S. Théodore le Salahounien

Հեղինակ

Բաժին

Թեմա

THÉODORE  LE SALAHOUNIEN

Martyr Arménien

Par le P. Leonce M. Alishan

Traduit par J. Hékimian

 

I.

Voici Maréri [1] qui distille des gouttes de miel. Pour l'Arménie, notre cher pays, et pour ceux qui lui ressemblent, c'est le plus beau des douze mois de l'année

Chez nous, sous l'azur le plus pur du ciel, Maréri danse avec grâce sur les collines et dans les vallées. Elle est tout habillée de vert et de rose. A chaque main et sur son sein, sur sa tête et à sa ceinture, elle porte des bouquets de fleurs aux mille couleurs que ses pas légers ont fait naître. On entend le doux murmure des sources argentées; les oiseaux, aux ailes fleuries, chantent et exécutent des cheurs, les chevreaux et les  chevreuils aux frêles épaules errent et courent ça et . Quand la reine des coteaux arméniens Maréri, aux noirs sourcils, se glisse de vallon en vallon, s'élance de colline en colline, précipite ou arrête ses pas, c'est alors que la brise embaumée et les doux zéphirs font onduler leurs souples cheveux. Sous son haleine vaporeuse et rayonnante, les fleurs scintillent, les fruits prennent une couleur de pourpre. Et si la douce voix, la voix de Maréri frappait ton oreille! 

Oh! lorsqu'il y a plus de mille ans, notre nation était maîtresse et héritière de tous ses pays donnés par Dieu, alors sur les collines ombragées de l'Arménie, la voix de Maréri aux noirs sourcils était un chant incomparable, incomparable comme Maréri elle même. Comme la feuille desséchée ne pourrait résister devant l'éclat d'une rose printanière, ainsi nos accents modernes diffèrent de ceux de cette charmante chanteuse. Ni nos musiciens, ni les chanteurs étrangers ne peuvent réveiller les harmonies dont Maréri faisait retentir autrefois les cavernes de la Haute-Arménie. Et si nous voulons en faire un essai quelconque, si nous voulons en avoir une idée, peut-être que la voix entendue des collines de Béthel est seule digne d'étre comparée à celle de notre Maréri à la bouche de miel; cette voix paraît encore sortir d'un vallon obscur, traversé par de fougueux affluents de l'Euphrate: «L'hiver s'est éloigné, les pluies ont cessé, et les fleurs apparaissent dant notre pays: le temps de la taille de la vigne est arrivé, le roucoulement de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes; le figuier étend ses bourgeons, nos vignes fleuries répandent leurs parfums» [2]

Sans doute, ici un cœur ardent, ne voudrait pas s'arrêter; il essayerait d'appeler avec le chantre divin, un voisin inconnu, une beauté charmante, un jeune visage qui eût la douceur de la colombe, et caché «à l'abri «d'un rocher..... »

Oui, aujourd'hui, le calendrier arménien nous découvre un tel personnage sacré, dont le nom et le pays sont peu connus. Le voici, se délassant à l'ombre d'un arbre, sur un rocher; il goûte les douceurs du repos; repos qui précède celui de l'éternité.... Le voici, semblable en effet au bien-aimé de l'Ecriture [3], sur son visage le lis se mêle à l'incarnat; sa taille est droite et bien prise; il a quelque  (8) chose du lion sous le regard de la colombe: il sait rugir, mais il aime mieux gémir. Il est étendu comme un homme harassé de fatigue, dans un vallon la voix humaine ne se fait entendre que rarement, sous un arbre solitaire dont les branches courbées vers la terre le protègent, on dirait, comme les bras d'une mère alarmée

Couché en ce lieu, il a posé son bras droit sur une pierre qui fait saillie au penchant du vallon; il soutient ainsi sa tête appesantie; sa main gauche disparait sur son sein, dans les plis d'un vêtement modeste. On serait tenté de croire que Maréri elle-même ornée de mille fleurs, errant dans les vallées et sur les collines, allait chercher ce jeune homme, ainsi que nous l'apprend un historien obligeant [4]. «Il avait les yeux noirs, les cheveux bouclés, les joues roses, la taille haute». Son vêtement était une robe simple et longue qui allait du cou jusqu'aux genoux; aux reins il avait une ceinture; ses jambes étaient couvertes de chaussures parthes; ses poignets jaunes étaient à-demi découverts, son bonnet arménien semblable au bonnet phrygien en forme de corne, était  près de lui. Sa physionomie était loin d'avoir une expression soucieuse; son âme cependant était en proie aux plus grandes angoisses que l'on remarquait, quand il ouvrait ses yeux étincelants comme le diamant

