Sisouan ou lArméno-Cilicie

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  Nous avons décrit les vallées moyennes et supérieures du Cydnus dès le début de notre topographie générale de Sissouan: après avoir traversé les défilés de la Cilicie, nous sommes parvenus à Mopsucrène et jusqu'à l'entrée de la plaine; maintenant en descendant vers le sud il nous reste à explorer la vallée inférieure du fleuve qui s'étend jusqu'à la mer. La ville de Tarse n'est qu'à quelques kilomètres des montagnes du nord-ouest, et à quatre kilomètres de la mer. Ce qu'on appelle «la Plaine de Tarse» se trouve à l'est et au sud de la ville, et elle est coupée par le célèbre fleuve du Cydnus, qui coule directement vers le sud avec de petites déviations. La magnifique végétation de cette partie de la Cilicie a toujours été célébrée; elle est surtout très riche aux alentours de la ville, qui est entourée de jardins et de vergers. Les vignes, les figuiers, les oliviers, les mûriers et les orangers y abondent, de même le coton, dont le commerce est si avantageux pour le pays.

Les monts à pentes rapides et à précipices abritent dans leurs buissons force gibier: des gazelles, des coqs et des oies sauvages, et d'autres oiseaux. Vu la fertilité du terrain, les habitants de cette partie de la Cilicie devraient être nombreux, comme ils l'étaient autrefois. Tarse a été en effet la première et la plus florissante des capitales successives de la Cilicie; cette ville est connue depuis 2500 ans. Réduite maintenant au même état que toutes les autres villes de ce pays, elle n'a plus à ses alentours ni bourgs, ni villages importants. Toute la région de l'est jusqu'aux frontières d'Adana, et au sud, jusqu'à la mer, est presqu'un désert. Cependant ce manque d'habitants, est surtout au climat très chaud et malsain.

Cette partie du territoire de la Cilicie a subi depuis les temps anciens de curieuses et continuelles transformations: autrefois la ville de Tarse était presque maritime, en communication avec le golfe de Rhegma qui, à une lieue à peine des murailles de la ville, recevait un fleuve navigable, et les vaisseaux de la Méditerranée pouvaient ainsi arriver jusqu'aux portes de Tarse. De nos jours, comme nous l'avons dit plus haut, la ville reste à quatre ou cinq kilomètres de la mer, et son terrain marécageux a été formé par les dépots du fleuve. Tous les anciens ports sont encombrés au sud de Tarse, et on est obligé maintenant pour en trouver un, d'aller jusqu'à Mersine, c'est-à-dire, plus de 20 kilomètres à l'ouest de la ville. Tarse devait donc fatalement perdre son prestige et son éclat, et Adana, comme nous l'avons vu, lui a été préférée et est devenue le siège du gouverneur. Pourtant Tarse est l'une des villes et l'un des points du terrain qui a conservé le plus intacts les souvenirs anciens et glorieux. Nous allons les explorer, avec d'autant plus de loisir que, comme nous l'avons indiqué, toute la vallée inférieure du Cydnus ne nous offre aucune autre construction que cette grande capitale isolée.

Quel fut le fondateur de Tarse? Les mythologistes grecs avancent diverses affirmations: l'un d'eux, Athénodor, natif de Tarse, la fait remonter jusqu'aux Japhetionides; selon lui cette ville aurait été construite par Anchiale, fille de Japhet, (laquelle avait déjà donné son nom à une ville maritime aussi célèbre que Tarse), et par son fils Cydnus, qui donna le sien au fleuve, et par Parthénius, fils de ce dernier, qui éleva aux environs une ville appelée Parthenia. Selon Josèphe et d'autres, ce serait Tarsis fils de Javan qui aurait fondé la ville. Ce nom de Tarse pourrait bien aussi provenir d'un mot grec qui signifie Terre ferme, peut-être aussi parce que ce furent ses habitants qui inventèrent la manière de sécher les fruits, ou parce que ce fut ce terrain qui fut visible le premier après le déluge; ou, enfin, du mot grec ταρσος qui signifie talon, comme si le héros Bellérophon y eût laissé les traces de ses talons!

(p. 306- Tarsus, ancienne capitale de la Cilicie) Mais les savants attribuent plutôt l'origine de Tarse aux descendants de Sem qu'à ceux de Japhet. Ce qui est hors de doute c'est que ce lieu si florissant dans le passé, existait déjà du temps des souverains Assyriens; dont le dernier, Sardanapale ou Thonos-Concoléros, selon le témoignage des historiens anciens (Eusèbe), fonda en un même jour les deux villes de Tarse et d'Anchiale, (820 ans avant J. -C), comme il le fit écrire sur son tombeau. Abydénus l'attribue à Sennachérib, et notre historien Thomas l'Ardzerouni, admettant cette opinion repète: «Sennachérib construisit la ville de Tarse à l'instar de Babylone, faisant passer le fleuve par le milieu».

