TABLEAU
SUCCINCT
DE
L'HISTOIRE
ET
DE
LA
LITTÉRATURE
ARMÉNIENNE
Discours
prononcé
à
la
XXVI
distribution
de
prix
du
collége
Arménien
Samuel
Moorat
1859
L'année
dernière,
j'ai
eu
l'honneur
de
rappeler,
à
pareil
jour,
le
souvenir
le
plus
ancien
et
le
plus
glorieux
de
la
nation
arménienne,
la
fête
de
son
patriarche
Haïg;
aujourd'hui
je
vais
célébrer
la
mémoire
la
plus
chère
à
notre
établissement,
l'anniversaire
séculaire
de
la
naissance
de
son
fondateur
même,
de
l'illustre
Samuel
Moorat.
Son
souvenir
m'en
rappelle
un
autre
qui
retentit
encore
dans
tout
le
monde
savant,
et
surtout
dans
un
grand
pays
voisin:
la
fête
de
l'anniversaire
séculaire
du
plus
grand
poète
des
Allemands,
Schiller!
Ah!
pourquoi
l'Arménie
n'a-t-elle
pas,
comme
l'Allemagne,
le
bonheur
de
fêter
avec
éclat
le
nom
d'un
de
ses
glorieux
enfants,
contemporain
du
célèbre
auteur
dont
il
n'a
pas
eu
certes
le
génie,
mais
bien
le
patriotisme,
et
peut-être
l'influence
sur
le
progrès
du
génie
national
!...
Mais
que
sommes
nous,
nous
autres
Arméniens,
reste
d'une
nation
et
d'une
contrée
oubliées
dans
l'intérêt
de
la
politique
du
temps,
pour
soutenir
une
comparaison
avec
cette
immense
Allemagne?
Cependant,
est-ce
que
l'Arménie
aussi
n'a
été
jadis
un
pays
trés-vaste,
et
relativement
plus
peuplé
que
l'Allemagne?
Réduite
maintenant
à
un
dixième
de
son
ancienne
population,
la
nation
arménienne
est
en
quelque
sorte
plus
étendue
qu'aucun
peuple
de
la
terre,
de
cette
terre
où
elle
a
laissé
dans
chaque
coin
quelques
souvenirs
ou
quelques
monuments.
Et
ces
monuments
resteront-ils
éternellement
muets?
ne
pourront-ils
pas
réveiller
quelques
échos
assoupis
dans
ces
jours
mémorables?
Qu'est-ce
qui
anime
ces
échos
patriotiques
qui
font
tressaillir
d'une
joie
enivrante,
à
un
jour
donné,
toute
une
nation,
toute
une
vaste
contrée?
Est-ce
le
nombre,
est-ce
la
force,
est-ce
la
richesse?
Ce
ne
sont
ni
ces
jeux,
ni
ces
calculs
de
la
fortune;
mais
c'est
bien
le
cœur
sensible,
la
reconnaissance
ardente,
le
sentiment
du
beau,
qui
meut
même
les
pierres
et
les
rochers,
et
qui
fait,
pour
ainsi
dire,
chanter,
aux
doux
reflets
du
soleil
du
matin,
l'immuable
statue
de
Memnon!
Que
serait-ce
de
la
terre,
si
les
puissants
empires
qui,
appuyés
sur
un
matériel
formidable,
se
disputent
les
destinées
du
monde,
venaient
à
perdre
le
sentiment
de
l'humanité?
Que
serais-tu,
France
hospitalière,
que
serais-tu,
avec
toute
ta
gloire
et
ta
grandeur
imposante,
si
tu
avais
moins
de
cette
grâce
bienveillante
et
cordiale
qui
te
rend
plus
aimable
aux
peupłes
lointains,
que
ton
ardeur
avec
ses
éléments
calculés
ne
te
rend
formidable
à
tes
voisins?
L'Orient,
dont
tu
vois
ici
une
petite
colonie,
attentif
à
ton
souffle,
ne
désire
que
ton
influence
morale
et
généreuse,
qui
sait
si
bien
inspirer
aux
autres
nations
la
lumière
et
le
progrès.
C'est
à
ce
titre
que,
nous
aussi,
nous
espérons
développer
ici,
mieux
qu'ailleurs,
l'œuvre
de
charité
et
d'instruction
que
nous
légua
l'immortel
Moorat.
Qu'on
me
permette
donc
aujourd'hui
de
célébrer
dans
cette
assemblée,
moitié
française,
moitié
arménienne,
la
mémoire
du
fondateur
de
cet
établissement.
Cependant,
pour
n'abuser
pas
d'une
attention
bienveillante,
je
dirai
franchement
que
je
ne
pourrais
ni
ne
voudrais
rechercher
les
agréments
d'un
éloge
éloquent,
tel
que
le
mériterait
assurément
Samuel
Moorat;
je
me
bornerai
à
tracer
à
la
hate
un
Tableau
rétrospectif
de
la
littérature
arménienne,
dont
les
vicissitudes
ont
suivi
de
près
celles
de
sa
vie
politique
et
religieuse,
pour
en
faire
résulter
plus
distinctement
encore
la
part
due
à
la
généreuse
idée
de
Samuel
Moorat
dans
l'instruction
de
la
jeunesse
arménienne
de
notre
époque.
Jadis
ce
vaste
plateau
élevé
qui
verse,
en
tous
sens,
vers
les
quatre
mers
de
l'Asie
Antérieure,
les
fleuves
d'Eden,
premiers
chemins
des
peuples,
non-seulement
fut
le
berceau
de
la
race
humaine,
mais
aussi
de
tout
ce
qui
en
était
l'apanage,
les
éléments
de
sa
vie
domestique,
civile
et
intellectuelle.
Dans
ces
temps
reculés
du
partage
de
la
terre
ou
de
la
dispersion
des
peuples,
y
avait-il
des
notions
précises
de
ce
qui
forme
maintenant
le
corps
de
nos
sciences
physiques
et
philoso
phiques;
ou
bien
y
avait-il
des
monu
ments
littéraires?
Questions
controversées
que
je
ne
veux
pas
aborder;
mais
toute
l'investigation
de
l'antiquité
et
de
la
saine
philosophie
porte
à
croire
que
de
tels
monuments
doivent
être
d'une
origine
très-ancienne,
et
qu'il
ne
faut
pas
mépriser
les
assertions
des
Hébreux,
des
Chaldéens
et
d'autres
peuples
orientaux,
qui
reportent
cette
origine
aux
temps
antédiluviens,
et
croient
Noé,
dépositaire
non
seulement
des
traditions
orales,
mais
des
traditions
écrites.
On
dit
même
que
ce
patriarche,
dans
le
premier
partage
de
la
terre
et
de
ses
possessions
entre
ses
trois
fils
et
leurs
descendants,
légua
les
livres
à
la
race
sémitique,
mais
que
les
fils
de
Japhet,
race
guerrière
et
entreprenante,
ne
tardèrent
pas
de
s'en
emparer;
et
telle
fut
la
cause
de
la
contrariété
et
des
guerres
qui
séparèrent
pour
toujours
les
deux
grandes
branches
de
l'humanité.
Il
est
accepté
presque
universellement
que
la
première
habitation
des
hommes
sur
la
terre
et
le
point
de
leur
séparation
ne
fussent
dans
le
plateau
ci
dessus
indiqué,
qui,
dans
la
suite,
fut
nommé
Arménie.
En
abandonnant
ici
la
question
de
l'origine
et
de
l'affinité
de
la
langue
et
des
monuments
primitifs
de
notre
nation,
nous
ne
devons
pas
oublier
que
l'Arménie
possédait
une
civilisation
et
cultivait
les
arts,
la
poésie,
l'astronomie
et
le
commerce,
avant
même
qu'ils
eussent
été
développés
dans
l'Égypte,
dans
la
Chaldée,
dans
la
Grèce
et
dans
les
Indes.
