nouveau soulèvement: on attaqua de nouveau la résidence du gouverneur, et on battit dans diverses petites rencontres, des détachements de troupes régulières. Le vali Salih-pacha partit à la hâte de Marache, et réussit à étouffer encore cette fois la révolte: une partie des insurgés se retira vers les montagnes, les autres se soumirent; parmi ces derniers se trouvaient de nouveau l'évêque Nicolas, et un autre prélat, l'évêque Garabied; ils furent éxilés à Alep.

Quant aux derniers événements (1895-6) et aux faits d'armes des Zeithouniens, les journaux du monde entier, les uns à demi, les autres à haute voix, en ont suffisamment parlé. Les malheurs inouïs de presque toute l'Arménie turque et de l'Asie Mineure, en commençant par les horribles massacres de Sassoun, si non excités, du moins nullement ou très faiblement réprimés par les gouverneurs de ces contrées, devaient nécessairement allarmer les cœurs des Zeithouniens, déjà mécontents des traitements de leurs surveillants. Toute la ville et les communes arméniennes voisines reprirent leurs vieux fusils; cette fois ayant à leur tête non seulement quelques-uns de leurs concitoyens, mais encore des jeunes hommes instruits et exercés en Europe, accourus de loin pour les secourir et les guider. Après avoir délibéré et dressé plusieurs plans, le 24 octobre 1895, ils hissèrent le drapeau de la révolte: le 27 du même mois, ils chassèrent la troupe de la garde; le 30 ils assiégèrent et prirent la caserne fatale, en la privant de l'eau potable: 300 soldats turcs prisonniers furent distribués et nourris dans les maisons de la ville; on permit à 400 autres personnes de leurs familles ou de leurs serviteurs d'aller ils voulaient: tous les vivres, les munitions et surtout les armes, les fusils martini, furent pillés et permirent aux Zeithouniens de continuer la guerre et de soutenir un siège d'environ deux mois. Après avoir en procession générale remercié Dieu dans leur célèbre couvent de la Sainte Vierge, et encouragés par la bénédiction du clergé, entre autres d'un prêtre centenaire D. r Isaac, les chefs mirent en ordre leurs petites troupes; et dès le lendemain même (31 octobre) ils battirent, après quatre heures de lutte acharnée, une troupe régulière près du village Tchoukour-ova. Le 15 novembre ils défirent aussi les réguliers et irréguliers à Androun, dont ils prirent ce bourg et délivrèrent plusieurs prisonniers; ils firent de même à Yenidjé-kalé, se trouvaient deux Pères Franciscains emprisonnés, un autre Père du même ordre fut tué par les Turcs. Le 18 du mois, ils délivrèrent aussi les assiégés de Gaban et des villages environnants, dont les habitants se réfugièrent à Zeithoun. Ainsi cette ville se trouva peuplée de 15, 000 âmes de plus qu'en temps ordinaire, et ne tarda pas à se voir à court de vivres et de munitions de guerre.