Michel le Syrien apporte une autre version: «La vingtième année, dit-il, du gouvernement de Tola (juge des Israélites) fut construite la ville de Tarse des Ciliciens par Brissus (Persée), fils de Danaé». Selon d'autres auteurs grecs, l'Argien Triptolème aurait bâti la ville pendant qu'il était à la recherche de Io. Quelques autres en regardent comme le vrai fondateur, Perséus (1326 ans avant J. -C. ) et allèguent qu'elle fut appelée Perséopolis, Περσε ̉ ω πολιν. Quelques-uns enfin ont entrevu dans la ville de Tarse, la Tarchiche des Ecritures saintes, la grande ville commerçante; mais les exégètes les plus autorisés placent cette dernière ville sur les côtes d'Espagne. Tant de divergences d'opinions sont une preuve de la grandeur et de la splendeur de cette ville qui a intéressé tant de monde. C'est pourquoi nous croyons devoir ajouter ici le témoignage de notre Saint Nersès de Lambroun, qui est pour nous, après Saint Paul, la plus grande gloire de Tarse: «Cette ville, dit-il, appartient aux Ciliciens. Arrosée des eaux du Cydnus, elle est située au pied du Taurus, montagne très grande de la Cilicie. Elle fut construite par Sénnachérib, roi des Syriens; car, lorsqu'il apprit en venant de l'Assyrie que les Grecs avaient fait une irruption dans le territoire des Ciliciens, il les attaqua. En jetant ainsi son armée en face de l'ennemi, il souffrit une grande perte de soldats, toutefois la victoire lui resta. Il fit ériger sa statue à la même place. Une inscription en lettres chaldéennes, devait transmettre aux générations futures le souvenir de sa bravoure et de sa force: et à la même place il éleva une ville à l'imitation de Babylone, et l'appela Tarsine. L'histoire même prophétique de Jonas fait allusion à cette ville et non pas à la Tharsis d'Ethiopie» [1] .

Les Arméniens écrivent Tarson, Տարսոն, et rarement Tarsous, ainsi que les étrangers qui disent presque toujours Ταρσο ̀ ς, Tarsus, et quelquefois Τερσο ̀ ς. Comme il y avait encore dans les temps anciens une autre ville de ce même nom, on ajoutait pour la première, près du Cydnus, Ταρσός πρές τω̣ Κύδνφ. Les Turcs et les Arabes aussi l'appellent Darsous طرسوس. Au moyen âge les Latins écrivaient par corruption Tursolt. On trouve à Tarse des monnaies avec diverses effigies, la plupart avec des inscriptions grecques, quelques-unes avec des lettres phéniciennes, comme celle que nous reproduisons: on y voit l'image de Baal, et au revers un lion en train de tuer un taureau ou un cerf, symbole du Persan conquérant du Taurus; d'autres représentent Sardanapale ou son tombeau pyramidal. (p. 307- Ancienne monnaie de Tarse) Dans les fouilles que l'on a faites aux alentours de la ville, on a trouvé plusieurs terres-cuites et des pierres avec des inscriptions et figures mythologiques. Tout cela prouve clairement que Tarse eut des habitants de différentes religions et nationalités, mais surtout des Grecs. Ceux-ci au temps d'Alexandre réussirent à en faire une ville grecque, en y introduisant leur langue et leur civilisation. (p. 307- Monnaie grecque de Tarse)

Les données certaines sur la ville remontent à un siècle avant ce changement, c'est-à-dire 400 ans avant l'ère chrétienne, à Cyrus le Jeune, qui, dans sa marche contre son frère s'y reposa 20 jours, chez Syennis gouverneur ou roi du pays. Toutefois plusieurs la font remonter encore plus haut, en admettant que Tarchiche s'enfuit le prophète Jonas n'est autre que Tarsus dont nous parlons: ils lui attribuent encore les paroles des lamentations d'Ezéchiel sur Tyr «Syrus negotiator tuus, propter multitudinem operum tuorum ». Quoiqu'il en soit, il est certain que Tarsus fut anciennement très florissante, par son commerce, grâce à son port sûr et commode, il avait un mouvement, selon quelques historiens, de 3, 000 bateaux par an. Tous ceux qui nous rapportent le passage d'Alexandre le Grand par la ville de Tarse, n'oublient point de mentionner son bain dans le Cydnus et sa maladie mortelle, que plusieurs veulent attribuer à la qualité des eaux, mais les auteurs sérieux rejettent cette opinion. Alexandre délivra Tarse du joug des Perses qui y avaient alors établi pour gouverneur un certain Archam.