Nous
en
trouvons
des
traces
dans
nos
chronographes,
dans
la
Bible,
dans
les
traditions
des
peuples,
dans
les
historiens
les
plus
anciens,
grecs
et
orientaux,
dans
les
livres
d'histoire
naturelle
ou
thérapeutique
des
Théophraste
et
des
Dioscoride.
Vers
le
milieu
du
2-e
siècle
avant
Jésus-Christ,
notre
histoire
commence
à
s'éclaircir
de
plus
en
plus,
et
la
nation
arménienne
se
fait
une
place
remarquable
dans
l'histoire
universelle.
La
dynastie
des
Arsacides
venait
de
s'établir
sur
le
trône
des
Hayganides.
A
cette
époque,
trois
ou
quatre
éléments
divers,
autant
de
langues
annexées
à
l'arménienne,
composaient
notre
littérature
ou
notre
culture
intellectuelle.
C'était
d'abord
la
langue
des
Parthes,
sans
doute
scytho-pehlevi,
qui
bientôt
s'engloutit
dans
la
langue
dominante
de
notre
pays;
c'était
ensuite
la
syriaque,
depuis
longtemps
connue
et
parlée
dans
nos
provinces
méridionales,
et
cultivée
depuis
que
les
premiers
Arsacides
établirent
leur
siége
à
Nisibe,
dans
la
Mésopotamie,
alors
comprise
dans
les
fiefs
du
royaume
d'Arménie.
Enfin,
outre
la
langue
zende
et
celle
encore
inconnue
des
inscriptions
cunéiformes
répandues
dans
l’Arménie
depuis
les
bords
de
l'Euphrate
jusqu'à
ceux
de
Zab,
c'était
la
langue
grecque,
familière
à
nos
ancêtres
avant
aucune
nation
moderne,
et
devenue
à
la
mode
pendant
le
règne
des
successeurs
d'Alexandre,
parmi
lesquels
se
trouvent
aussi
des
rois
arméniens
dont
quelques
monnaies
à
légende
grecque
nous
sont
parvenues.
Il
y
avait
aussi
sans
doute
quelque
mélange
des
langues
caucasiennes,
car
les
frontières
de
la
domination
arménienne
s'étendaient
alors
jusqu'à
cette
chaîne
de
montagnes
escarpées
qui
séparent
l'Asie
de
l'Europe.
Pendant
un
cours
de
500
ans,
le
mélange
de
tant
de
langues
diverses,
de
tant
de
coutumes
et
de
cultes
même,
modifia
la
forme
intellectuelle
et
la
religion
de
notre
nation.
Parmi
ces
di
vinités
grecques,
syriennes,
persanes,
parthes,
outre
les
nationales,
la
première
place
était
conservée
à
la
déesse
Anahid,
considérée
comme
la
Minerve
arménienne,
et
nommée
la
Mère
de
toute
sagesse,
bien
qu'elle
eût
aussi
d'autres
attributs.
L'Arménie
avait
aussi
son
Mercure,
nommé
Dir,
dieu
des
sciences,
des
augures
et
surtout
des
lettres,
auquel
elle
avait
consacré
non
seulement
des
temples,
mais
encore
le
4
mois
de
son
calendrier
ancien.
Le
fondateur
de
la
dynastie
arsacide
en
Arménie,
Valarsace,
en
rétablit
aussi
en
quelque
sorte
la
littérature;
il
ordonna
de
faire
des
recherches
sur
son
histoire,
et
en
confia
la
compilation
à
un
certain
Abas,
Syrien
d'origine.
Son
histoire,
conservée
en
abrégé
par
Moïse
de
Khorène,
était
écrite
en
syriaque
et
en
grec.
Cette
dernière
langue
était
toujours
en
grande
vogue,
et
elle
atteignit
à
un
plus
grand
développement
en
Arménie,
pendant
le
règne
des
successeurs
de
Valarsace.
Archag,
son
fils,
étendit
son
pouvoir
sur
le
Pont
et
les
pays
voisins,
Ardachès
I,
son
petit-fils,
fit
avec
le
grand
Mithridate
des
incursions
jusqu'au
cœur
même
de
l'Attique;
il
en
rapporta
un
riche
butin,
surtout
des
statues
des
dieux,
avec
leurs
prêtres
et
tout
ce
qui
appartenait
à
leur
culte.
Tigrane,
fils
d’Ardachès,
imbu
dès
sa
jeunesse,
du
goût
des
arts
grecs,
les
cultiva
au
plus
haut
degré,
et
frappait
ses
monnaies
en
légende
grecque;
il
bâtissait
des
théâtres
grecs
dans
sa
grande
capitale
de
Tigranocertes,
où
il
avait
transféré
des
colonies
de
douze
villes
grecques;
il
avait
demandé
et
obtenu
de
Cléopâtre,
reine
d'Égypte,
la
copie
des
manuscrits
grecs
relatifs
à
l'histoire
de
son
pays;
il
maintenait
dans
sa
cour
des
savants
grecs,
dont
l'un
a
écrit
en
détail
l'histoire
ou
l'éloge
de
son
Mécène,
du
vivant
même
de
prince;
enfin
il
donna
à
son
fils
Artavasde
I
des
précepteurs
grecs
qui
lui
inspirèrent
le
goût
et
l'imitation
des
Sophocle
et
des
Euripide.
Plutarque
et
Appien
font
une
mention
honorable
des
discours,
des
histoires
et
des
tragédies
grecques
du
monarque
arménien,
qu'ils
avaient
eu
le
bonheur
de
lire.
Au
I
siècle
de
notre
ère,
l'Arménie,
soumise
par
la
force
romaine,
se
dédommagea
en
quelque
sorte
de
la
perte
de
sa
liberté
par
l'introduction
chez
elle
d'une
nouvelle
langue
et
de
nouvelles
notions;
elle
s'appropria
entre
autres
sciences
le
Calendrier
julien,
auquel
elle
contribua
en
partie
son
ancien
calendrier
arménien.
Elle
aussi,
de
son
côté,
communiqua
à
Rome
quelques
avantages,
outre
le
tribut
de
sa
richesse
minérale
et
de
ses
fruits
délicieux
(dont
l'un
porte
encore
le
nom
du
pays,
Prunus
armeniaca,
abricot),
quelques
nouvelles
notions
dans
l'art
de
soigner
les
chevaux,
comme
en
témoignent
les
écrivains
romains
de
l'art
rustique.
On
croit
même
que
le
premier
biographe
de
Rome,
l'ami
de
Cicéron,
ce
Tyrannio,
captif
de
Lucullus,
n'était
qu'un
certain
Diran,
nom
très
commun
et
connu
particulièrement
chez
les
Arméniens.
Une
des
causes
de
la
préférence
qu'on
donna
en
Arménie
aux
langues
étrangères
était
les
défauts
de
l'ancien
alphabet
arménien,
et,
jusqu'à
la
formation
du
nouveau,
c'est-à-dire
jusqu'au
V
siècle,
elles
étaient
en
usage
public,
surtout
le
syrien,
le
grec
et
le
persan.
Cependant,
dès
le
commencement
mêmé
du
II
siècle
de
notre
ère,
sous
le
règne
paisible
d'
Ardachès
II,
l'élément
national
prenait
le
dessus
dans
notre
littérature;
la
poésie
venait
une
seconde
fois
prendre
son
essor
du
trône
même:
un
des
fils
du
roi,
son
ministre
du
palais,
Verouyr,
était
un
poète
distingué,
et
peut-être
le
chef
de
ceux
qui
composèrent
la
grande
épopée
arménienne,
qui
chanta
et
les
temps
heureux
d'Ardachès,
et
les
prouesses
de
son
généralissime,
Sembat
l'homme
brave,
Այրաքաջ.