Parfois quelque chose de pareil à l'ombre d'un nuage noir, se glissant soudain sur son visage, lui donnait un aspect si douloureux, qu'on pourrait dire que pour lui toute chose terrestre s'écoulait sans retour, comme les eaux qui s'echappaient de ce vallon, et qu'il pouvait s'écrier comme l'Homme des douleurs: «Mon âme est triste jusq'à la mort». Mais bientôt, une lumière paraît sur son visage comme un rayon du soleil ardent traversant le nuage, et un paisible repos l'enchaîne dans une douce immobilité: il ferme ses paupières aux longs cils; et on le voit plongé dans la douceur d’un sommeil si léger qu'il semble murmurer ces mots : «Je dors et mon cœur veille». O sommeil plus désirable que l'état de veille! O admirable repos! O tranquillité d'une ame pure! O tristesse sans aigreur! Le zéphir, la vallée, toute la beauté du printemps semble se taire et s'en dormir avec ce jeune homme. O Haigag [5] ! si tu savais pourquoi cette solitude, pourquoi ce besoin de sommeil; si tu connaissais le dernier réveil qui doit lui succéder, sans doute tu désirerais que ce sommeil durat au moins autant que celui des Dormants d'Éphèse [6], ou plutôt que ce dernier repos se confondît avec le repos éternel, et nous n'aurions sous les yeux qu'un corps qui a la blancheur immaculée du lis; le corps d'un martyr inanimé, étendu au milieu des violettes et des marguerites!...

 

II.

 

Mais quel est ce vallon inconnu, cette contrée inconnue? Quel est ce jeune homme si remarquable? Les historiens l'ont-ils oublié à dessein? Les géographes, en particulier notre digne et savant historien et géographe Moïse de Khorène, qui nous fait connaître les deux cents districts de la Haute Arménie, n'ont-ils pu nous indiquer le pays de Godère, le canton de Salahounik, le bourg de Sourénachène, le château des Parthians, et ce tragique vallon de Sélemnoud, nous transporte aujourd'hui le calendrier arménien? 

Le majestueux Euphrate, descendant des hauts plataux de Garine (Erzéroum) traverse les cantons de Tertchan, et d'Erzengha (Acilisene); le vallon que nous cherchons est situé au milieu de ces deux derniers cantons [7]. Ce pays nous est inconnu, et cependant il y a dans cette contrée une foule de noms propres à le faire connaître. On l'appelle aussi le pays des Cordouens: désignation qui appartient encore à d'autres provinces de l'Arménie. On nomme ainsi ce pays, peut-être parce qu'il est comme la fameuse province de Corduène [8], une terre inculte et pierreuse, ou plutôt parceque ses habitants sont venus de la même région: on le designe plus proprement sous le nom de Godère, à cause du bourg de Gother, mais son nom classique parait venir, sans doute, d'une noble famille ancienne, de Salahounik

Dans cette contrée, il s'est passé, il y a plus de quinze cents ans, un événement que nous allons raconter. Nous sommes à une époque une grande incertitude règne dans l'histoire politique de notre pays: car c'est le temps d’Ardachir le Sassanien devenu roi des Perses, chassant de leurs trônes les rois Arsacides des Parthes et des Arméniens, s'emparant de leurs vastes possessions. C'est le temps ou le jeune Teridate, fils de notre roi  Khosrov I, tué par les intrigues d'Ardachir, s'était sauvé, par le secours de ses tuteurs, sur les terres de l'Empire romain, alors allié de l'Arménie, et ce guerrier futur se préparait à la délivrance de sa patrie. Quant à nos satrapes, quelques uns étaient soumis au tyran; les autres, rassurés par la position imprenable de leurs pays, attendaient leur maître légitime. L'un de ces satrapes était aussi gouverneur du district des Salahouniens: il s'appelait Sourène. L'histoire de sa race n'existe pas; on dit seulement qu'il était ou de la famille royale, ou allié à cette famille: son nom donnerait lieu de le croire Il avait bâti un bourg qui porta son nom, - Sourénachène, puis celui de Zourain. Près de ce bourg se trouvait l'ancien château des Parthiens, qui fut dans la suite appelé Bertoden (Pied-du-fort). Il est également facile de voir par ce nom qu'il était bâti sur le flanc d'une montagne se trouvait une forteresse construite par les Parthiens ou Parthes. Ce pays était situé sur les confins de la grande et de la petite Arménie, près de l'Arménie Grecque, sur le territoire des Romains qui avaient étendu, à cette époque, jusque leur domination. Sourène, voisin des Grecs, leur emprunta quelques usages qui adoucirent  tant soit peu ses mœurs trop rudes. Il semblerait que sa femme aussi fût grecque: elle s'appelait Alouitha, ce qui signifie en grec aimable; à moins que ce nom ne vienne de l'arménien Aghou (douce) ou Aghavni (colombe); peut-être aussi que cette femme portait ce nom à cause de la douceur de ses mœurs distinguée dès son enfance. Son aimable fils aussi donne quelque valeur à cette assertion : c'est sans doute à cause de sa mère et du voisinage des Grecs qu'il fut nommé Athénodore, ce qui veut dire Don de Minerve, déesse de la sagesse: nom sublime, qui n'annonce pas tant le goût excellent de ses parents que l'attrait de la grâce divine qui le délivrant des ténèbres du paganisme, lui découvrit la lumière de Jésus-Christ. Dans son baptême il reçut le nouveau nom de Théo dore, qui veut dire Dieudonné.