Durant la dynastie des Séleucides, sous l'autorité desquels elle tomba, la ville fit de grands progrès dans les arts, le commerce et les sciences, au point d'être estimée la première au point de vue intellectuel après Athènes et Alexandrie. Elle conserva cette prérogative durant six ou sept siècles au moins; elle surpassait toutes les villes de l'Asie Mineure. Peu à peu sa population s'augmenta, et Michel le Syrien rapporte que Séleucus força de s'établir à Tarse un grand nombre d'étrangers, car, à cause de son climat malsain, bien peu de personnes consentaient à y demeurer. Enfin comme les rois des Syriens ou des Séleucides portaient ordinairement le nom d'Antiochus, Tarse fut aussi appelée la ville des Antiochiens, avec le surnom de « près du Cydnus», comme on le voit sur les monnaies.

Cette ville fut la patrie ou le séjour de plusieurs personnages savants, comme les deux Athénodor, les stoïciens Antipatrus, Archedamus et Nestor l'académicien, et les grammairiens, Artemior et Diodore, le comédien Dionyside et d'autres.

Pompée fut le premier qui soumit Tarse à l'empire de Rome; il lui octroya des privilèges de liberté; elle fut encore plus honorée par César: dont elle s'était montrée partisan dans la guerre civile; on l'appela dès lors ville de César, Juliopolis; Antoine la favorisa encore plus, en l'exemptant d'impôt.

Tout le monde connaît la réception magnifique que fit Antoine à Cléopâtre, lorsque remontant le cours du Cydnue, dans un bateau garni de voiles de pourpre, cette reine, toujours pompeusement parée, vint le trouver dans la ville. Elle avait envie de gagner par ses charmes le cœur du voluptueux consul; mais cette entrevue n'aboutit qu'à leur perte commune. Leur vainqueur, César Auguste, accorda à Tarse les privilèges des villes libres, et l'on inscrivit sur les monnaies Libera Civitas. Nous pourrions dire que Tarse atteint l'apogée de sa splendeur, par la grâce du Dominateur suprême; car presqu'en même temps Dieu lui accorda la fortune de donner le jour à un homme incomparable, à Saint Paul, l'Apôtre universel, et vase d'élection; qui se disait lui même: «Juif de Tarse en Cilicie, et citoyen de cette ville célèbre»; libre citoyen romain par naissance [2] .

Or, la patrie d'un tel personnage, la capitale d'un grand territoire de l'Asie Mineure, devait être fournie d'un glorieux siége ecclésiastique; elle eut pour premier pasteur Jason disciple de Paul: elle devint ensuite un siège archiépiscopal ou métropolitain, dépendant du patriarcat d'Antioche, mais ayant pourtant sous sa propre juridiction sept siéges d'évêques [3] . Vers la fin du X e siècle on y établit un siège archiépiscopal arménien. Ce siège fut occupé pendant le dernier quart du XII e siècle, par l'immortel Saint Nersès de Lambroun, digne fils de Saint Paul, et l'un des flambeaux éclatants de notre église.

L'importance de la ville et le grand nombre de chrétiens qui y séjournaient excitèrent probablement les persécutions: on pourrait y citer plusieurs martyrs du Christ; les uns furent exécutés dans la ville même; les autres jugés seulement et envoyés ailleurs pour y verser leur sang; ainsi Sainte Aréthuse, sous Valérien; Cyrianée et Julienne sous Maximien; la vierge Pélagie, sous Dioclétien, Saint Boniface [4] , et enfin Taracus et ses compagnons; Zénaïde et Philonille, parents et disciples de Saint Paul, versèrent aussi leur sang dès les premiers temps de l'Eglise. C'est après les persécutions seulement que le siège de Tarse fut élevé canoniquement au grade de siège métropolitain, et dans les conciles de l'église il est rangé parmi les plus importants. Un des plus fameux citoyens de Tarse, grâce à sa science, fut Diodore, maître de Théodore de Mopsueste, à qui il fit partager ses erreurs.

A mesure que leurs colonies se développaient dans cette région, les Croisés établirent à Tarse un archevêque latin, et Léon le Grand consentit à le recevoir; il se brouilla cependant quelquefois avec lui et le chassa, puis l'invita de nouveau à revenir.