Il
ne
nous
reste
que
de
fort
maigres
fragments
et
quelques
détails
de
ces
fictions
pleines
de
vivacité.
Tandis
que
les
descendants
d'Ardachès
continuaient
en
Arménie
leur
faveur
à
de
tels
travaux,
en
Perse
la
dynastie
des
Sassanides
renouvelait
l'ancien
régime
et
la
religion
des
Mages.
Cette
dynastie,
ennemie
implacable
de
celle
des
Arsacides
qu'elle
extirpa
de
la
Perse,
parvint
à
la
chasser
momentanément
de
l'Arménie,
en
y
détruisant
tout
ce
qui
tenait
du
grec
ou
de
l'arménien,
et
en
y
introduisant
la
doctrine
et
les
lois
de
Zoroastre,
jusq'à
ce
que
le
grand
Terdat,
après
longues
années
d'exil,
d'épreuves
et
de
luttes,
rétablit
tous
les
droits
de
sa
nation,
sur
laquelle
heureusement
il
régna
encore
40
ans,
pendant
lesquels
il
la
porta
à
un
degré
de
progrès
et
de
lumières
que
jamais
elle
n'avait
atteint
et
qu'elle
conserva
toujours.
S'il
ne
fut
pas
le
premier
roi
chrétien,
il
fut
le
premier
grand
roi
chrétien
qui
coopéra
et
réussit
à
faire
de
son
peuple
une
nation
entièrement
chrétienne
avant
toutes
les
autres.
Cette
religion,
qui
partout
et
sur
tout
en
Arménie
fut
le
guide
des
bonnes
meurs
et
des
lettres,
dès
sa
première
apparition
était
saluée
par
l'Arménie;
le
roi
Abgar,
qui
régnait
en
même
temps
sur
les
Syriens
à
Edesse,
avait
confessé
la
divinité
de
Jésus
Christ,
du
vivant
même
de
l'Homme
Dieu.
Après
son
ascension,
Abgar
reçut
le
disciple
Thaddée
et
se
fit
baptiser
avec
toute
sa
cour
et
une
grande
partie
des
habitants
d'Édesse.
Parmi
les
autres
moyens
propres
à
consolider
la
vraie
religion,
il
fit
traduire
la
Bible
en
langue
syriaque.
Thaddée
prêcha
ensuite
l'Évangile
dans
la
Grande
Arménie,
qui
eut
aussi
le
bonheur
d'entendre
la
voix
d'autres
apôtres
de
Jésus
Christ.
Cependant,
bien
que
le
christianisme,
dans
ces
premiers
siècles,
enveloppât
de
son
modeste
voile
presque
toute
l'Arménie,
celle-ci
trop
enchantée
alors
d'autres
vues,
enivrée
de
victoires
et
des
poésies
séduisantes
qui
rehaussaient
l'éclat
de
ses
héros,
ne
prêtait
pas
une
oreille
attentive
à
une
doctrine
qui
ne
flattait
guère
son
ardente
imagination.
L'esprit
païen
con
tinuait
à
tenir
tête
au
christianisme;
le
fils
même
d'Abgar,
le
malheureux
Anané,
rouvrit
les
temples
des
dieux.
Sanadrough,
neveu
d'Abgar,
un
moment
converti,
du
moins
en
apparence,
au
christianisme,
martyrisa
sa
jeune
fille,
sa
sœur
et
les
apôtres
Thaddée
et
Barthélemy.
Ardachès,
moins
rigoureux
que
son
père,
sollicité
par
des
princes
Alains,
alliés
à
son
épouse,
d'accepter
comme
eux
la
religion
de
Jésus,
s'en
excusa
par
ses
occupations
et
les
soins
de
la
guerre.
Aussi
l'Évangile,
quittant
pour
un
moment
les
portes
des
rois
et
des
heureux
d'Ararat,
cherchait
des
abris
dans
les
provinces
les
plus
éloignés
d'une
cour
corrompue,
pour
triompher
plus
tard
à
coup
sûr,
tandis
que
la
persécution
contre
les
chrétiens
sévissait
sur
toute
l'étendue
de
l'empire
romain,
auquel
appartenait
alors
la
Petite-Arménie;
ses
principales
villes,
Césarée,
Mélitène,
Sébaste
et
d'autres
étaient
devenues
les
rivales
de
Rome
et
d'Alexandrie
par
le
nombre
des
martyrs
qu'elles
offraient
à
l'Église.
Khosrov,
petit-fils
d'Ardachès,
et
son
fils
Terdat,
comme
alliés
des
Romains,
se
faisaient
un
devoir
d'imiter
la
cruauté
des
empereurs.
Le
dernier
de
ces
rois,
qui
avait
conquis
son
royaume
avec
le
secours
de
Dioclétien,
excité
par
celui-ci,
avait
ordonné
à
deux
reprises
de
poursuivre
dans
tous
ses
domaines
tout
ce
qui
tenait
au
christianisme;
il
venait
d'exécuter
lui-même
son
édit
barbare,
en
faisant
massacrer
trente-six
vierges
romaines
ou
grecques
qui
étaient
venues
chercher
un
abri
dans
les
propres
terrains
de
sa
résidence
ordinaire,
furieux
qu'il
était
de
n'avoir
réussi
ni
par
persuasion
ni
par
force
à
faire
accepter
à
une
de
ces
vierges,
la
belle
Rhipsimée,
sa
main
royale.
Après
ce
dernier
acte
d'atrocité,
frappé
par
la
justice
divine,
il
fut
saisi
de
remords
et
en
proie
de
telle
fureur,
que,
abandonnant
ses
sujets,
il
se
réfugia
dans
les
repaires
des
bêtes
fauves.
C'est
de
cette
abjection
que
le
tira
le
bras
du
Seigneur
pour
la
plus
grande
gloire
de
son
nom.
Une
de
ses
victimes,
qui
depuis
treize
ans
languissait
dans
une
fosse,
espèce
de
cachot,
et
vivait
encore
par
un
miracle
de
la
Providence,
en
fut
tirée,
à
son
tour,
pour
guérir
le
corps
et
l'âme
du
roi
et
convertir
toute
l'Arménie
au
vrai
Dieu.
Ce
fut
le
grand
Grégoire
le
Parthe,
que
l'Arménie
reconnaissante
nomme
son
Illuminateur,
titre
sublime,
digne
de
celui
qui
le
reçut
et
de
celle
qui
le
lui
donna.
Je
laisse
à
Agathange,
historien
contemporain,
et
à
l'histoire
ecclésiastique,
le
récit
complet
de
cette
conversion,
qui
s'opéra
subitement
comme
un
éclair
d'un
bout
à
l'autre
de
l'Arménie,
parcourue
bientôt
par
400
évêques,
tous
sacrés
par
l'Illuminateur,
pour
y
répandre
les
lumières
de
la
foi
et
les
connaissances
utiles,
enseignées
par
une
foule
de
prêtres
et
de
docteurs
que
notre
grand
apôtre
avait
recrutés
d'abord
dans
les
villes
chrétiennes
de
la
Petite-Arménie,
surtout
à
Sébaste,
puis
en
Syrie.
Des
écoles
grecques
et
syriennes
se
rouvrirent
dans
chaque
canton,
chaque
bourgade
de
l'Arménie;
la
cour
même,
avec
son
auguste
chef,
les
anciens
ministres
d'
Anahid
et
de
Dir,
furent
initiés
à
la
vraie
doctrine,
et
douze
des
fils
des
prêtres
des
anciennes
divinités
nationales
devinrent
des
évêques
collaborateurs
de
S.