Les premiers jours de décembre le vali Remzi-pacha, qui avait rassemblé une armée de 50, 000 hommes, sans compter les Gircassiens bachibozouks, s'avança vers Zeithoun, qu'il assiégea de trois côtés, le 16 de ce même mois. Le même jour les Arméniens repoussaient l'ennemi, après un combat acharné, près de Fernouz. Quelques jours après (19 Novembre), un corps de soldats turcs réguliers, de 6 à 8, 000 hommes, sous les ordres du colonel Ali-bey, assiégea le village de Saban, dont les habitants prirent aussitôt la fuite. Mais une poignée d'Arméniens, gens braves et résolus, guidés par un de leurs quatre chefs, et par le prêtre Barthélemie, se jetèrent contre ces Turcs, et arrêtèrent leur marche près du défilé de ce même lieu (Saban). Cependant les Turcs ayant pour eux le nombre, eurent l'avantage, et les Arméniens furent enveloppés et dispersés. Leur chef et le prêtre Barthélemie restés seuls, tous deux à cheval, réussirent à forcer les lignes turques et à se sauver à Zeithoun, malgré la grêle de balles qui les poursuivait. Groupés dans cette ville, les Arméniens, après de nouvelles processions pour se recommander à leurs saints patrons, attaquèrent les assiégeants le 18-20 du mois de décembre et en tuèrent plusieurs milliers. Le 24 ils brûlèrent et abandonnèrent la caserne, dont quelques jours après s'emparèrent les Turcs, qui commencèrent alors à bombarder la ville: mais les 900 boulets qu'ils lancèrent, ne causèrent que des dégats insignifiants et n'intimidèrent point les habitants. C'est plutôt le manque de munitions de tout genre et l'épidémie qui s'en suivit, qui porta le dernier coup à la ville. Les chefs de l'insurrection réussirent à faire parvenir à Marache une personne déguisée qui en rapporta bientôt la nouvelle, qu'une commission y était arrivée de la part des grandes puissances européennes avec le consentement de la sublime Porte, pour arranger la question Zeithounienne. En effet, après quelques pourparlers, le 3 février, 1896, les quatre chefs de l'armée arménienne se rendirent au camp des Turcs, se trouvaient déjà les consuls délégués des dites puissances; en quelques jours furent discutées et établies les conditions de la paix et de l'amnistie: les Zeithouniens étaient obligés de restituer les fusils martini et les autres armes enlevées à la caserne; les quatre chefs et guides de la révolte devaient quitter le territoire de l'empire ottoman, (ce qu'ils firent bientôt). Le gouvernement de sa part consentit, grâce à l'intercession des consuls, à ne pas obliger les Zeithouniens de rebatir eux mêmes la caserne, et à leur donner pour gouverneur ou caïmacam, un chrétien. En effet, quelques mois plus tard pendant le courant de l'année 1896, un Grec y fut envoyé en cette qualité.

 

Selon le tableau statistique que nous avons rapporté plus haut, le nombre des habitants de Zeithoun s'élève à plus de 17, 000; par conséquent il doit y avoir au moins 2, 000 maisons. Quelques-uns prétendent cependant, que, comme il y a quarante ans, aujourd'hui même le nombre des maisons ne surpasse pas 1, 000; d'autres le font monter à 1, 500; enfin un Arménien, en 1863, y comptait 5, 000 maisons. C'est ainsi qu'on ne peut se faire une idée du nombre de la population des villages qu'en se basant sur des calculs probables.

En 1884, le 22 septembre, un grand incendie éclata à Zeithoun qui dévora 500 maisons et 100 magasins. Plus tard, en 1887 un autre incendie plus terrible éclata, le 8 août, qui causa presque la ruine de la ville.

 

Pendant que je m'occupais de la topographie de ces lieux montueux, de Djahan et en particulier du district de Zeithoun, comme je l'ai dit plus haut, je n'avais pas rencontré un voyageur européen qui eût visité et décrit cette région. Au moment je finissais mon ouvrage, je trouvai le récit de voyage d'un explorateur Français, Léon Paul, qui, comme il le dit lui-même, est le premier explorateur qui soit entré à Zeithoun. C'était en 1864; il y passa trois jours (27-9 juin) sous la conduite et la responsabilité du D. r Grégoire Apardian; celui-ci, quelques années auparavant, avait été à Paris et avait trouvé grâce devant l'empereur Napoléon et bon accueil auprès d'autres personnages. L'écrivain ne fait pas une description scientifique du pays et de tout ce qu'il y a vu; il décrit en touriste; il parle de la familiarité des Zeithouniens, et de la bonne réception qu'ils lui firent, et donne beaucoup de détails sur leur mœurs et sur leur industrie, et quelques mots sur la configuration du pays.