Nos historiens arméniens rapportent que vers le milieu du IV e siècle, Archélaüs, prince de la IV e Arménie, se réfugia à Tarse, après avoir tué Saint Arisdacés, fils de Saint Grégoire l'Illuminateur. Dans ce même siècle la ville vit les funérailles de Julien l'Apostat, puis celles de Jovien, son successeur. D'autres princes avaient été déjà enterrés à Tarse: les empereurs Tacite, Florien son frère, et Maximien. Tarse, n'était donc pas seulement estimée comme la ville principale d'un canton ou d'un pays, mais encore comme l'une des plus glorieuses villes du vaste empire des Romains et des Byzantins en Orient. Les empereurs y séjournaient quelquefois. Les prétendants à la couronne s'y retranchèrent aussi, comme Léon sous le règne de l'empereur Zénon (484), et Athénodore, au temps d'Anastase, (497).

Vers la fin du VI e siècle, l'empereur Maurice restaura le temple de Saint-Paul. Au commencement du VII e siècle Khorème, général persan, envoyé par Khosroès II, conquit la ville de Tarse, mais l'empereur Héracle ayant conclu un traité avec les Perses, la ville lui fut rendue. Peu après, de nouveaux conquérants, les Arabes, soumirent pour longtemps cette ville; non seulement ils y instituèrent des gouverneurs comme dans les autres districts, mais quelques-uns de leurs califes vinrent s'y établir; c'est que mourut, le 31 Juillet, 833 Mémoun, dont le fils, dans la même ville, combattit avec grand acharnement contre les Grecs. Quelques années après, en 865, l'empereur Nicéphore, avec l'aide de son général, Jean Zimisces, assiégea Tarse et la réduisit par la famine. Il la repeupla de chrétiens, transporta ses portes et celles de Mopsueste à Constantinople, en signe de sa victoire, et les attacha aux murailles et à la Porte d'or. Pantaléon, docteur arménien contemporain, rapporte ainsi cet événement: «L'empereur vainquit les païens en plusieurs guerres et brisa le joug qui pesait sur le cou des chrétiens; il s'empara de plusieurs châteaux inaccessibles, surtout de la grande, célèbre et magnifique Tarse des Ciliciens... et il en emporta les ornements de leurs chefs, les mages, pour embellir Sainte-Sophie». Il délivra de même les bannières chrétiennes que les Arabes avaient arrachées 90 ans avant (en 877), après avoir battu près de Tarse l'insoucieux général Stupiote. Basile II, le successeur de ces conquérents, eut soin de fortifier encore davantage la ville et ses alentours, pour y assurer la prédominance des Grecs; il y séjourna une année (999-1000).

La domination des Grecs dura un siècle, leur gouverneur résidait à Tarse. Dans le troisième quart du XIe siècle leur représentant était un arménien, Abelgharib Ardzerouni, fils de Khatchig; durant la présidence duquel ou quelque peu avant, le catholicos Georges, l'assistant du grand Martyrophile (Grégoire II) renvoyé par ce dernier, se retira à Tarse avec le repentir dans son cœur et y mourut.

A la première apparition des Croisés, avant la prise d'Antioche, la troupe de l'ardent Tancrède, parvint la première à Tarse; grâce à la coopération des habitants arméniens, il en chassa la garnison turque et fit hisser sa bannière sur les murailles; Baudouin, frère de Godefroy de Bouillon, arriva contre la ville, avec une troupe plus forte, et se crut en droit de remplacer le drapeau de Tancrède par le sien. Tancrède lui céda la place et alla conquérir la ville de Mamestie. Peu de temps après, 300 pèlerins se firent voir à la porte de la ville; mais comme on ne leur permit pas l'entrée, ils furent tous massacrés par les Turcs. Ce fait irrita extrêmement tous les chrétiens contre Baudouin; celui-ci s'excusa d'abord, en prétextant une alliance avec les Turcs; mais à la fin pour apaiser l'excitation, il chassa tous les Turcs de la ville et crut avoir ainsi réparé sa faute. A partir de cette époque jusqu'à la fin du XII e siècle, Tarse fut un continuel objet de querelle entre les Grecs, les Latins et les Arméniens: ces derniers s'en emparèrent enfin définitivement et en devinrent maîtres absolus. D'abord ce fut l'audacieux Baron Léon, en 1130, qui, selon le Docteur Vahram,

  «S'empara de Mamestie

Et parvint jusqu'à la grande Tarse».

 

Après lui Thoros II, son digne fils, plus heureux que lui,

 

«Enrôla des soldats

Et conquit l'illustre Tarse».

 

Durant les règnes assez courts, de son frère Meléh et de son neveu Roupin II, Tarse tomba sous la domination du prince d'Antioche; aussi Léon, neveu de Meléh, s'y réfugia d'abord pour couper court aux calomnies de quelques uns auprès de son frère, de , il passa à Constantinople (1181). Deux ans après, le prince d'Antioche revendit Tarse à Roupin; car il n'espérait plus conserver sous sa domination cette grande ville si lointaine, perdue au milieu des possessions du grand prince des montagnes [5] .