Grégoire.
Celui-ci,
outre
sa
prédication
orale,
nous
a
laissé
des
traités,
des
prières
et
un
missel;
ses
premières
conférences
adressées
au
roi
et
au
peuple
avant
leur
baptême,
et
appelées
l'
Evangile
de
saint
Grégoire,
furent
recueillies
et
mises
en
ordre
par
Agathange,
chef
des
archives
royales.
Ces
deux
auteurs
et
d'autres
du
IV
siècle
écrivirent
ou
en
grec
ou
en
syriaque;
tous
les
ministres
de
l'Église
arménienne
connaissaient
ces
langues
et
traduisaient
à
leur
troupeau
les
saintes
Ecritures.
Après
la
conversion
de
l'Arménie,
c'est
l'invention
ou
le
perfectionnement
de
l'écriture
arménienne
qui
fait
surtout
époque
dans
notre
histoire
morale.
Cette
invention
était
reservée
à
Mesrob,
premier
docteur
arménien,
qui
florissait
vers
la
fin
du
IV
siècle
et
le
commencement
du
V,
sous
le
pontificat
d'
Isaac,
arrière-petit-fils
de
Grégoire,
et
qui,
avec
l'aide
de
ce
patriarche
et
du
roi
Vramchabouh,
parvint
à
doter
l'Arménie
d'un
de
ses
titres
et
de
ses
trésors
impérissables.
L'œuvre
de
l'Illuminateur
se
compléta
par
l'œuvre
de
Mesrob
et
d'Isaac
et
d'une
soixantaine
de
leurs
élèves,
qui,
profondément
versés
dans
les
langues
grecque,
syriaque,
persane
et
même
chaldéenne
et
romaine,
traduisirent,
dans
l'espace
d'un
demi-siècle,
la
Bible
et
presque
tous
les
ouvrages
des
saints
Pères
dans
la
plus
classique
langue
arménienne.
Ces
traducteurs
avaient
complété
leurs
études
dans
les
fameuses
écoles
et
bibliothèques
d'Athènes,
d'Alexandrie,
d'Édesse,
de
Constantinople,
de
Rome
et
d'Antioche.
Leurs
traductions,
moissonnées
par
le
cours
des
siècles
et
plus
encore
par
des
événements
fâcheux,
nous
sont
arrivées
seulement
en
par
tie,
conservant
entre
autres
quelques
ouvrages
dont
l'original
grec
est
perdu:
tels
sont
la
Chronique
d'Eusébe,
Philon
l'Hébreu,
les
homélies
de
Sévérien,
évêque
de
Gabala,
etc.
Cette
époque
de
notre
littérature
fut
nommée
le
siècle
d'or;
et
elle
serait
sans
doute
encore
plus
éclatante
si
des
malheurs
civils
ne
l'eussent
troublée
soudain;
car
les
plus
braves
de
nos
traducteurs
n'étaient
pas
encore
rentrés
dans
leurs
foyers,
chargés
du
plus
glorieux
butin,
que
le
royaume
des
Arsacides
s'éteignit
dans
leur
patrie,
abandonnée
une
seconde
fois
à
la
merci
de
la
haine
sassanide.
Cette
dynastie
opiniâtre,
et
les
autres
qui
parvinrent
à
la
domination
de
l'Asie,
ne
cessèrent
de
bannir
ou
de
persécuter
toute
lumière,
toute
croyance
contraire
à
la
leur:
une
guerre
sans
trêve
fut
déclarée
au
christianisme
et
aux
lettres;
l'Arménie
en
souffrit
plus
qu'aucun
autre
pays,
à
cause
de
sa
situation
géographique
et
morale.
Placée
entre
quatre
mers
méditerranées
et
à
peu
près
au
centre
des
trois
parties
de
l'ancien
hémisphère,
sous
le
climat
des
plus
heureux
pays
de
la
terre,
bien
qu'elle
n'en
ait
pas
toujours
les
avantages,
à
cause
de
son
extrême
élévation
au-dessus
du
niveau
de
la
mer,
l'Arménie
fut
de
tout
temps
le
chemin
battu
des
nations
et
le
confluent
de
l'Europe
et
de
l'Asie:
elle
est
en
tout
l'arrière-garde
de
la
première
et
l'avant-garde
de
la
seconde.
Cette
position,
si
avantageuse
au
point
de
vue
de
la
civilisation
et
du
commerce,
n'était
pas
moins
pour
elle
une
cause
de
désastres
et
d'invasions
continuelles.
Si
quelque
lacune
dans
ses
lois
l'empêchait
de
devenir
assez
forte,
assez
compacte
pour
repousser
toutes
ces
agressions
extérieures,
il
faut
confesser
que
c'était
une
tâche
bien
rude
que
de
résister
toujours
contre
le
flux
et
le
reflux
de
tant
de
nations
barbares
et
de
tant
d'armées
aguerries.
Aucun
pays
du
monde,
peut-être,
n'a
vu
autant
de
cruels
conquérants
et
de
célèbres
capitaines,
autant
d'armées
d'invasion,
au
tant
de
torrents
de
sang,
que
l'Arménie
circonscrite
par
tant
d'éléments
hétérogènes,
tant
d'ennemis,
tant
de
rivaux.
Pouvait-elle
résister
longtemps
à
ces
chocs
redoutables
?
Elle
a
résisté
cependant
plus
de
trois
mille
ans,
victorieuse
plus
souvent
que
vaincue,
contre
toutes
les
hordes
du
Nord
et
toutes
les
attaques
de
l'Orient
et
du
Midi.
Commerçante
et
agricole
par
son
génie,
elle
était
guerrière
par
nécessité;
elle
maniait
tour
à
tour
la
lance
et
la
charrue;
tantôt
elle
repoussait
ou
terrassait
l'agresseur
de
ses
confins,
tantôt
elle
défendait
plus
d'une
contrée.
Ah!
si
des
critiques
plus
impartiaux
voulaient
juger
l'histoire
ancienne,
ils
seraient
moins
enchantés
de
voir
dix
royaumes
grecs
réunis
pour
renverser
une
ville
asiatique,
que
de
voir
l'Arménie,
ferme
entre
les
peuples
barbares
et
les
peuples
civilisés,
élevant
de
loin
son
bouclier
sur
cette
même
Grèce,
si
orgueilleuse,
et
sur
l'Occident
lointain.
Il
est
vrai
que,
parfois
entraînée
par
des
conquérants
étrangers
ou
nationaux,
l'Arménie
prit
l'offensive
à
l'égard
de
cette
Grèce;
mais
il
est
plus
vrai
encore
que,
si
elle
n'eût
pas
soutenu
souvent
les
premiers
chocs
de
l'Orient
et
du
Nord,
la
Grèce
n'aurait
pas
eu
autant
de
loisir
pour
créer
des
chefs-d'ouvre
d'art
et
de
littérature
qui
lui
assurent
l'admiration
des
siècles.
Pour
que
la
Grèce
fût
telle
qu'elle
a
été,
il
fallait
aussi
que
l'Arménie
fût
là.
La
Grèce,
de
son
côté,
hâtons-nous
de
le
reconnaître,
nous
a
rendu
d'immenses
services.
Si
l'Arménie,
pays,
type
et
langue
d'Orient,
s'est
distinguée
parmi
les
autres
peuples
orientaux,
c'est
grâce
au
contact
de
la
Grèce.
Les
dernières
limites
de
ces
deux
peuples
se
confondaient
dans
les
belles
contrées
de
l'Asie-Mineure,
à
peine
connues
au
jourd'hui.