Je pense qu'on lira avec plaisir le récit des principales aventures de ce vaillant explorateur européen. Léon Paul se mit en route avec ses compagnons, ses domestiques et deux soldats que le gouverneur de Marache voulut bien lui donner pour escorte. Il avait à sa suite un jeune Arménien de seize ans, qui connaissait l'arménien, le turc, l'arabe, ainsi que le français et l'italien. Il passa les montagnes à pic qui séparent Marache de Zeithoun. Comme sa petite troupe se reposait au bord d'un torrent à l'ombre d'un platane, 12 cavaliers montagnards bien armés se firent voir sur le haut plateau; mais comme ils avaient leurs fusils sous le bras, on les reconnut pour des Zeithouniens amis. Ces gens aussitôt qu'ils nous aperçurent, dit notre voyageur, se hâtèrent de venir nous apporter les saluts et l'invitation des notables de Zeithoun. Ils étaient envoyés par eux pour rencontrer et escorter ces hôtes, dont ils étaient honorés. Tous ces montagnards étaient jeunes, le plus âgé n'avait pas plus de vingt-cinq ans; tous avaient l'air ouvert, aimable, distingué: nous avions de la peine à nous figurer qu'on risquât quelque danger à passer au milieu d'eux sans escorte. Les Zeithouniens étant réputés habiles tireurs, leurs invités voulurent les mettre à l'épreuve; ils posèrent une petite pierre à la distance de 200 mètres et promirent un médjidié (4 frs. ) à celui qui la toucherait; personne ne parvint à atteindre exactement le but, pourtant toutes les balles passèrent très près; et l'on n'eut qu'à admirer la manière toute particulière de tirer des Zeithouniens. «Ils grimpent comme des chats sur un arbre, se cachent dans le feuillage, appuient le canon de leur arme sur une branche et visent avec assez de précision.

Rien de plus beau que leur pays. De grands pins, des platanes énormes, des chênes verts reposent délicieusement les yeux; des ruisseaux qui serpentent, des torrents qui se précipitent, des sources limpides et glacées étanchent la soif et maintiennent les défilés dans un état de verdure permanente, malgré l'ardeur dévorante du soleil».

Ils portaient tous un fusil en bandoulière et marchaient en avant. Ils s'avançaient ensemble en masse; arrivés au bord d'un ruisseau impétueux, tous, à l'exception des deux chefs, se dépouillèrent de leurs vêtements et se jetèrent dans l'eau, s'efforçant de se surpasser en vitesse; ils poussaient des cris joyeux et se débattaient dans les eaux impétueuses du ruisseau comme dans leur élément naturel. Le soleil descendait derrière les montagnes, et il faisait une brize assez fraîche mais agréable, sans causer aucune sensation pénible de froid. L'escorte des Zeithouniens tirait de temps en temps, des coups de fusil en l'honneur des étrangers.

Cependant le chemin devenait de plus en plus difficile, et à un détour, quelques cavaliers se firent voir tout à coup, leur chef dirigeait son cheval fougueux avec une grande adresse. Son costume consistait en une veste longue de couleur rouge, ornée de ganses bleues, et en un large pantalon blanc qui ondulait au souffle du vent; son visage brûlé du soleil, paraissait encore plus noir par le crépuscule. Il avait la mine d'un chef, et réellement il était l'un des plus puissants membres et des plus braves guerriers de la république, le prince Khosroyan. Il s'approcha de ses hôtes avec une élégance vraiment princière; une multitude de citoyens le suivaient, et en signe d'honneur on déchargeait sans cesse des coups de fusil. «Le mauvais état des chemins nous causaient mille ennuis; ajoutez à cela pour comble, les saluts incessants qu'on était obligé d'offrir au peuple qui nous prodiguait ces signes d'honneur, nos bras étaient lassés de ces mouvements réitérés». Les coups de fusil se succédaient sans interruption du haut de la montagne, d'où le D. r Àpardian descendant, après avoir salué le voyageur, posa sa main sur le cou de son cheval et le conduisit au milieu du crépuscule. Soudain des ombres parurent sur une montagne basse, qui fut tout à coup illuminée, et dix cavaliers descendirent rapidement de ses pentes en déchargeant leurs fusils. Après avoir souffert une heure entière, dans des impasses terribles, ils entrevirent quelques maisons de l'autre côté du vallon; enfin ils parvinrent au couvent de la Sainte Vierge, après un voyage de 12 heures. «Je regrette de ne pouvoir donner qu'une bien pâle idée de notre réception. J'entends encore à l'heure qu'il est, l'écho de la montagne, reproduisant les coups de feu tirés en notre honneur avec un roulement semblable à celui du tonnerre: mon seul regret, avant de m'endormir, est, de ne pouvoir dessiner quelques-uns des sites qui nous ont charmés».