Arrivés à ce point de l'histoire de la ville, je crois convenable de jeter un coup d'œil sur les alentours de Tarse, avant d'exposer les faits historiques arméniens, et d'explorer les débris des édifices de ses premiers conquérants. Ces restes ont été de plus en plus détruits; toutefois on en aperçoit les traces et les fondements. D'abord nous devons nous arrêter un peu sur la position de la ville qui a soulevé plusieurs discussions; nous avons indiqué plus haut, que Tarse était coupée par le fleuve Cydnus, comme Babylone par l'Euphrate, selon le témoignage de nos historiens Arméniens, parmi lesquels Etienne Assoligue. Or, la ville actuelle est à la droite, à l'ouest du fleuve. Quelques savants ont supposé que ce dernier avait changé son cour; d'autres n'attribuent aucun changement ni au fleuve ni à la ville, supposant qu'elle n'était pas traversée par le fleuve, mais coupée par quelques canaux qui y aboutissaient, comme on en voit encore de nos jours; en tout cas la partie la plus importante et surtout les murailles de la ville sont sur la rive droite du fleuve; sur la gauche on ne voit rien de remarquable, on pourrait alléguer que la Tarse actuelle ne représente qu'un quart de l'ancienne.

Parmi les constructions les plus anciennes, nous pouvons citer les remparts; mais comme ils furent restaurés plusieurs fois, c'est à peine si sur les fondements on aperçoit les vestiges de son ancien style gigantesque. Tarse possède en outre une énorme construction d'un style particulier, appelée par les Turcs Deunuk-tache ou Délik-tache [6] ; on suppose que ce soit le Tombeau de Sardanapale. (p. 310- Deunuk-tache, Tombeau de Sardanapale) Elle se trouve au sud-est de la ville près de Démir-kapou (Porte de fer), au milieu d'un jardin; c'est un vaste parallélipipède mesurant 42 mètres de long, sur 20 mètres de large, et 3 pieds de haut. Il est formé d'un mélange de petits cailloux, de chaux et de sable. A ses deux extrémités il y a des fossés carrés maçonnés de la même matière, l'un est grand et comblé de terre, l'autre plus petit et vide; on remarque encore trois autres petites fosses carrées, près desquelles on voit des cavités dans le mur, qui semblent indiquer la place des poutres qui supportaient le plafond de l'édifice, dont on ne distingue qu'u-ne entrée large de 10 pieds, au nord-ouest. En face de cette construction, au nord-est s'élève un mur parallèle, plus un autre é-galement parallèle à celui-ci, avec les restes d'un plafond voûté, presque entièrement ruiné. La masse de la construction est formée de couches horizontales d'environ 50 centimètres d'épaisseur, réunies à leur base par des débris de chaux blanche, comme dans les autres édifices; mais elle est maintenant entièrement couverte de débris. Les trois parties de la construction prises ensemble ont une longueur de 115 mètres; l'épaisseur des murs est de 6 mètres 50, la longueur du grand fossé carré de 23 mètres, la largeur de 16 m. 50; la longueur du petit fossé est de 18 mètres, sa largeur de 11 et la hauteur de tous les deux est de 7 m. 60. Les savants et les explorateurs ne sont pas d'accord sur la destination de cette édifice; plusieurs y voient un tombeau, les uns de Sardanapale, les autres de Julien. Quelques-uns aifirment que ce sont les ruines d'un temple ou d'un château, d'autres que c'est le tombeau non d'un seul, mais de plusieurs personnages de la noblesse; enfin l'opinion la plus probable est que nous ayons les restes d'un temple au dieu soleil de Tarse, auquel on offrait le feu sacré; pourtant tous les savants témoignent que c'est une construction originale et d'un style tout à fait particulier [7] .

L' Aqueduc en arcades est une construction romaine: il passe près du marché actuel de la ville, le long d'une rue. Il y a encore un autre petit aqueduc hors de la ville, à gauche du fleuve, et les habitants l'appellent à présent un château; ces deux constructions sont entourées de masses de cailloux et de sable.

On a découvert au fond de la ville des égouts voûtés, le principal mesure 4 mètres de haut sur 2 m. 50 de largeur; les autres 1 m. 50 sur 0, 50 de largeur; ils aboutissent au fleuve.

Le pont à l'est de la ville paraît une construction romaine, sans doute on l'aura restauré plusieurs fois.

A part cela on ne voit aucun autre édifice ancien debout à Tarse, ni temples, ni arcs de triomphe, seulement des inscriptions sur des pierres isolées enchâssées çà et dans quelques constructions récentes; ces inscriptions peuvent intéresser les archéologues savants, mais elles ne disent rien sur la construction de la ville.