En
fait
de
religion,
de
littérature,
de
grammaire
même,
l'Arménien
tient
plus
du
Grec
que
de
l'Asiatique
proprement
dit.
-
Quand
l'Arménie
se
convertit
au
christianisme,
sous
Terdat,
elle
était
forte,
elle
était
grande,
tandis
que
la
Grèce
comptait
à
peine
comme
pays
autonome.
Bientôt
l'empereur
de
Rome
choisit
Bysance
pour
capitale
et
jeta
les
fondements
d'un
nouvel
empire
grec.
Constantin
et
Terdat
s'étaient
liés
d'amitié,
dans
leur
jeunesse,
à
la
cour
de
Dioclétien,
à
Nicomédie.
Parvenus
tous
deux
au
trône,
ils
firent
alliance;
devenus
chrétiens,
ils
devinrent
des
frères.
L'alliance
de
ces
deux
illustres
chefs
se
prolongea
plus
ou
moins
étroitement
parmi
leurs
successeurs
pendant
un
siècle;
ils
s'entr'aidaient
contre
les
Perses
et
leurs
autres
ennemis.
Mais
quand
la
mollesse
et
les
vices
s'emparèrent
de
ces
deux
cours,
elles
se
séparèrent
et
se
trahirent;
l'Arménie
en
souffrit
davantage
comme
plus
faible
et
placée
entre
la
Grèce
et
la
Perse.
Ces
deux
empires
en
firent
bientôt
le
partage:
la
portion
échue
à
Constantinople
était
encore
protégée,
tandis
que
l'autre
gémissait
douloureusement
sous
la
haine
invétérée
du
Sassanide,
qui
ne
voulait
rien
moins
que
convertir
l'Arménie
au
culte
de
Zoroastre.
Il
parvint
à
persuader
les
plus
faibles
et
les
plus
corrompus
parmi
les
magnats
de
l'Arménie;
déjà
les
livres
saints
étaient
en
partie
brûlés,
en
partie
cachés;
les
temples
sacrés
se
fermaient
et
les
autels
du
Feu
se
dressaient
çà
et
là;
sept
cents
Mages
allaient
remplacer
les
disciples
de
Mesrob
et
d'Isaac.
Soudain
le
petit-fils
de
ce
dernier,
Vartan,
le
prince
Mamigonide,
jeta
un
cri
de
lion,
et
revendiqua
les
droits
de
la
religion
et
de
la
patrie.
La
vertu
et
le
courage
répondirent
à
sa
voix:
la
guerre
fut
décidée
contre
la
Perse.
Mais
où
trouver
une
armée
capable
d'affronter
les
innombrales
troupes
du
roi
des
rois?
La
moitié
de
l'Arménie
était
là
encore;
elle
avait
invité
les
peuples
du
Caucase
chrétien,
qui
se
refusèrent
à
son
invitation;
elle
se
tourna
vers
son
ancien
allié
et
envoya
des
courriers
pour
solliciter
Byzance;
mais
Byzance
fut
sourde
et
muette
au
moment
suprême
de
l'Arménie.
Celle
ci
réduite
à
ses
propres
forces,
après
avoir
soutenu
un
long
combat
contre
des
forces
quadruples,
succomba
glorieusement,
ajoutant
les
noms
de
ses
braves
au
nombre
de
ses
martyrs.
La
guerre
et
les
troubles
continuèrent
encore
pendant
plus
de
trente
ans,
jusqu'à
ce
que
la
Perse,
convaincue
de
l'inutilité
de
cette
persécution,
laissât
l'Arménie
en
repos..
Mais
si
la
foi
combattue
devint
en
Arménie
plus
forte
encore
par
les
épreuves,
la
littérature
en
souffrit
beaucoup.
Il
est
vrai
qu'outre
l'avantage
spirituel,
cette
hostilité
des
Persans
et
des
mages
alimenta
le
génie
de
plusieurs
de
nos
docteurs,
entre
autres
de
trois
de
nos
meilleurs
classiques:
Eznig,
Elysée
et
Lazare;
néanmoins,
la
plume
de
nos
traducteurs
s'était
arrêtée,
et
le
siècle
d'or
se
couvrit
de
ténèbres
de
plus
en
plus
épaisses
pendant
quatre
longs
siècles,
où
une
autre
domination
et
une
autre
religion
troublèrent
notre
pays
et
tant
d'autres.
Avec
de
nouvelles
dynasties
arméniennes
qui
surgirent
dans
les
IX
et
XI
siècles,
notre
littérature
aussi
se
releva
pour
nous
laisser,
outre
une
dizaine
d'historiens,
un
poète
sacré,
le
plus
original
de
sa
langue,
Saint
Grégoire
de
Naregh.
Cependant
l'horizon
civil
se
couvrait
des
nuages
les
plus
sinistres
autour
de
l'Arménie;
des
invasions
plus
terribles
que
les
précédentes
la
menaçaient;
un
bouleversement
plus
complet
paraissait
imminent.
C'étaient
des
peuples
nomades
des
steppes
de
l'Asie,
descendants
des
anciens
Scythes,
ces
archers
inombrables
qui
foulaient
orguéilleusement
la
terre
sous
les
pieds
de
leurs
chevaux
et
par
leurs
traits
répandaient
une
nuit
ambulante
sous
le
soleil.
Guidés
par
Toghroul,
par
Alp-Arslan
et
par
les
fils
de
Genghis-khan,
ils
réalisèrent
ce
que
leurs
pères
avaient
tenté
à
plusieurs
reprises.
Comme
toujours,
leurs
premiers
torrents
débordèrent
sur
l'Arménie,
et
l'Arménie
n'était
plus
ce
qu'elle
avait
été.
Une
dernière
fois
elle
brandit
sa
lance
pour
abattre
l'arc
tendu
contre
elle;
mais
les
flots
toujours
croissants
des
barbares
finirent
par
la
refouler
au
delà
même
de
ses
propres
confins.
D'ailleurs,
une
tradition
prophétique,
qui
menaçait
l'Arménie
d'une
invasion
inévitable
par
un
peuple
d'archers,
glaçait
tous
les
cœurs;
on
croyait
non
seulement
impossible,
mais
coupable
même
toute
tentative
de
résistance.
C'est
alors
que
l'Arménie
se
vit
contrainte
à
une
démarche
inopinée:
ne
pouvant
ni
résister
victorieusement,
ni
se
laisser
écraser
impitoyablement,
elle
s'ouvrit
un
nouveau
chemin
à
travers
les
nations,
envoyant
partout
des
colonies
bien
pénétrées
des
souvenirs
de
la
mère-patrie,
qu'elles
abandonnaient
avec
des
regrets
éternels.
Un
immense
triangle,
ceignant
la
mer
Noire,
nous
donne
une
idée
de
ces
colonisations
arméniennes
que
nous
y
voyons
aujourd'hui
même;
d'un
côté,
il
pénètre
vers
l'occident
à
travers
l'Asie-Mineure,
la
Thrace
et
la
Macédoine
jusqu'aux
provinces
danubiennes;
de
l'autre,
traversant
le
Caucase
et
les
pays
russes,
il
aboutit
à
la
Pologne,
d'où
le
troisième
côté
descend,
à
travers
la
Gallicie
et
la
Hongrie,
vers
les
bouches
du
Danube.
Combien
ces
colons
étaient
différents
de
ceux
qui
envahissaient
notre
patrie!
Tandis
que
ces
derniers
n'apportaient
que
la
desolation
et
la
ruine,
les
nôtres,
gràce
à
l'hospitalité
des
gouvernements
qui
les
reçurent,
non
seulement
se
dédommagèrent
des
pertes
qu'ils
venaient
de
faire
dans
l'ancienne
patrie,
mais
ils
furent
utiles
de
plus
d'une
manière
à
la
patrie
adoptive,
par
leur
industrie,
leur
commerce
et
même
leur
littérature.
