Sisouan ou lArméno-Cilicie

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  Les Portes Syriennes ou Portes de Beylan sont ordinairement considérées comme la limite extrême de la Cilicie; toutefois nos rois arméniens étendirent leurs frontières jusqu'à Ras-khanzir vers le sud, ce qui paraît en effet une frontière plus naturelle, puisqu'elle est marquée par 1'extrémité de la chaîne principale des Monts Amanus. Quelques-uns de nos rois poussant leurs conquêtes encore plus au delà, réussirent à s'emparer du versant oriental des montagnes, versant défendu par des châteaux importants. Ils s'approchèrent ainsi d'Antioche, occupèrent même un territoire qui jadis dépendait de cette ville et le gardèrent sans opposition ultérieure jusqu'à l'invasion des Egyptiens.

Thoros et Renaud, prince d'Antioche, furent les premiers à prendre ces lieux aux Grecs; mais bientôt après, Renaud se brouilla avec Thoros; il exigeait ces forts disant qu'ils devaient lui appartenir comme limitrophes de ses états. Une guerre eut lieu entre ces deux princes, et des deux côtés les pertes furent graves; mais enfin Thoros resta vainqueur, chassa le prince d'Antioche, et «accorda de plein gré aux Templiers le château qui était limitrophe d'Antioche; ceux-ci lui jurèrent de prêter main-forte aux Arméniens, dans toutes leurs nécessités, jusqu'à la mort, et de partager leur sort» [1] . Cependant lorsque plus tard, au commencement du règne de Léon, un différend s'éleva entre les Arméniens et les Antiochéens, les Templiers se rangèrent du côté des Francs; c'est pourquoi le roi les bannit et confisqua leur château au profit de la couronne, ce qui fut cause de longues querelles. Léon, non seulement reconquit tous ces lieux, mais encore, selon Vahram, qui emprunte ce fait à une chronique plus ancienne:

Il parvint jusqu'à la province d' Arassous

Et s'empara du château de Baghras.

Sanudo dit que baghras, qui est presque à une demi-lieue du khan Karamoud, ainsi que Tarbessag, sont environ à une demi-journée de distance d'Alexandrette et d'Antioche. La Porte d'Andak, ainsi appelée par notre historien royal, est située à deux ou trois lieues au sud-est de Beylan, et presque à vingt milles au nord-est d'Antioche, au pied des monts Amanus, près du passage des Portes Syriennes, qui, de nos jours est en partie appelée Baghras-béli. Un peu plus haut que cette Porte, entre Beylan et Baghras, se trouve le village de Karoul ou Kara-yole, presque à 500 mètres d'altitude. Ce passage est nommé Défilé de Sem, par notre catholicos Grégoire Degha, dans ses Lamentations sur Jérusalem; il rapporte, qu'après la prise de Saraï, c'est-à-dire de Tarbessag, les troupes de Saladin y firent une irruption:

En retournant, ils marchèrent sur l'autre roc,

Auquel on donne le nom de Défilé de Sem;

S'en étant emparés, ils se réjouissaient

De l'avoir conquis également.

Une année avant cette invasion désastreuse, en 1266, Beïbars avait déjà projeté une expédition, mais le roi Héthoum l'ayant pressentie, «leva une grande armée et parvint jusqu'à un lieu appelé Porte d'Antioche, et y attendit son ennemi». Le sultan arriva jusqu'au bord du Fleuve Noir d'Antioche; mais ayant appris par ses espions les préparatifs du roi, «il eut peur d'entrer dans le territoire de la Cilicie, et s'en retourna en Egypte». L'année suivante, après la bataille de Mari, ses troupes ravageant le pays «passèrent par la Porte d'Antioche et s'en allèrent chargées de butin». Peut-être est-ce près de cette Porte que fut tué Yaghoub-Arslan, dont nous avons parlé plus haut.