 

III.

C'est dans le mois les fruits abondent, l'an 269 de notre ère, que naquit Athénodore, courageux comme son père, gracieux comme sa mère. En grandissant, il arriva à cette taille et à cette physionomie que nous avons admirées dans le jeune homme au repos dans le vallon de Sélemnoud

Au sortir de l'enfance, tandis qu'il grandissait comme un myrte bien droit, avec ses cheveux bouclés, son teint rose, et ses yeux d'un noir d'ébène et pleins d'une ineffable splendeur, il fut atteint d'une de ces dangereuses maladies ennemies du jeune âge: il était dans sa quinzième année, dans tout l'éclat de sa beauté, quand des plaies incurables se répandirent sur ce charmant visage, comme des nuages obscurs sur une belle étoile: cette épreuve affligea plus encore le cour de ses parents que le corps du fils

Cependant quand cette langueur produite par la souffrance se mêlait aux grâces naturelles d'Athénodore, quand sa tête blonde reposait sur les genoux de sa mère, quand ses mains étaient entre celles de son père, et que ses yeux brillants étaient à demi ouverts, à demi clos, pleins de mélancolie, on aurait dit que ces cruelles souffrances lui donnaient plus de charme qu'elles ne lui en ôtaient: son visage charmant n'était pas obscurci; seulement il était couvert d'ombres transparentes. A cause même de sa maladie, l'enfant était aimé plus tendrement de ses parents, qu'à son tour il aimait davantage. Etait-il possible qu'un père, qu'une mère aimassent avec moins de tendresse un héritier de leur nom, l'espérance de leur vieillesse, le plus cher des enfants, en le voyant dans une telle épreuve? 

L'argent qui devait servir aux plaisirs de Sourène et aux parures d'Alouitha fut employé à payer les médecins et les remèdes: mais leur fils ne fut pas guéri. Ils firent des yeux et des offrandes à toutes les divinités, sans en excepter une seule: tout fut inutile. Les sept années de la jeunesse pendant lesquelles la taille se forme, se passèrent pour Athénodore dans les douleurs, et pour ses parents, dans la perspective d'une situation  regrettable. Tout espoir s'évanouit bientôt. Ainsi découragés, le père et la mère, ne pensaient plus qu'aux moyens de prolonger le plus possible cette existence si chère et si chancelante. Mais le fil de ses jours ne tenait à rien; les Parques semblaient à chaque instant devoir le briser: ces images s'offraient sans cesse à l'esprit d'Alouitha, et sa douleur ne faisait que s'accroître, quand elle se représentait, sans le vouloir aucunement, la taille si frêle de son fils fléchissant comme un roseau, et s'affaissant vers la terre, comme un pommier abattu sous le fer fatal

Mais taisons-nous: peut-être blesserions nous quelques cœurs en proie à de semblables angoisses. Il n'y a qu'un seul médecin et un seul remède qui puissent guérir de telles douleurs. Croyants, levez quelque peu les yeux vers le Ciel, et vous verrez ! 