A peine eurent-ils monté l'escalier que les princes, les prêtres, les chefs des soldats et les officiers vinrent saluer leurs hôtes, et s'assirent tous; l'évêque, (probablement l'évêque Sarkis), parut d'un caractère affable et gai, et posa plusieurs questions; et lorsque la table fut servie avec du riz et du lait, l'évêque prit sa place, en disant: «Cela nous fermera la bouche». Le français voyant le loche [7] fin pour la première fois, crut que c'était la serviette, et en même temps il cherchait du pain, mais on l'avisa que ce n'était pas seulement du pain, mais que cela remplaçait encore la fourchette et la cuillère.

Il décrit la ville perchée sur la pente accidentée de la montagne, et dont les maisons sont étagées comme les degrés d'un escalier. Les chemins raboteux et tortueux obligent le voyageur à marcher avec force précautions, s'il veut en sortir sain et sauf. Il fait monter le nombre des habitants à 20, 000; la plupart travaillent aux forges et à la préparation du fer: les montagnes leur fournissent le minerai en abondance. On voit dans la ville un petit nombre de Turcomans, auxquels un gouvernement libéral a permis de se fixer.

Les églises sont misérables et les tableaux qui y figurent n'ont aucune valeur artistique. Khosroyan lui en montra un une énorme tête de saint Jean Baptiste était sur une petite assiette, soutenue par deux petits anges fort laids; à part cela, pas la moindre trace d'art. Les églises dans la ville sont au nombre de cinq, pareilles à de vastes hangars, en grande partie en bois; à toute cette laideur s'ajoute celle des grosses billes en verre, rouges et bleues, qui sont suspendues au moyen de pièces de corde liées grossièrement. Quinze prêtres, dont quelques-uns résident dans les couvents, déservent les cinq paroisses.

Les Zeithouniens ont leur Palladium, l'évangile du parjure Vassile. Au moment ce dernier prêtait un faux serment sur ce livre vénéré, il fut, dit-on, frappé d'un coup de poignard par une main invisible, et le sang du criminel jaillit sur le manuscrit; aux grandes solennités, on le tire de son étui pour l'exposer à la vénération des fidèles.

Les grandes cloches des Européens sont inconnues des Zeithouniens; elles feraient crouler les misérables églises tremblantes des Arméniens du Taurus: au lieu de cloches ils usent d'une espèce de crécelle. L'écrivain décrit l'instrument et déclare que ceux qui les frappent ont assez d'art et d'adresse, pour en tirer des sons mélodieux.

On remarque à Zeithoun six grands noisetiers célèbres. Selon Khosroyan, des incurseurs circassiens entrèrent dans ce pays il n'y avait que des femmes et des enfants; soudain les arbres furent couverts de jeunes gens, qui, pendant la nuit, massacrèrent les pillards et ensevelirent les cadavres sous de grandes masses rocheuses et élevèrent dessus une croix de fer. Le Français demanda au chef s'il n'avait pas peur de nouvelles incursions. Celui-ci avec un sourire, lui montra le rocher, et lui dit: «II y a encore assez de place là-dessous». Le voyageur, dans ses promenades d'exploration, rencontra au nord-ouest de la ville les chemins que les torrents des montagnes se sont creusés à travers les rochers dont les blocs massifs sont troués en plusieurs points pour livrer passage aux eaux, qui tantôt se précipitent avec un grand bruit, tantôt s'écoulent avec un doux murmure. La profondeur des abîmes donne la vertige aux personnes les plus vigoureuses, et notre voyageur s'étonna du courage qu'il avait eu de passer dans de tels lieux pendant la nuit, alors qu'il eut pu y être écrasé plusieurs fois. Au bord du fleuve on a établi des bains à découvert, pour les femmes, et personne, disait le prince, ne les regarde de mauvais œil, car elles sont nos femmes, nos sœurs et nos filles.

Le voyageur trouva les Zeithouniens de mœurs fort douces et affables, et dit qu'on ne saurait leur reprocher un assassinat, ayant le vol pour mobile. Ils sont, ajoute-t-il, si réguliers qu'ils n'y a pas de prisons chez eux; lorsqu'un Zeithounien commet un crime on l'exile: si après un certain temps il retourne en montrant du repentir, on l'oblige à aller s'enfermer dans un couvent pour faire pénitence durant quelque temps et à distribuer des aumônes selon sa fortune. Les hommes travaillent le fer; les femmes sont occupées principalement à l'élevage des vers-à-soie; les enfants fréquentent les écoles jusqu'à l'âge de dix ans, ils y reçoivent une éducation élémentaire, conforme au savoir de leurs maîtres. Quant à la religion, les Zeithouniens se montrent tolérants envers les Turcs, mais inexorables envers les renégats: en 1845 ils écorchèrent et brûlèrent un prêtre qui avait apostasié, et ils racontaient ce fait avec le plus grand sang-froid.