La ville de Baghras était considérée dans les temps anciens, comme faisant partie de la province d'Antioche; les Grecs l'appelaient Baghré, Πάγραι; elle se trouve près d'une rivière, affluent du fleuve Oronte, appelée Syéida, peut-être serait-ce l' Arceuthus des anciens, qui coule au pied d'une montagne trapezoïdale. C'est que le général romain Ventidius força Rhanigat(?), général des Parthes, à se rendre. Les historiens arabes qui, comme les nôtres, donnent le même nom à la ville de Baghras, بغراس, la placent pourtant sur une montagne couronnée par un château, à l'ouest de la vallée de Karem (?) ce lieu était bien fortifié et presqu'inaccessible; les Croisée y avaient posé leur camp, le 12 septembre, 1097, avant la prise d'Antioche. Les princes de cette dernière ville devinrent, après leur réconciliation avec Thoros, les maîtres de Baghras. Durant leur domination, Girard d'Eustache , prince de Sidon, expulsé par le roi de Jérusalem, à cause de ses brigandages et déprédations, se réfugia chez le prince d'Antioche, qui lui passa le château de Baghras. Ayant recommencé ses pirateries sur mer comme sur la terre, il fut chassé et la place fut commise à la garde des chevaliers [2] . Après la prise de Jérusalem, le conquérant Saladin s'étant emparé des villes de la Syrie, s'avança jusqu'à Baghras, vers la mi-septembre, 1189, et prit d'abord Tarbessag, puis assiégea Baghras. Les autres chefs se plaignaient de son obstination à assiéger ce lieu inexpugnable, tandis qu'il aurait pu marcher sur la grande ville d'Antioche, qui eût été aussitôt assiégée et prise et le château se serait rendu; le sultan tira au sort et se décida à presser le siége contre le château; laissant une partie de son armée devant la ville, avec l'autre il alla en personne contre le château, et se mit à battre les remparts avec des balistes. Cependant il ne put les entamer à cause de leur épaisseur et de leur hauteur; d'un autre côté ses soldats se plaignaient fort du manque d'eau. Le sultan ordonna de creuser de grands bassins et les fit remplir; sur quoi l'armée s'apaisa. A cette nouvelle, les assiégés craignant, s'ils continuaient à résister, d'avoir à subir la vengeance du sultan, lui envoyèrent des messagers pour lui offrir leur soumission. Celui-ci leur proposa les mêmes conditions qu'il avait posées à la prise de Tarbessag; c'est-à-dire, que laissant armes et bagages, ils partissent avec le seul habit qu'ils portaient. En même temps, il envoya avec les messagers ses enseignes afin qu'on les hissât sur les murailles. Les gardes du château quittèrent donc la place en abandonnant tous leurs biens et les munitions. Saladin ayant tout enlevé, ordonna de raser la forteresse. L'historien arabe El-Athir qui, paraît-il, se trouvait dans l'armée, le blâme de cet acte; car, dit-il, le fils de Léon, prince des Arméniens [3] étant revenu aussitôt, reconstruisit Baghras avec beaucoup de soins, et y laissa une garnison assez forte pour faire des razzias aux alentours: «Baghras, ajoute-t-il, est toujours dans les mains des Arméniens, et les environs d'Alep souffrent beaucoup de leurs incursions» [4] .

Un autre événement important du règne de Léon se passa dans ce château, peu après 1'an 1193. Le prince d'Antioche voulait s'emparer par ruse de sa personne. Léon, averti secrètement par la princesse, se rendit à Baghras, et les invita tous deux à l'y venir voir: «Ils y vinrent de bon gré; Léon alla à leur rencontre, et les ayant reçus avec de grands honneurs, les conduisit à Baghras. il s'empara du prince et l'emprisonna dans le château de Sis... Le prince royal d'Acca, le comte Henri, vint alors lui demander de remettre en liberté le prisonnier ou de le lui donner comme un présent, ce que Léon lui accorda» [5] , etc.

Dès lors Baghras devint château garde-frontière du royaume, et c'est par ce dernier que notre historien commence l'énumération des châteaux et places fortes dont les seigneurs assistèrent au couronnement de Léon; le plus honoré de ces princes était le seigneur de Baghras, Sire Adan, qui en même temps, avait de vastes possessions dans la vallée du fleuve Calycadnus. Seize ou dix-sept ans plus tard, vers 1235, le sultan d'Alep envoya son oncle Touran-chah avec l'ordre d'assiéger et de prendre Baghras, alors sous la domination des Templiers, qui l'avaient reçu de Léon de Héthoum. Mais l'émir ne réussit pas, comme le dit Sempad, «bien qu'il ait marché sur Baghras avec un grand nombre de cavaliers». Toutefois le grand chroniqueur arabe Aboulféda, dit, qu'il aurait pu s'en emparer s'il n'eût signé un traité de paix avec le prince d'Antioche.