Hors des murailles on trouve des traces de monuments romains; au sud-est de la ville s'élève le monticule Gueozluk-kalè qui paraît avoir été dans les temps anciens une grande nécropole: (p. 311- Des fouilles de Gueozluk-kalé) dans des fouilles on a trouvé des statuettes d'argile et des sculptures païennes, plutôt grecques que romaines. L' arène, mentionnée par Strabon, se trouvait sur la pente orientale de la colline: elle est semi-circulaire; les fondements sont de pierres de taille, et la partie supérieure est formée d'un mélange de cailloux et de mortier. Actuellement on enlève toutes les grandes pierres pour de nouvelles constructions.

Au nord de cette arène était le Champ de-Mars, transformé maintenant en terre labourable; c'est que se tenaient au temps des empereurs les jeux et les grandes réunions; car la ville de Tarse était le lieu des assemblées de la régence administrative des villes d'Isaurie, de Carie et de Lycaonie. Les régences avaient été établies durant la domination des Grecs, avant la conquête des Romains; l'assemblée portait le nom de Κοινόν Κιλιχίας, Alliance cilicienne.

Parmi les monuments byzantins l'un des plus remarquables est la porte Khandji-kapou non loin de Gueozluk-kalé, au sud-est des murailles de la ville; sur la gauche de cette porte, on voit une grande niche qui devait sans doute contenir une statue. (p. 312- Khandji-Kapou)

La forteresse de Tarse était une construction byzantine, au sud-est de la ville. Elle était entourée d'une double muraille et de tranchées, sa porte regardait le sud. Sans doute on devait y trouver aussi des inscriptions arméniennes, mais l'explosion d'une poudrière durant la guerre égyptienne, ruina les murailles de fond en comble. On trouve dans les divers quartiers de la ville des restes de sculptures et de dalles romaines avec des mosaïques, mais très peu d'inscriptions. La plus précieuse des antiquités trouvées à Tarse, est un monument funéraire en marbre blanc, dans lequel on a trouvé intacts les ossements du mort. Le consul américain, envoya le tout à New-York, en 1871.

Peut-être tous les édifices remarquables que nous avons cités, sont-ils surpassés par les Souterrains ou Catacombes de Tarse; mais je n'ai sur ces curieuses constructions aucune donnée précise; j'en attends des explorateurs à venir.

Comme nous l'avons déjà indiqué, durant la deuxième moitié du XII e siècle, Tarse tomba sous la domination des premiers Roupiniens, qui ne la perdirent qu'après deux siècles. Les premiers souvenirs arméniens de cette ville appartenaient plutôt à l'église qu'au gouvernement civil. Des premiers évêques arméniens qui y résidèrent, de la fin du X e siècle jusqu'à la fin du XII e, nous n'avons ni les noms, ni le souvenir de leurs actes. Quand la population arménienne augmenta à Tarse, le catholicos Khatchig y établit un archevêque. A l'époque dont nous nous occupons, le premier archevêque connu fut Grégoire Abirad; il fut nommé par son parent Grégoire Degha, lorsque ce dernier monta sur le siège patriarcal; mais, comme il paraît, quand Abirad fut transféré au siège de Cappadoce, il fut remplacé par Nersès de Lambroun. Après la mort de celui-ci, le siège fut divisé en deux diocèses, dont l'un garda l'ancien titre (de Tarse), et l'autre fut appelé de Lambroun. A cette époque, la ville de Tarse fut plus fortifiée que jamais dans le passé. Avant le couronnement de Léon I er, Grégoire le catholicos s'était rendu à Tarse, il reçut (au mois d'octobre en 1185) les lettres du Pape Lucius, et le livre des règlements de l'église de Rome, le tout accompagné d'une mitre et d'un pallium; ce fut Grégoire l'évêque de Philippopolis, qui les lui apporta. Le catholicos qui l'avait envoyé comme nonce auprès du Pape, fit traduire en arménien, par Saint Nersès, la lettre et le livre.

Cinq ans après, lorsque l'empereur Frédéric I er traversa ces lieux, le catholicos se rendit de nouveau à Tarse pour aller à sa rencontre, se faisant précéder de saint Nersès son coadjuteur. A la nouvelle de l'accident fatal qui avait coûté la vie à l'empereur, près de Séleucie, Nersès retourna à son poste, plein d'affliction. «Il accueillit solennellement l'archevêque de la ville de Munster, qui était accompagné de 1, 000 cavaliers». Il reçut de cet archevêque le canon latin de la bénédition des rois et le traduisit en arménien; quelque temps après Léon fut sacré roi suivant ce canon, et Saint Nersès prit part aux cérémonies. Cette solennité nous donne le droit d'appeler Tarse la première capitale des Arméniens. Sainte-Sophie, la grande église érigée par les Grecs et dédiée, selon leur idée, à la Sagesse Divine, fut choisie pour la célébration de cette fête solennelle; elle portait de même le nom de Saint-Pierre, peut-être ajouté par Léon, à cause du drapeau de Saint Pierre qu'il avait reçu du pape.