Lorsqu'ils veulent introduire un nouveau règlement ou amender quelqu'autre qui est en vigueur, les Zeithouniens assemblent les prêtres et leur déclarent leur intention; ceux-ci à leur tour font assembler les vieillards et leur communiquent la demande du peuple: alors les vieillards examinent la question et décident ce qui leur paraît bon.

Le pouvoir exécutif dépend de quatre notables, qui sont choisis ou parmi la noblesse de la tribu ou parmi les plus éclairés par leur intelligence; ils écoutent les vieillards avec respect et exécutent selon qu'ils jugent convenable; c'est leur patriotisme qui les fait placer à la tête du peuple, auquel appartient le plein pouvoir de démettre ses chefs s'ils tombent dans des fautes graves. En temps de guerre c'est aux princes qu'incombe le droit de rassembler tous les hommes en état de porter les armes; la levée en masse comprend de 7 à 8 mille combattants de seize à soixante-cinq ans, armés à leurs frais.

Enfin notre voyageur parle d'un chant national ou de guerre de ces montagnards, que V. Langlois avait traduit et publié; le D. r Apardian montra à notre voyageur, avec un certain orgueil, un de ses ouvrages.

Après deux jours, (le 29 juin), nos voyageurs voulurent partir de Zeithoun le matin de bonne heure, pour se rendre à Hadjine; mais il leur fut impossible de trouver des gens d'escorte, à cause des dangers qui pouvaient résulter de l'inimitié des Circassiens. Ils crurent devoir se plaindre de cette lâcheté devant Khosroyan. Le prince garda le silence, mais mettant la main sur l'épaule du plaignant, il regarda en arrière, et aussitôt se présentèrent quatre hommes armés de fusils et de pistolets, avec leurs vêtements retroussés, pour courir plus librement. «Vous pouvez à présent partir, leur dit-il, avec confiance; ces hommes vous serviront de guide». Lorsqu'ils voulurent passer au prince de l'argent pour récompenser les hommes qui étaient venus à leur rencontre: «Ce serait une injure pour eux, dit-il, ils ne l'accepteront pas». Puis, comme on le priait avec instance de l'accepter comme aumône pour les pauvres, le prince prit l'argent et le passa à l'évêque.

Les quatre jeunes hommes se mirent en marche, après avoir jeté un regard de mépris sur les gardes qui accompagnaient les voyageurs, et quelques minutes après ils se mirent à chanter un de leurs chants de guerre, qui inspira même à nos chevaux, dit l'écrivain, une ardeur fougueuse.

Presque tout le chemin était en pente; à droite s'élevaient de hauts rochers abrupts et à gauche on ne voyaient que des cimes couvertes d'arbres et se perdant dans les nuages. Aucune description ne pourrait rendre la beauté de la nature dans cette région, la main de l'homme n'avait fait aucun changement ni aucun travail; elle est telle que Dieu l'a créée. s'élèvent de hauts cèdres, des platanes à larges feuilles, des chênes déracinés et renversés sur le sol, n'attendant que le jour ils serviront à allumer le feu, et des peupliers vieillis, qu'un orage doit renverser pour qu'on en puisse faire des ponts rustiques sur le torrent. «Toutes ces hauteurs et ces cavités étaient verdoyantes, arrosées de plusieurs sources d'eau; et le bruit des cigales seulement interrompait le silence sublime qui régnait dans ces places; le soleil paraissait se jouer de nous à travers l'épais feuillage des arbres; le ciel azur qui s'étendait sur notre tête, remplissait le cœur de reconnaissance envers celui qui y habite et qui est notre protecteur.