Après la prise d'Antioche, Beïbars envoya des troupes contre Baghras, le 27 mai 1268; celles-ci trouvèrent le château abandonné, la garnison s'étant enfuie après la prise de la ville. L'Egyptien y plaça des gardiens et remplit la place d'armes et de munitions pour en faire un château garde-frontière. Après ce fait, on ne trouve plus qu'une fois dans l'histoire, le nom de Baghras, deux cents ans plus tard, en 1407, à propos de l'irruption de Chah-Souar le Zulcadrien. Il faut espérer pourtant qu'il ne soit pas encore tout à fait disparu et qu'il réserve aux recherches des explorateurs quelques curieux débris.

Un sort analogue fut le partage du château de Tarbessag, auquel les Arabes donnent ce nom même دربساك, les Latins l'appellent Trapasa [6] . Dans l'histoire, Baghras et Tarbessag sont mentionnés toujours ensemble, à cause de leur voisinage. Sanudo les place, à une demi-journée du passage de la Montagne Noire et au pied de cette dernière, et les appelle «Duo castra Bagaras et Trapasa, ad pedem montas». Une carte topographique moderne place Tarbessag à l'ouest de Karamoud et au sud de Baghras; mais les paroles de notre historien nous le font supposer au nord de Baghras et dans une position plus élevée: car il dit pour Saladin, qu'après la prise de Baghras «il monta et se battit contre Tarbessag». Cependant un autre historien qui le place à dix milles au nord-est de Baghras, se trompe un peu trop. Puisque ce château appartenait aux Arméniens, son vrai nom (avant les Croisades), devait être Tarbassag, et ce n'était pas seulement un château-fort, mais il y avait aussi à côté une bourgade, à laquelle les Arabes donnaient le nom de Saraï, et dont parle Grégoire Degha, dans ses Lamentations sur la prise de Jérusalem; il place ce lieu au nord du grand lac d'Antioche. Les troupes de Saladin étaient venues du côté de la Syrie.

Elles passèrent ensuite de l'autre côté,

Au nord d'Antioche.

Puis descendirent dans la vaste plaine,

Près du grand lac de ce lieu.

Elles entourèrent la place forte qui défendait le pays,

Et à laquelle on donnait le nom de Saraï [7] .

Elles l'assiégèrent, ouvrirent des tranchées,

Et y posèrent des machines formidables.

Qui ensevelirent la ville sous les pierres,

Et ils y firent pleuvoir des volées de flèches.

A la fin, criblés de blessures

Ceux qui demeuraient dans la forteresse,

Voyant leurs murailles abattues,

A contre-cœur se rendirent à l'ennemi;

Ainsi les Sarrasins se rendirent maîtres de cette place.

Saladin avant de marcher sur Baghras s'arrêta à Tarbessag, le 2 septembre, 1189, suivant les historiens arabes, qui regardent cette place comme un des châteaux les plus fortifiés des Templiers. Le siége dura dix jours: les assiégés résistaient avec acharnement; les balistes des Egyptiens avaient ruiné une partie des murailles, sans que ceux-ci eussent pu pénétrer dans la place. Le sultan alors ordonna à ses soldats de donner l'assaut et d'expulser la garnison. Aussitôt les béliers furent mis en action; une grande br ê che fut ouverte et l'une des tours ruinée. Le jour suivant sous la conduite de Bohaéddin, l'historien apologiste des faits de Saladin, ils se précipitèrent vers cette brèche pour entrer dans le château; mais, à leur grande surprise, les assiégés avaient restauré les murailles et fermé la brèche. De plus, ces derniers envoyèrent un messager à Bohémond, prince d'Antioche, lui demandant s'il pouvait venir à leur aide; enfin ne recevant pas de réponse, et n'ayant plus d'espoir, ils se rendirent à l'ennemi à la condition de se retirer avec les seuls vêtements qu'ils portaient, laissant sur place armes et vivres; c'est ainsi qu'ils se rendirent à Antioche, le 13 septembre.