Willebrand, qui visita la ville de Tarse douze ans après le couronnement de Léon, place au centre de la ville la cathédrale bâtie en marbre blanc et très élégante. A l'extrémité de l'église il y avait une statue sur laquelle avait été peinte par une main angélique, l'image de Notre-Dame, objet d'une grande vénération: on disait que cette image versait en abondance de grosses larmes, lorsque de graves périls menaçaient le pays [8] . Léon avait accordée cette église à l'archevêque des Latins, le jour de son couronnement, mais il la lui repris plus tard.

«Hors de l'église, dans un coin, dit Willebrand, il y a le tombeau de la fille de Mahomet, très vénéré des mahométans»; mais ce devait être celui de la fille de quelque émir ayant résidé à Tarse. Il ajoute pour la ville qu'elle était très peuplée et entourée de murailles assez délabrées: mais elle avait encore un château fortifié en bon état, élevé à l'endroit Saint Théodore subit le martyre, et la chapelle lui en était dédiée. Willebrand et l'ambassadeur du duc de l'Autriche, furent reçus solennellement dans cette ville par Léon qui les garda à la cour dix-sept semaines.

Dans la cathédrale de Tarse à (Sainte-Sophie) furent encore sacrés rois deux célèbres successeurs de Léon, Héthoum I er, son gendre, et Léon II, son petit-fils, comme l'indique l'historien royal. L'an 1226, dit-il, «furent assemblés à Tarse le catholicos Constantin, les évêques et les princes et ils sacrèrent roi... le jeune Héthoum, et ce fut une joie extrême pour les Arméniens; tous manifestèrent une grande sympathie pour le pape de Rome et pour l'empereur des Allemands» [9] .

Un autre historien dit: «Le 6 Janvier en 1271, on sacra roi des Arméniens, Léon, fils du roi Héthoum, dans la capitale de Tarse, dans l'église de Sainte-Sophie; plusieurs personnages de diverses nations s'y étaient réunis pour être témoins de la réjouissance commune, qui était digne d'être vue. Le même jour plusieurs citoyens furent honorés de dignités et plusieurs délivrés de prison» [10] .

Le sacre d'Ochine eut aussi lieu à Tarse en 1308, et probablement d'autres encore, En considérant avec quelle pompe les chefs de la nation célébraient à Tarse la plus grande des fêtes nationales, nous déduisons que cette ville conserva toujours son titre et sa splendeur de capitale; surtout étant un port maritime, elle se trouvait en de meilleures conditions que Sis, pour attirer le concours des étrangers et des hôtes dans les jours solennels.

Sainte-Sophie paraît avoir disparu en même temps que le royaume des Arméniens; depuis lors, ni son nom, ni son emplacement ne sont plus rappelés; mais on croit qu'elle devait être située les Ramazans ont érigé leur mosquée d' Oulou-djami.

Ainsi que nous venons de le voir, Tarse a été toujours une ville très populeuse; par conséquent lors de sa conquête par les Arméniens elle devait être peuplée en grande partie par des Grecs, comme le déclare notre Saint Nersès de Lambroun. Ces Grecs après la mort de Léon le Grand, se mirent d'accord avec le parti contraire au régent Constantin, le Bailli des Arméniens; ils choisirent pour chef et commandant le grand prince Baron Vahram, et à la tête de 5, 000 insurgés, pensèrent surprendre le Bailli. Mais celui-ci informé à temps, sut prévenir leurs intentions: les attaqua près d'Adana, les battit et les poursuivit jusqu'à Tarse, ils se réfugièrent. «Ils fermèrent les portes et montèrent sur les remparts pour résister aux assaillants. Mais un homme de la ville, du nom de Basile, entra en négociations avec le Bailli qui lui promit tout ce qu'il voulait. Pendant la nuit Basile ouvrit les portes et le Bailli, entrant avec ses soldats dans la ville, fit piller les maisons des Grecs. Les princes révoltés s'enfuirent de la ville et se réfugièrent dans la forteresse qui était inaccessible. Le sage Constantin réussit à les réduire sans coup férir, et après les avoir soumis, les mit en prison; quelques-uns furent délivrés, mais d'autres y restèrent jusqu'à la fin de leur vie». Tous ces faits sont rapportés par notre historien de la Cilicie.