En
dehors
de
ces
paisibles
colonies,
il
y
en
eut
d'un
caractère
guerrier;
plusieurs
familles
princières
et
militaires,
avec
leurs
alliés,
harcelées
par
les
Seldjoukides,
rebutées
par
les
Grecs,
se
jetèrent,
à
travers
l'Asie-Mineure,
sur
les
contrées
les
plus
hérissées
des
remparts
du
Taurus,
dans
la
Cappadoce,
la
Pamphylie
et
la
Cilicie;
elles
s'en
emparèrent,
moins
par
traité
que
par
force,
et
finirent
par
se
les
assujettir.
C'est
alors
que
se
fonda
la
dernière
dynastie
d'Arménie,
celle
des
Roubénides,
la
plus
connue
des
Européens,
auxquels
elle
rendit
plus
d'un
service
à
l'époque
des
Croisades,
et
dont
elle
reçut,
en
retour,
et
sa
couronne
et
des
institutions
libérales.
Nos
rois
de
la
Cilicie
conclurent
des
traités
de
commerce
et
d'échanges
avec
les
villes
industrielles
et
maritimes
de
la
France,
de
l'Espagne
et
des
républiques
de
l'Italie.
Ils
s'allièrent
à
la
famille
royale
des
Lusignans
de
Chypre,
de
laquelle
l'Arménie
reçut
son
dernier
roi,
Léon
V
(ou
VI),
qui,
après
la
perte
totale
de
son
royaume,
vint
à
la
cour
de
Charles
VI,
pour
reposer
enfin
avec
les
monarques
de
la
France
sous
les
voûtes
de
Saint-Denis.
Comme
leurs
ancêtres
se
conformaient
à
la
langue
et
à
la
cour
des
Grecs,
les
Roubénides
prirent
pour
modèle
la
langue
et
la
cour
de
France:
presque
tous
les
titres
des
fonctionnaires
et
des
ministres
du
roi
de
Sis
étaient
français;
la
plupart
des
traités
conclus
avec
les
gouvernements
étrangers
sont
rédigés
ou
en
latin
ou
en
français;
les
rois
de
France
et
d'Arménie
se
donnaient
mutuellement
le
nom
de
cousins;
et
un
géographe
arménien,
à
peu
près
leur
contemporain,
donne
à
la
capitale
de
la
France
le
titre
d'
Université
des
Docteurs.
L'époque
la
plus
florissante
des
Roubénides
fut
pour
notre
littérature
le
siècle
d'argent,
elle
nous
laissa,
outre
une
vingtaine
d'historiens,
nos
meilleurs
grammairiens,
commentateurs
et
chantres
sacrés.
Cette
culture
ne
dépassa
pas
le
XIII
siècle;
et
le
XIV,
suivi
de
deux
autres
plus
misérables
encore,
donna
le
signal
d'une
triste
décadence.
La
langue
latine,
qui
s'était
introduite
à
cette
époque
dans
différents
cantons
de
l'ancienne
Sunie,
à
côté
de
quel
ques
avantages
et
de
quelques
désavantages
au
point
de
vue
religieux,
n'aboutit
qu'à
corrompre
la
pureté
de
la
langue
hayganide,
et
cette
corruption
se
traîna
plusieurs
siècles,
non
seulement
dans
l'Arménie
propre,
mais
aussi
dans
les
colonies,
et
surtout
dans
ces
couvents
d'Italie
que
les
Uniteurs,
c'est-à-dire
les
Dominicains
Arméniens,
et
les
Basiliens
venaient
de
fonder
dans
plusieurs
villes
d'Italie,
et
dont
aucun
ne
resta
debout
à
partir
du
17°
siècle.
Vers
la
fin
de
ce
siècle,
tandis
que
l'Arménie
n'était
pas
encore
rétablie
des
larges
plaies
que
les
derniers
Hélaghunides,
les
Leng-Timour,
les
chefs
des
familles
de
Blanc
et
de
Noir
Mouton,
les
Chah-Sophis
et
leurs
antagonistes
venaient
de
lui
faire,
quelques
signes
de
renaissance
paraissaient
sur
des
horizons
lointains.
L'Arménie,
toujours
avant-coureur
de
l'Orient
en
civilisation,
avait
adopté
l'invention
la
plus
remarquable
des
temps
modernes,
l'art
d'imprimer
l'écriture.
Nos
premières
imprimeries,
fondées
à
Venise
et
à
Rome
par
les
travaux
infatigables
de
quelques
zélés
Arméniens,
inspirés
par
un
amour
inné
du
bien
et
du
beau,
ne
comptent
pas
moins
de
trois
siècles,
et
celle
de
Paris
non
moins
de
230
ans.
Elles
fournirent
plusieurs
livres
religieux
et
utiles;
mais
aucune
ne
présentait
les
bases
d'une
progression
régulière.
Cet
avantage
était
réservé
à
une
société
dévouée
tout
entière
au
progrès
des
lumières
de
la
religion
et
des
sciences;
elle
choisit
aussi
sa
demeure
en
Italie
et
près
de
cette
Venise
qui
avait
contracté
la
première
alliance
commerciale
avec
l'Arménie,
dès
la
première
année
du
XIII
siècle.
Le
monde
savant
connait
le
couvent
de
l'
Ile
de
Saint
Lazare,
bâti
au
commencement
du
dernier
siècle
par
Mekhitar,
prêtre
de
Sébaste,
de
cette
ville
heureuse
de
la
Petite-Arménie,
où
notre
Illuminateur
avait
convoqué
ses
premiers
disciples.
Un
mouvement
progressif
s'était
manifesté
dans
le
grand
siècle
de
Louis
XIV,
même
dans
l'Arménie
propre.
Sans
parler
des
prédicateurs
latins,
quelques
prêtres
et
moines
arméniens
avaient
réorganisé,
avec
les
règles
monastiques,
les
études
théologiques
et
philosophiques;
l'imprimerie
de
Constantinople,
avec
les
livres
sacrés,
venait
offrir
au
public
quelques-uns
des
ouvrages
de
nos
classiques;
mais
tout
cela
manqua
de
suite
et
n'eut
pas
grande
importance,
tandis
que
la
congrégation
établie
par
Mekhitar
devenait
de
jour
en
jour
plus
capable
d'opérer
une
véritable
renaissance
de
la
littérature
arménienne.
Ma
position
m'oblige
d'abandonner
ici
à
d'autres
la
tâche
de
critique.
Je
laisse
donc,
pour
le
moment,
ce
cher
asile
de
mon
enfance,
la
patrie
de
mon
âme
et
de
mon
esprit,
et
je
me
hâte
de
retourner
une
dernière
fois
à
la
Grande-Arménie,
pour
en
tirer
ce
qui
doit
être
le
premier
objet
et
le
principal
but
de
mon
discours.,
Au
commencement
du
XVII
siècle,
lors
que
le
sort
partageait
définitivement
l'Arménie
entre
l'empire
ottoman
et
le
persan,
le
roi
de
ce
cernier
pays,
le
grand
et
l'astucieux
Chah-Abas,
connaissant
bien
la
force
de
son
rival,
et
prévoyant
la
perte
de
ces
campagnes
de
l'Arménie
tant
de
fois
ensanglantées
mais
encore
fertiles,
se
décida
à
une
politique
pratiquée
même
de
nos
jours:
en
perdant
le
territoire,
il
voulut
conserver
ses
habitants.