Après quatre heures de chemin, les voyageurs arrivèrent dans une place toute boisée, coulait un ruisseau clair et bruyant, et s'élevait d'un côté le tronc d'un cèdre sec, qui impressionna fortement notre voyageur, et lui suggéra des réflexions morales qui durèrent pendant toute la descente du chemin, jusqu'ils fussent arrivés dans une plaine; ils rencontrèrent des Circassiens, tous armés et la faulx sur l'épaule; les Zeithouniens les regardèrent fixement d'un air farouche, mais aucun accident fâcheux ne se produisit; des deux côtés on se croisa tranquillement, et peu après les voyageurs arrivèrent aux portes de Cocusson; mais les jeunes hommes ne voulant pas y entrer, se dirigèrent vers le village arménien Kiradji-oghlou. Les gardes voulaient aller loger dans la ville; mais comme il y avait à craindre que leurs coreligionnaires excités par leurs paroles n'assaillissent les Zeithouniens, les voyageurs les obligèrent par des prières d'abord, ensuite par des menaces, à renoncer à leur intention; l'un d'eux cependant résistant à tout conseil, réussit à s'échapper et à prendre la course vers la ville; mais l'un des Zeithouniens le coucha promptement en joue et l'obligea de revenir sur ses pas.

Les voyageurs continuant leur chemin, arrivèrent dans les tentes des Arméniens, ils trouvèrent un bon accueil; pour les honorer on leur offrit des laitages. Le jour suivant de bonne heure (30 juin), ils se dirigèrent vers la plaine, l'on voyait des cigognes blanches et des bœufs à larges cornes. Deux heures après, ils étaient en face des montagnes et furent obligés de passer à travers des chemins très difficiles, étroits et escarpés, ayant à peine une largeur de 26 centimètres, mais les montagnards qui les guidaient, couraient comme des chevreuils, et regardant continuellement les voyageurs ils leur criaient et leur indiquaient la direction, jusqu'à ce qu'ils fussent enfin arrivés aux bords du fleuve. Les rives parurent admirablement belles à notre voyageur, et il regrette de n'avoir pas pu prendre quelque vue. Nous laissons de côté la description qu'il en fait, car il n'indique pas distinctement la position des divers lieux ni leur distance; il paraît pourtant que c'était entre Cocusson et Hadjine, ils arrivèrent pendant la nuit, après avoir traversé, en montant et en descendant, les passages difficiles des montagnes, et les gardes se plaignaient amèrement; car ils avaient marché pendant 14 heures, hormis les quelques heures de repos; ils passèrent la nuit dans un couvent de Hadjine. Le lendemain (1 juillet), les Zeithouniens se séparèrent des voyageurs, après leur avoir baisé la main, ainsi que celle du recteur de Hadjine (que l'écrivain appelle patriarche, peut-être le catholicos était-il dans cette ville ces jours-là). Ils retroussèrent leurs vêtements, prirent leurs fusils sur l'épaule, et après avoir, pour une dernière fois, jeté un regard de mépris sur les gardes, s'éloignèrent à pas accélérés à travers les montagnes de Hadjine, en laissant les voyageurs pleins d'une reconnaissante admiration pour ces intrépides enfants du Taurus, «toujours en train, toujours obligeants», comme le dit lui même l'écrivain.



[1] La première édition du livre de M. r Edmond Boissier, parût à Bâle, en 1866; elle n'était pas encore achevée lors de la publication de notre ouvrage en arménien; peut-être dans la dernière partie de son livre trouverait-on indiquées encore d'autres plantes qui croissent sur la montagne Brid; l'altitude des endroits croissent ces plantes est indiquée en pieds parisiens.

Ranunculus demissus major. Papaver caucasicum.

Arabis sagittata.

Cardamine uliginosa. Barbarea minor, 8000'. Erisimum thyrsoideum.

gelidum Armeniacum.

  alpestre. Hesperis thyrsoidea.

campicarpa, 8000'.

Cochlearia sempervivum, 7000'.

Anchonum helychrysifolium, 9-10, 000', selon Tournefort, Hesperis Armena helycrisifolio flore luteo.

Alyssum condensata.

peltarioides.

eriophyllum.

Haussknechtij.

Thlaspi Haussknechtij, 9-10, 000'. Aethionema coridifolium.

schistosum.

lignosum.

speciosum.

Isatis frigida.

Aucheri.

corymbosa.

Fumana aciphylla.