Mais que feront ceux qui sont privés de la lumière divine de notre réligion? Heureux encore, si éclairés par la lumière de la raison, il n'ont pas perdu la connaissance du Créateur, et ne sont pas sourds aux sentiments charitables du cœur qui ne peut se défendre de soulager le malheureux qu'il rencontre: ceux-là goûtent encore un peu de bonheur

Alouitha était dans ce cas: privée de la  lumière chrétienne, elle n'en était cependant pas éloignée. Dans ses possessions territoriales, il y avait un lac nommé Sighipolon [9], qu'on ne voit pas maintenant sur nos cartes géographiques; ce lac devait être assez grand pour qu'Alouitha ait pu bâtir sur ses bords une maison, des fermes et des jardins, dont l'ensemble formait un bourg. Souvent, elle allait en ces lieux avec son jeune agneau, Athénodore, pour calmer les douleurs de celui-ci et les siennes en présence du ravissant spectacle de la nature. Qui sait combien de longues heures ils passèrent à contempler ce miroir mobile revêtu de l'azur du ciel et de la verdure des bocages d'alentour: heures qui leur paraissaient des minutes! Parfois Athénodore semblable à un jeune rosier, posait sa tête sur le sein de sa mère qui le couvrait de ses cheveux épars, pareils à de flexibles branches de saule. La jeune mère regardait tantôt les eaux paisibles, tantôt son fils doux et calme; et les feux ardents de son cœur affligé s'éteignaient dans le charme plein de fraicheur de ce double spectacle

De l'autre côté du lac, en face du hameau, coulait l'onde douce d'une claire fontaine qui s'appelait Arpénoud [10]: peut-être venait-elle se jeter dans le sein du lac avec un doux murmure, comme Athénodore dans les bras de sa mère. Sans doute, Alouitha avait lavé maintes fois dans cette onde argentée les plaies de son aimable fils. Avant d'offrir à sa mère des fleurs diverses, semblables à des perles, que Maréri faisait éclore dans les parages, Athénodore après en avoir formé des bouquets les posait près de cette fontaine

Alouitha vivement touchée des maux de son enfant, se rappelait les autres infirmes, surtout à la vue de quelques-uns d'entre eux exclus, selon les coutumes barbares du paganisme, des habitations et des cités, et errant dans les lieux solitaires, comme des maudits et des hommes frappés d'anathème

Chez nous aussi, cet usage était en vigueur; mais plus tard, Saint Grégoire Illu minateur et son imitateur Saint Nersès le Grand [11], son arrière-petit-fils, n'omirent rien pour essayer de l'abolir. Ils établirent, hors des villes, pour les lépreux, des hôpitaux et  des asiles qui furent les premiers monuments de ce genre. Mais avant ces deux grands Patriarches mentionnés, Alouitha au noble cour, fit construire un hospice près de la fontaine d'Arpénoud, se rassemblèrent trente-cinq malades qui, vivant des aumônes d'Alouitha, bénissaient leur bienfaitrice

Parmi eux se trouvait le vénerable vieillard Dassius ou Dassic, (Դասիկ) considéré comme le père des infirmes, d'Athénodore et d'Alouitha elle-même, qui pouvait être considérée à son tour comme la mère de tous. On le prit d'abord pour un prêtre de Dir [12], à cause de son air respectable et de sa barbe argentée

Avec ses paroles plus douces que les accords de la lyre d'or d'Appolon, Dassius charmait les cœurs de tous ceux qui l'entouraient; et s'il ne parvenait pas à les guérir, au moins en leur découvrant les bienfaits et les trésors de la nature, il élevait leur esprit peu à peu jusqu'au Maître de toutes choses

Ayant suffisamment préparé ces malheureux, il leur fit enfin voir sa flûte pastorale qu'il avait cachée jusque , et il exécuta une mélodie inconnue qui ravit tous les auditeurs: dès lors, chacun s'attachait à ses pas. Le vieillard avait appris ce nouvel air du chef Nazaréen des pasteurs: il chantait les oracles de l'Evangile, la parole de Jésus Christ. Dassic était un prêtre déguisé

Il fut le pasteur de ses compagnons, et en adoucissant les maladies corporelles, il ressuscita les âmes mortes. Il les convertit au Christianisme

Pour ces hommes éprouvés par de si pénibles douleurs, il eut l'idée ingénieuse d'ouvrir un jardin tout fleuri, une sorte d'Eden plein de roses, la souffrance goûtait enfin quelque relâche, loin de cette société qui la bannissait de son sein. Ces hommes dans cette retraite, étaient plus libres et plus heureux que les Arméniens idolâtres qui s'illustrèrent dans ce temps-là en secouant le joug d'un long esclavage, grâces à la valeur de notre grand et victorieux roi Tiridate