–
A
la
hauteur
des
rapides
du
fleuve
Araxe,
au
bord
duquel
s'étaient
élevés
les
anciennes
capitales
de
l'Arménie,
florissait
alors
le
bourg
de
Vieux-Tciulfa,
la
place
la
plus
commerçante
du
pays
à
cause
de
sa
position
favorable
sur
la
grande
route
des
caravanes
qui
traversent
le
pays
situé
entre
le
Golfe
Persique,
le
Pont
et
le
Caucase.
Après
tant
de
colonies,
celle
de
Tciulfa
fut
forcée
par
Chah-Abas
de
se
transporter
près
d'Ispahan,
sa
capitale,
en
face
de
laquelle
elle
bâtit
le
Nouveau-Tciulfa,
qui
ne
tarda
pas
à
surpasser
l'ancien
par
ses
édifices
et
la
richesse
qu'il
se
procura
par
la
route
des
Indes,
et
plus
encore
par
la
protection
d'Abas
le
Grand.
Mais,
sous
le
règne
de
son
petit-fils,
tout
fut
oublié,
et
les
pertes
que
les
Arméniens
avaient
essuyées
dans
leur
émigration,
et
les
services
qu'ils
venaient
de
rendre
au
chah;
ils
se
virent
une
seconde
fois
dépouillés
de
ce
qu'ils
avaient
de
plus
cher,
et
ils
éprouvèrent
toutes
sortes
de
misères.
C'est
alors
que
quelques-uns
d'entre
eux
émigrèrent
dans
les
riches
ports
et
villes
des
Indes;
d'autres
s'échappèrent
pour
rechercher
les
traces
de
leurs
anciens
foyers
du
Vieux-Tciulfa
qu'Abas
avait
ordonné
de
raser.
Au
nombre
de
ces
derniers
était
le
fils
d'
Aghamal,
le
chef
ou
le
conducteur
de
la
migration.
L'arrière-petit-fils
de
celui-ci,
B.
Kharoum-Aghamal,
natif
de
Chorot,
aux
environs
de
Tciulfa,
devenu
riche
par
son
commerce
dans
les
Indes,
vint
s'établir
à
Tokat,
l'ancienne
Eudoxie,
à
peu
de
distance
de
Sébaste;
c'est
là
qu'il
devint,
en
1760,
le
père
de
Samuel
Moorat,
le
fondateur
de
notre
collège.
Né
dans
l'opulence,
celui-ci
tomba
bientôt
dans
l'indigence,
qui
lui
apprit
à
s'enrichir
par
son
propre
travail;
car,
par
revirement
de
fortune,
son
père
fut
obligé
de
quitter
Tokat
et
de
parcourir
la
Turquie
d'Europe
avec
ses
fils;
arrivé
à
Varadin,
il
fut
heureux
d'y
trouver
un
Mékhitariste,
chez
lequel
il
placa
d'abord
ses
deux
fils;
ensuite,
muni
de
ses
lettres,
il
les
emmena
à
Venise,
pour
voir
de
près
l'œuvre
de
Mékhitar.
Telle
fut
la
cause
des
relations
et
de
l'intimité
de
Samuel
Moorat
avec
les
Mekbitaristes,
que
des
événements
accrurent
encore.
Après
quatre
mois
de
séjour
à
Venise,
Moorat
continua
ses
pérégrinations
avec
son
père,
qu'il
eut
le
malheur
de
perdre
bientôt
à
Mashegat,
d'où
il
fit
voile
vers
Madras,
dans
les
Indes,
et
s'attacha
à
des
commerçants
nationaux.
Parmi
ceux-ci
se
distinguait
Ed.
Raphaël
Gharam,
dont
il
épousa
la
fille,
grâce
aux
bons
témoignages
qu'il
obtint
encore
d'un
Mékhitariste,
qui
se
trouvait
chez
son
futur
beau-père,
en
qualité
de
précepteur
de
ses
fils.
Comme
récompense
des
travaux
et
des
souffrances
de
ce
religieux,
Raphaël
avait
promis
une
somme
pour
la
fondation
d'un
collège;
c'est
alors
que
son
gendre,
notre
Moorat,
résolut,
si
la
fortune
lui
souriait,
de
faire
de
plus
larges
donations
pour
un
but
semblable.
Il
était
homme
de
cœur
et
de
parole;
son
industrie,
bénie
par
la
Providence,
le
rendit
assez
riche
pour
accomplir
un
projet
conçu
depuis
son
voyage
à
Venise,
et
par
son
testament,
écrit
en
1815,
un
an
avant
sa
mort,
il
affecta
une
somme
considérable
à
la
fondation
d'un
collège
en
Europe,
sous
la
direction
des
Mekhitaristes,
en
faveur
des
orphelins
et
des
enfants
pauvres
de
sa
nation.
Je
passe
sur
les
détails
de
l'exécution
de
son
testament,
sur
l'ouverture
du
collège,
d'abord
à
Padoue,
18
ans
après
la
mort
de
son
fondateur,
l'an
1834,
puis
sa
translation
à
Paris,
en
1846.
Mais
en
passant
sous
silence
une
foule
de
choses,
je
ne
dois
et
je
ne
puis
oublier
le
mérite
de
qui
que
ce
soit
dans
ces
affaires;
et
je
désire
que
de
tels
souvenirs
seuls
soient
gravés
à
jamais
dans
nos
cœurs.
Je
laisse
aussi
à
d'autres
l'examen
de
la
conduite
de
cet
établissement,
ainsi
que
de
celui
du
collège
Raphaël,
fondé
à
Venise
deux
ans
après
le
nôtre.
Cependant,
je
me
permettrai
en
passant
quelques
courtes
réflexions
en
réponse
à
des
objections,
à
des
critiques,
à
des
demandes
et
à
des
conseils
qu'on
nous
adresse
parfois.
Je
rappellerai
d'abord
la
maxime
bien
connue
et
souvent
oubliée,
qu'on
ne
saurait
concilier
les
volontés
opposées.
Ensuite,
je
dirai
que
nos
établissements,
ne
comptant
guère
que
25
années
d'existence,
ne
pouvaient
atteindre
à
un
plus
haut
degré
de
développement,
surtout
en
égard
à
des
événements
touchant
à
divers
intérêts
de
ces
établissements.
Il
faut
aussi
se
rappeler
que
la
position
exceptionnelle
de
ces
institutions
fondées
dans
des
pays
éloignés
du
centre
de
la
nation,
nation
divisée
entre
elle
de
plus
d'une
manière
et
soumise
à
différentes
dominations,
a
dû
créer
d'immenses
embarras.
Et
comme
nos
collèges
sont
même
en
dehors
de
ces
dominations,
ils
ont
contracté
vis-à-vis
d'autres
gouvernements
des
obligations
auxquels
nous
ne
saurions
manquer
sans
ingratitude.
C'est
d'abord
le
gouvernement
de
la
Sublime-Porte
auquel
appartient
la
majorité
de
notre
nation;
par
ce
motif
même,
nos
collèges
doivent
recruter
leurs
élèves
principalement
parmi
ses
sujets,
les
élever,
les
diriger
de
façon
à
être
utiles
autant
à
leur
patrie
qu'au
gouvernement.
--
Nos
collèges
sont
aussi
redevables
à
la
Grande-Bretagne
et
à
l'Autriche:
à
la
première,
en
ce
que
nos
deux
fondateurs,
bien
qu'Arméniens,
étaient
sujets
anglais;
le
gouvernement
anglais
a
protégé
et
exécuté
la
volonté
des
testateurs,
et
assure
en
core,
dans
les
trésors
de
son
Etat,
les
fonds
du
collège
Raphaël;
à
l'Autriche,
car
c'est
elle
qui,
par
la
possession
des
États
Vénitiens,
a
continué
à
notre
congrégation
l'hospitalité
que
celle-ci
avait
reçue
autrefois
en
Morée
et
à
Venise;
c'est
dans
les
possessions
autrichiennes
que
se
fondèrent
nos
deux
institutions,
dont
l'une
y
prospère
encore,
tandis
que
l'autre
en
tire
ses
revenus.