Draba Natolica.

Ptilotrichum cyclocarpum, 9000'.

Heldreichia buplevrifolia, 9000'.

Polygala anatolica, 6000'.

Dianthus Haussknechtij, 6000'.

Muschianus major, 8000'.

Gypsophila libanotica, 8000'.

Silène capitellata.

pruinosa.

—- arguta.

odontopetala.

commutata.

 

dianthifolia, 6-9000'.

Alsine dianthifolia.

juniperiana.

erythrosepala, 8-9000'.

Arenaria rotundifolia.

drypidea.

Tmolea.

acerosa, 7-10, 000'.

Paronychia capitata.

Erodium micropetalum, 8000'.

Acer Hyrcanicum tauricolum, 6-7000'.

Tunica stricta, 6000.

Lepyrodiclis holosteoides, 8000'.

Genista albida Montbreti, 6000.

Trigonella glomerata.

Trifolium pratense majus.

arvense.

Anthyllis vulneraria stenophylla, 8000'.

Coronella Cappadocica, 7000'.

Astragallus Haussknechtij, 9-10, 000'.

Berytius.

melanocarpus, 8-10, 000'.

nanus, 8000'.

fraxinifolius, 7000'.

pennatus, 8000'

cymbostegis.

hilaris.

oleifolius.

Hedysarum erithroleucum, 9-10, 000'.

Onobrychis sativa montana.

cornuta.

alpestris hypoleuca.

Pyrus eleagrifolia.

Cotoneaster vulgaris integrifolia.

Rosa glutinosa.

—tomentosa, 8000'.

Spirea ulmaria.

Rubus cæsius.

tomentosus, 7000'.

Geun urbanum.

Potentilla Kotschyi.

Agrimonia repens.

Alchemilla vulgaris major.

Epilobium origanifolium, 7000'.

Umbilicus Pestalozzæ, 8000'.

Libanoticus.

aizoon, 7-9000'.

Sedum album, 8000'.

tenellum, 8000'.

Laconicum.

Saxifraga Kotschyi, 8000'

Eryngium Billardieri, 6-8000'.

Bupleurum baldense ænum.

Pimpinella tragium.

Carum Burgæi Cataonicum.

Grammosciadium Haussknechtij, 6000'.

Anthriscus macrocarpa.

Hippomarathrum crispum, 6000'

Prangos Uechtritzii, 7000'.

Cnidium conifolium, 7000'.

Ferulago pauciradicata.

Johrenia Berytea, 7-9000'.

Peucedonum depauperatum.

Heracleum humile.

pastinaca, 9000'.

Pastinaca glandulosa, 7000'.

Viburnum opulus.

Lonicera orientalis, 7000'.

Crucianella exasperata, 7000'.

Asperula glomerata capitata, 7000'

stricta latibractea, 8000'

involucrata.

Galium orientale elatius.

Galium cornigerum, 8000'.

coronatum, 8000'.

Valeriana alliariæfolia.

Cephalaria stellipilis.

Inula germanica.

Montbretiana.

acaulis, 8-9000'.

Helichrysum Pallasij chioniphilum, 9-10, 000'.

Acbillea adorata.

compacta.

Armenorum, 9-10, 000'.

Chamæmelum monticolum, 8000'.

Pyrethrum fruticulosum, 8000'.

Kotschy, 9000'.

Balsamita, 6-7000'.

Cilicicum, 5-6000'.

densum.

argenteum, 8-9000'.

Pyrethrum Cappadocicum.

Cadmeum.

Doronicum maximum.

Senecio jurinefolia, 9-10, 000'.

Gundelia Tournefortij, 8000'.

Echinops viscosus.

Heldreichij.

Cousinia eriocephala, 8000'.

Onopordon polycephalum, 6-7000'.

Yurinea Anatolica, 6000'.

depressa, 9000'.

Phæopappus rupestris, 7000'.

Kotschyi.

Centaurea mucronifera.

Leontodon hastile, 9000'.

asperum.

Scorzonera Jacquiniana alpina, 8000'.

Tragopogon buphtalmoides humile, 6000'.

Tragopogon brevifolium, 6000'.

Taraxacum montanum.

officinale alpinum, 8000'.

    integrifolium, 9000'

Lactuca Cataonica.