Alonitha et Athénodore ouïrent à leur tour la voix de Dassius et celle de Jésus, et leurs cours furent transformés: s'ils ne reçurent pas encore le baptême de l'eau, ils reçurent au moins le baptême de désir par l'amour qui pénétra leurs âmes. Ils allaient secrètement et avec un réel attrait écouter la prédication évangélique du vieux prêtre qui  lisait les Ecritures en grec et les expliquait à ceux qui ne les comprenaient pas

Tandis que , comme de l'autel d’Abel, s'élevaient doucement vers Dieu les vœux de la sainte religion, les prières, et les sacrifices; en face de ce bourg, les personnes valides et les malades étaient conviés, dans les temples païens, à l'adoration d'Hercule et d'Esculape, dieu de la santé, dont les fêtes étaient célébrées chaque année avec une solennité particulière. Les prêtres païens et le peuple bien veillant, quoiqu'idolâtres, pressaient de leur côté Athénodore à demander la santé à ces Divinités secourables. Mais Athénodore trouvait toujours quelque prétexte pour se refuser à leurs instances; son père lui même le voyant arrivé à l'âge nubile (il a vait alors plus de vingt ans) se joignait aux solliciteurs et l'exhortait à ne pas négliger plus longtemps sa religion: «Il y a six ans, lui disait-il, que vous n'avez pas fait un seul sacrifice: peut-être est-ce pour cette raison que votre maladie se prolonge ainsi». Cependant, Athénodore prétextait la maladie même pour ne pas sacrifier aux dieux: il sut de la sorte, pendant douze ans, résister aux instances de son père, à toutes les sollicitations. Il est probable que Sourène qui, en qualité  de préfet et de prince royal, attendait l'arrivée de Tiridate, se hâta d'aller à sa rencontre, et qu'il était dans l'armée de la cour campée (prés de son pays, Salhonie) dans la province d'Egheliatz, sur les bords de la rivière du Lycus qui-est un confluent de l'Euphrate

IV.

Les choses en demeurèrent quelque temps, lorsqu'un jour le bourg de Sourénachène retentit du bruit des armes. On y avait vu un corps de l'armée royale commandé par le prince Mazènde (Մազենտ). Cette troupe partie du bourg d'Erèse [13], dans le district d’Eghéliatz, pour aller à Artachad, ancienne capitale de l'Arménie, passait par le canton de Salahounik qui se trouvait sur son chemin. Elle n'allait pas combattre l'ennemi, ni défendre la patrie, mais conduire en prison, pour délits politiques, un criminel enchaîné, en révolte contre le roi. La prison était l'un des souterrains de la ville d'Artachad; le coupable s'appelait Grégoire... 

Il est tout naturel qu'une foule de curieux accourût de toutes parts pour demander quel était cet homme et quel crime il avait commis

Apprenant que c'était le fils du meurtrier de Khosrov, père du héros Tiridate, ils voulaient, dans l'excès de leur colère, l'exécuter sommairement et immoler ainsi celui qui devait être, quelques années plus tard, l' Illuminateur de leurs âmes alors plongées dans les ténèbres. Les soldats et les geôliers furent obligés d'éloigner la foule en furie, et de faire passer le prisonnier par un chemin plus sûr. Sans doute c'était une retraite assurée que l'asile de nos malades, d'où s'éloignaient avec dégoût, à cette époque, les Arméniens forts de leur santé, de leur bravoure, de leur liberté. Les pauvres affligés entouraient Grégoire, et les gardiens émus de pitié les laissaient faire

C'est par ce moyen que Dassic, avec ses compagnons et avec Athénodore, put s'approcher de Grégoire, dont il avait entendu d'avance la confession. Sans doute, ce prêtre sachant par une inspiration divine, quel était ce prisonnier, à quel avenir il était réservé, conduisit, comme un berger vigilant, ses agneaux malades, au futur chef des pasteurs; sans doute aussi les pauvres malades ayant vu les premiers miracles et éprouvé les premiers bienfaits du saint confesseur, rentrèrent chez eux guéris et consolés