Héthoum s'étant affermi sur le trône, en 1228, se mit à restaurer les murailles de Tarse, ce que Léon n'avait pas eu le temps de faire, étant occupé à d'autres constructions. Une pierre de couleur noirâtre, portant une inscription arménienne, sauvée par une heureuse chance, quoique usée en certains endroits, reste encore comme témoignage du passé. On l'a appliquée contre le mur extérieur de l'église de la Sainte-Vierge: elle est longue de 75 centimètres et haute de 55; en voici l'inscription:

 

«L'an 677 de l'ère arménienne (1238) les remparts de Tarse ont été renouvelés par la main de Héthoum roi des Arméniens».


[1] Nersés de LAMBROUN dans son Commentaire sur la prophétie de Jonas. Ephrem aussi, catholicos de Sis, dans son Commentaire sur la même prophétie ajoute: «Elle fut bâtie par Sennachérib, roi des Assyriens, après avoir battu les Hellènes. Il y érigea sa statue en signe de triomphe, et y fit graver une inscription en lettres chaldéennes. Il la fit construire semblable à Babylone. Jules César l'agrandit, augmenta son territoire, et l'appela Juliopolis, permettant aux habitants de porter le titre de Romains. C'est dans ce sens que Paul s'écria: Vous est-il permis de flageller un citoyen romain»?

[2] Actes des Apôtres XXI, 39. XXII, 28.

[3] Ces diocèses sont: Pompéiopolis, Sébaste, Coricus, Adana, Aloussia, Malcos et Zéphyrion. Dans un autre cens diocésain du VI e siècle, on ne trouve indiqués que cinq diocèses de Tarsus, qui sont: Sébaste, Mallos, Thina, Coricus, Potandus ou Potératus. Mais l'archimandride Nile Doxopatrias, dans son traité des cinq patriarcats, traduit par Nersès de Lambroun, en indique six.

[4] Celui-ci, prié par Aglayée, (noble et riche dame, avec laquelle il vivait scandaleusement à Rome), de lui procurer quelque corps des martyrs d'Orient, répondit en se moquant: «Et comment le recevriez-vous si c'était mon propre corps qu'on vous portait»? Grondé par son amante, il partit avec ses domestiques: arrivé à Tarse, il fut touché de la grâce divine, se convertit, et souffrit le martyr. Son corps fut porté par les domestiques à Aglayée, qui l'ensevelit sur la voie Latine, et fit élever une chapelle sur son tombeau; elle y fut ensevelie elle-même et vénérée comme sainte, (8 ou 16 Mai).

[5] Guil. Tyr. XXII, 24. Tarsum... quam... G ræcis receperat, Rupino Armeniorum Satrapæ potentissimo, qui ejusdem regionis urbes reliquas possidebat, multarum pecuniarum tradidit, interventu, consulte id faciens: nam cum esset ab eo remota nimis, et prædicti Rupini terra in medio constituta, non nisi cum difficultate et infinitis sumptibus ejus curam Princeps gerere poterat, quod prædicto nobili viro erat facile.

[6] Pierre tournante ou trouée. Selon une tradition transmise par certains Turcs, elle fut appelé ainsi parce que leur prophète l'ayant maudite, la construction se renversa, comme châtiment infligé au propriétaire qui l'avait insulté.

[7] Voici les paroles de Mme. de Belgiojoso. «On éprouve, en parcourant cette mystérieuse enceinte, une incertitude vague et mélanconique, qui vous plonge dans les abîmes du passé sans vous enchaîner ni à une époque, ni à une nation définie; incertitude qui n'est pas sans un charme singulier».

[8] In fine sui (ecclesi æ ) habens quamdam statuam, cui imago Domin æ nostr æ angelicis manibus est dipincta, qu æ in maxima ab hominibus illius terr æ habetur veneratione: sicut enim multi et omnes videre consueverunt; h æ c imago dum aliquod grave periculum illi terr æ imminet, coram omnibus et magna quantitate solet lacrymari. H æ c est illa qu æ dicitur qu æ Tbeophilum reformavit. Willebrand. Ce Théophile était le gardien de l'église d'Adana; il avait refusé la dignité épiscopale par humilité et crainte de n'être pas à la hauteur d'une si noble fonction. Mais le nouvel élu lui ayant enlevé la charge de gardien de l'église, il se révolta, renia sa foi, et tomba même dans des artifices magiques. Cependant après quelque temps il se repentit, pria avec ferveur devant l'image de la Sainte-Vierge, et non seulement obtint le pardon de sa faute, mais encore le pacte d'engagement qu'il avait donné au démon lors de son apostasie, lui fut retourné; et s'étant confessé devant le peuple dans l'église, il la jeta au feu. Après quoi il fit pénitence le reste de ses jours, et mourut en 538. Les Grecs l'honorent parmi les Saints, le 4 Février.

[9] Sempad l'historien.

[10] L'historien de la Cilicie.