Hieracium pannosum.

    præaltum, 7-8000'.

Campanula telephoides, 8-9000'.

    podanthoides.

    stricta genuina.

    libanotica, 9000'

    jasionefolia, 6000'.

Podanthum virgatum, 5-9000'.

Primula auriculata, 8000'

Convulvulus Cataonicus, 5000'.

    cochlearis, 7000'.

Onosma mutabile, 6-9000'.

    Armenum, 7000'.

Paracaryum Reuteri, 6-10, 000'.

Mattia cespitosa.

Verbascum subnivæ, 8-9000'.

    cheiranthifolium.

    alyssifolium, 6000'.

    eriorrhabdon.

Scrophularia Scopolij Tmolea, 7000'.

Veronica cinerea.

    chamæpytis.

Odontites Aucherij, 7-8000'.

Pedicularis Cadmea, 9-10, 000'.

    comosa acmodonta, 8000'.

Phelipea arenaria, 8000'.

    cælestis.

    lavandulacea.

Origanum vulgare viride.

Nepeta leptantha, 7000'.

    aristata, 7000'.

Salvia grandiflora.

Cataonica, 3-4000'.

     Haussknechtij, 7-8000'.

     verbascifolia, 7000'.

     crassifolia.

     Russelij, 3500-6000'

Marrubium cephalanthus, 6-8000'

Marrubium faucidens.

Stachys Balansæ, 6000'.

     lavandulæfolia.

Phlomis capitata.

     linearis.

Teucrium procerum.

Acantholimon venustum.

     Lycaonium, 8-9000'.

     Armenum.

     Kotschyi.

     echinus, 8-9000'

Plantago carinata, 6000'.

Noea Tournefortij.

Rheum ribes, 7000'.

Rumex angustifolia, 7000'.

     acetoselloides.

Daphne oleoides, 8-9000'.

Thesium ramosum.

impressum, 8000'

    Tauricolum, 7000'.

Pilostyles Haussknecthij.

Euphorbia Szovitsii, 8000'.

    herniariæfolia.

Quercus Libani.

Orchis angustifolia, 8000'.

Gladiolus imbricatus, 7000'.

Ornithogalum tenuifolium.

Allium ampeloprasum leucanthum.

Allium glumaceum, 7900'.

chlorurum, 9000'.

Evermurus spectabilis, 8000'.

Scirpus setaceus.

Carex cilicicum, 8000'

[2] La vie des Saints dans laquelle nous lisons le récit de ce martyre est écrite avec des lettres d'anciennes formes et paraît être un ouvrage du XII e siècle.

[3] Traduction du fac-similé: «Gloire à la Sainte Trinité, au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Ainsi soit-il. Ce livre d'Ordination a été écrit en 1045 (1596); à la demande de moi, Jacques, évêque indigne; pour mon propre usage et en souvenir de mon âme et de mes parents et de toute ma famille. Amen. Ce livre fut écrit dans le couvent de Zeithoun, près de l'église de la Sainte Vierge, durant le supériorat de l'archevêque Der Dzéroun. Qu'à celui qui dira: «Que Dieu lui soit miséricordieux, qu'à celui-là Dieu accorde miséricorde pour vous et nous. Notre père qui».

[4] Car il dit: J'entendais les gémissements navrants de notre ville Germanice, qui est Marache, régnait la famine avec chereté des provisions: six drachmes de pain coûtaient un para et mes enfants y demeuraient, et il n'y avait ni qui venait ni qui partait. Sous de semblables calamités je copiai l'hymnaire d'un exemplaire bon et excellent »  etc.

[5] Selon d'autres écrivains, son prédécesseur s'appelait également Jacques et était surnommé Bechedian. Après la mort de Bostanian se succédèrent sans interruption les évêques et les docteurs suivants:

Jean de Tcharsandjak

Pascal D r. Der-David

Serge évêque Khantkarian

Jean évêque Euksuzian

Sarkis évêque Koulighian, etc.

[6] Celui-ci, à cause de son âge très avancé, avait donné sa démission et demeurait dans le couvent, et il vivait encore à l'époque j'écrivais mon livre (1882).

[7] Loche ou Lavache, լօշ, լաւաշ, espèce de pain, plat et mince.