Mais
c'est
surtout
envers
le
Gouvernement
français
que
l'institution
Moorat
a
contracté
de
douces
obligations,
et
ses
élèves,
fils
des
anciens
alliés,
ne
cherchent
ici
qu'une
sage
et
prudente
alliance
du
vrai
progrès
dans
les
sciences
utiles,
sous
la
généreuse
protection
du
gouvernement,
de
ses
ministres
et
des
professeurs
habiles
auxquels
nous
témoignons
notre
vive
reconnaissance.
Ces
réflexions
et
ces
sentiments
me
conduisent,
enfin,
à
l'éclatante
manifestation
de
la
gratitude
et
des
bénédictions
dues
à
ton
nom
impérissable,
à
ton
âme
glorieuse,
ô
Samuel
Moorat,
première
source
de
tant
de
souvenirs,
de
tant
d'espérances,
de
tant
de
réalités,
souvenirs,
espérances,
réalités
que
je
voudrais
entrelacer
comme
des
guirlandes
d'immortelles,
d'olivier
et
de
laurier
autour
de
ta
mémoire
séculaire!
Faible
ministre
de
ta
volonté
sacrée
et
de
devoirs
plus
sacrés
encore,
au
nom
de
ces
deux
legs,
je
n'hésite
plus
à
témoigner
devant
cet
illustre
auditoire
que
tes
vœux
ardents,
ceux
de
la
patrie
et
de
la
religion,
s'accomplissent
ici
dans
la
maison
de
ta
munificence.
Outre
cette
cinquantaine
d'élèves,
tu
as
deux
cents
fils
qui,
ayant
accompli
leur
éducation
dans
ta
maison,
sont
retournés
dans
leurs
foyers,
et,
avec
leurs
amis
du
collège
Raphaël,
proclament
et
bénissent
vos
noms
vénérés
dans
différentes
villes
de
l'Asie
et
de
l'Europe,
d'où
ils
étaient
venus
pour
participer
à
vos
bienfaits.
Tu
vois,
mieux
que
par
des
yeux
mortels,
l'impulsion
que
ton
œuvre
et
celle
de
tes
coopérateurs
vont
imprimer
à
l'esprit
de
la
nation
que
tu
as
tant
aimée.
Elle
connaît
déjà
et
apprécie
mieux
la
valeur
de
l'éducation
morale
et
scientifique;
elle
réveille
le
génie
des
David
et
des
Proheresius,
qui,
dans
les
salles
d'Athènes,
surpassaient
tous
les
orateurs
de
leur
temps
et
recevaient
des
statues
à
Rome,
comme
des
maîtres
de
la
parole;
elle
confirme
une
fois
de
plus
que
les
langues
étrangères
sont
pour
elle
des
conquêtes
faciles,
qui
l'appellent
à
servir
dans
les
cabinets
des
cours,
dans
les
ambassades,
dans
les
factoreries
et
les
maisons
commerçantes;
tandis
qu'elle
cultive
sa
riche
langue
nationale,
interprète
des
sentiments
et
des
vœux
de
son
cœur
rajeuni,
elle
manie
le
pinceau
et
le
ciseau
avec
la
jeunesse
étrangère,
et
souvent
rivalise
avec
elle,
au
témoignage
même
des
professeurs
et
des
critiques
impartiaux.
Tu
vois
quelques-uns
de
tes
fils
adoptifs,
devenus
eux-mêmes
des
instituteurs
ou
des
professeurs
dans
les
maisons
privées
ou
les
établissements
publics,
devant
la
jeunesse,
l'âge
mûr
et
le
public
d'élite,
faisant
preuve
de
talent,
l'un
par
des
discours
éloquents,
l'autre
par
des
compositions
dramatiques,
un
autre
par
des
poésies
naïves
et
élégantes,
qui
permettraient
des
succès
plus
brillants
encore
dans
une
civilisation
plus
avancée.
Tu
en
vois
quelques
autres
promus
aux
degrés
supérieurs
de
la
hiérarchie
civile
ou
militaire,
honorés
de
titres
éclatants,
exerçant
des
fonctions
diplomatiques
et
portant
les
insignes
du
mérite.
—
Tu
vois
avec
un
plus
grand
plaisir
des
parents
qui,
embarrassés
ou
affligés
dans
leur
intérieur,
soupirent
après
le
retour
de
leurs
chers
enfants,
desquels
ils
espèrent
la
récompense
des
soins
qu'ils
leur
donnèrent.
Déjà
quelques-uns
de
ces
vieillards,
mêlant
les
derniers
rayons
de
leur
existence
avec
la
brillante
aurore
de
leurs
petits-fils,
les
trouvent
plus
parfaits
que
n'étaient
leurs
pères
au
même
âge;
et
ces
pères
aussi
confessent
la
maturité
intellectuelle
de
ces
héritiers
qui
leur
prétent
un
plus
sûr
appui
dans
les
vieux
jours;
-
et
des
mères,
auparavant
réduites
à
la
plus
stricte
économie,
jouissent
maintenant
des
faveurs
d'une
douce
aisance,
grâce
à
l'industrie
de
leurs
fils
reconnaissants;
et
des
jeunes
filles
sont
plus
belles
et
plus
fières
de
parures
procurées,
non
par
des
mains
étrangères,
mais
par
la
longue
patience
d'un
frère,
acquise
dans
ces
classes
que
tu
leur
as
ouvertes
pour
le
bonheur
de
toute
une
famille.
Et
tu
vois
encore
avec
plus
d'attendrissement
que
si
quelqu'un
de
tes
nombreux
élèves
est
dans
la
souffrance
ou
tombe
dans
l'adversité,
il
y
a
une
association,
fondée
sous
tes
auspices,
et
qui
porte
ton
nom,
celui
de
Moorat
Raphaël,
laquelle
s'empresse
de
lui
venir
en
aide
et
de
lui
offrir
le
secours
de
ses
offrandes,
de
ses
encouragements
et
de
ses
conseils.
Et
toi,
père
Moorat,
tu
vois
aussi
ce
que
nos
faibles
yeux
ne
nous
montrent
encore
que
sous
la
forme
d'espérances
à
peine
écloses
à
la
surface
d'un
avenir
flottant;
tu
vois
une
sphère
de
bonheur
commencer
son
chemin
à
travers
l'avenir,
comme
l'astre
des
nuits
dans
sa
course
éthérée,
dont
nous
ne
voyons
que
le
croissant
doré,
tandis
que
tu
en
vois
toute
la
circonférence
lumineuse,
c'est-à-dire
le
complément
de
ton
œuvre,
dont
nous
constatons
l'heureux
commencement.
Et
quand
nos
successeurs
viendront,
à
leur
tour,
célébrer
l'anniversaire
séculaire
de
ta
mort
regrettable,
ou
de
la
fondation
de
ton
établissement,
qui
pourra
dire
de
combien
de
progrès,
de
combien
de
succès
notre
patrie
sera
redevable
à
ton
œuvre
bénie
?.....
Nous
nous
taisons;
mais
tu
vois
bien
tout
cela,
et
jetant
un
coup
d'œil
paternel
sur
tous
ces
produits
présents
et
futurs
de
ta
belle
pensée,
tu
reportes
tes
regards
vers
la
source
de
ton
noble
cœur,
en
disant
avec
extase:
«
Seigneur,
ce
sont
les
dons
de
ta
main,
»
Nous
ajouterons:
«Et
les
œuvres
méritoires
de
Samuel
Moorat»!
P.
LÉONCE
M.
ALISHAN.