Léon, qui après le départ des Egyptiens, s'était emparé de Baghras et l'avait restauré, vint aussi en aide aux Chevaliers et leur rendit de nouveau Tarbessag. Cependant ce lieu retomba aux mains des Sarrasins; car, en 1236, les Alépins marchèrent sur Baghras et l'assiégèrent, mais n'ayant pas pu réussir à le prendre, ils se retirèrent découragés. Les Francs alors se jetèrent sur Tarbessag et en ravagèrent les faubourgs; mais ils ne réussirent pas à s'emparer du château, bien plus, ils subirent une sanglante défaite; beaucoup furent faits captifs, et les têtes des morts furent portées triomphalement à Alep. Aboulfeda dit qu'on peut considérer cette victoire comme l'une des plus remarquables des croyants de l'Islam. Peu après, les Tartares soumirent la principauté d'Alep et Tarbessag, ainsi que plusieurs autres lieux, furent accordés aux Arméniens, leurs alliés. Tarbessag resta toujours en possession de ces derniers même après leur défaite à Mari; car Beïbars en 1268, en vertu de son traité de paix avec Héthoum, exigea de lui Tarbessag avec quatre ou cinq autres châteaux, dont l'un était Marzeban.

Entre ces deux châteaux, de Baghras et de Tarbessag, Beïbars, en 1274, assembla son armée, lors de sa seconde et grande incursion; de il divisa cette immense armée en plusieurs corps qui, par divers passages entrèrent dans Sissouan; de son côté il s'avança jusqu'à Mancap, lieu aujourd'hui inconnu. L'autre château que réclamait le sultan était Chih-el-hadid, الحديد شيح, (Plage limitrophe); il était en effet situé à l'extrémité des possessions de Héthoum et confinait aux terres des Egyptiens. Ce château est certes le même que le Cheh de notre historien royal, quoi-qu'il 1'appelle «un lieu ruiné». Le sultan disait à notre roi: «Donnez-moi cette localité afin que j'en fasse un marché pour nous et pour vous; le roi ne consentit pas», etc. Quelques-uns des princes blâmèrent Héthoum pour ce refus; ils lui disaient ensuite: «A quoi nous a-t-il servi de garder Chih, maintenant que tu as perdu tes fils pour cela, et que tu nous a accablés de remords; n'aurait-il-pas été mieux de 1'avoir abandonné, au lieu de nous couvrir de ridicule et de nous exposer au mépris de tout le monde? Le roi leur ordonna de mettre fin à ces remontrances inutiles», etc. S'il avait refusé de rendre ce lieu, c'était moins par ambition, que par crainte de se rendre suspect aux Tartares et de leur faire croire à une entente avec les Egyptiens. Ses amis les plus fidèles et les princes de l'Arménie orientale lui conseillaient de rester ferme dans son projet, et même après son malheur et la ruine du pays, ils lui écrivaient: «O saint roi, il vaut encore mieux ce qui est fait, bien qu'un de tes fils soit mort pour les chrétiens et que 1'autre soit en captivité, puis-que les Turcs qui se trouvent ici à la cour (du khan des Tartares), sont restés confondus; autrement ton royaume eut été supprimé, ton territoire ravagé et les chrétiens massacrés... Si par malheur tu t'étais trompé et avais abandonné, comme ils le prétendaient, non pas un village florissant, mais une simple maison vide, alors ton royaume eut été entièrement anéanti et nous serions plongés dans la honte. Quand les autres princes entendirent ceci de la bouche même du roi, ils restèrent confondus, et lui demandèrent pardon de n'avoir pas prévu ces intentions».

Aujourd'hui, selon l'administration ottomane, un district de la province d'Antioche dans le département d'Alep s'appelle Cheikh-ul-Hadid. Il y a aussi un village qui porte le nom de Cheikh-kuey, et qui se trouve au nord-est du lac d'Antioche, au delà des Montagnes Noires, c'est-à-dire à l'est au delà de Baghras.



[1] Ceci est rapporté par l'historien Michel le Syrien, dans sa célèbre Histoire chronologique.

[2] Ce fait aussi est rapporté dans l'histoire de Michel le Syrien.

[3] ابن ليون صاحب الارمن , Ibni Livoun Saheb-el-Arman: «Fils de Léon, Seigneur des Arméniens».

[4] Ici, notre historien, dit brièvement à propos de Saladin: «Il marcha contre Baghras et la soumit à son obéissance. Puis montant vers Tarbessag, il la prit d'assaut, la ruina, et se rendit ensuite à Damas».

[5] L'historien royal de la Cilicie. Nous en parlerons encore dans la suite.

[6] D'après les annotations du traducteur français du I er volume des  Historiens Arabes des Croisades.

[7] En effet Դարպսակ   (Tarbessag) en arménien et Saraï en arabe, signifient palais.