Dassic dit à Grégoire quel était ce jeune homme qui était à ses côtés; il ajouta qu’Athénodore était secrètement chrétien, mais qu'il n'avait pas encore reçu le baptême. Grégoire releva le courage du vieux prêtre et lui ordonna d'amener l'enfant à la source voisine: elle était située vers l'Est (on ne sait pas si c'était la fontaine d'Arpénoud ou une autre). Il voulut qu'Athénodore fut baptisé et reçut le nom de Théodore, changeant ainsi le don de Minerve en don de Dieu. Voilà comment la lumière cachée de l'Illuminateur et les eaux du baptême, en donnant une nouvelle vie au généreux enfant, le purifièrent de toutes ses souillures. Le visage de Théodore devint plus brillant qu'aux jours de son enfance, et son âme fut plus brillante encore: il fut non seulement dès lors un jeune homme beau et brave, mais encore pur et saint, rayonnant d'un éclat tout céleste

Son heureuse mère avait à son tour participé au don divin, et ils étaient l'un et l'autre assidus auprès de Dassic

Dans les dernières années de la lutte du paganisme arménien, lorsqu'il livrait un dernier assaut à la religion nouvelle, la vallée d'Arpénoud, tout entière convertie au christianisme, ressemblait à un vaste temple voilé par des forêts. C'était à l'époque Teridate, à l'instigation de Dioclétien, persécutait les chrétiens des pays qu'il avait nouvellement conquis et de son royaume, dont il avait étendu les frontières: ses satrapes, ses alliés, adorateurs d'Anahid, animés du même esprit, surveillaient leurs départements

Cependant Sourène, adorateur du démon, ne put jamais, malgré son ardente idolatrie, savoir si son fils était chrétien; il ne put entendre sa douce psalmodie mêlée aux murmures de la la fontaine d'Arpénoud et au bruit des vagues se brisant sur les rives de Sikipolon. Six ans plus tard, les familiers de Sourène comprenant que Théodore était chrétien, livrèrent le fils à son père, l'innocence à la cruauté

Sourène, comme réveillé d'un pénible sommeil, comprit alors pourquoi Athénodore n'allait pas porter ses offrandes et ses hommages dans les temples d'Hercule et d'Esculape; pourquoi, même après sa guérison, son fils semblait chercher dans la solitude et l'isolement, le souvenir aimé de son enfance et de sa maladie. Tout ce que le zèle d'une fausse religion, la tendresse et l'autorité du père pouvaient faire, Sourène le fit. Il travailla six mois entiers à changer l'esprit de son fils, lui faisant beaucoup de promesses, et lui montrant toutes la richesse du grand district des Salahouniens: il ne put faire aucune impression sur le jeune et zélé chrétien. Dès lors, la paternité s'effaça devant l'autorité, et l'autorité se changea en tyrannie: Sourène fut le persécuteur et le bourreau de son fils; des promesses les plus agréables il passa aux menaces les plus terribles, et lui fit subir toutes sortes de châtiments et de mauvais traitements. Avec une cruauté en quelque sorte fatale, et plus involontaire que libre, il déchirait ses propres entrailles en punissant son fils, mais sans pouvoir l'arracher à son éternel et nouveau père, Jésus-Christ. Après ces six mois d'épreuves, le malheureux Sourène fut en proie au plus violent désespoir: son épée, voilà ce qu'il considérait comme son dernier et seul moyen pour perdre ou pour sauver son fils. Il se décida donc pour le genre de mort le plus horrible

Théodore ne craignait pas la mort: car elle lui assurait un repos qu'il désirait ardemment. Mais pour le jeune homme, c'était une chose plus douloureuse que la mort, c'était cent fois la mort que de voir un nouveau Caïn, et d'être tué par la main de son père... 

Infortunée Alouitha! ni ses droits d'épouse, ni sa tendresse, ni sa compassion maternelles, ne purent sauver son fils unique

Sourène était devenu farouche: ses yeux étincelaient d'une ardeur sanguinaire; sa bouche ne proférait que des menaces de mort: personne ne pouvait s'approcher de lui. Le temps des menaces lui-même était passé: Sourène allait en venir aux faits

Théodore jeta un dernier regard sur ses parents, animés de sentiments si divers: ses yeux, semblables à l'astre du jour, étaient éclairés par les feux de l'amour filial et chrétien. Comme un général invincible qui, après tous ses compagnons, tombe bravement en face d'un ennemi puissant, Théodore, retenant ses larmes, quitta la maison, lieu de sa naissance, qui n'est plus désormais pour lui qu'un lieu de solitude et de désolation, comme le monde entier. Pour ne pas offrir aux yeux de sa mère un spectacle horrible, Théodore partit promptement et sans retour! 

Ni le lac, ni le vallon, ni les fontaines, ni les hôpitaux ne purent l'arrêter: il contempla toutes ces choses une dernière fois, leur fit un dernier adieu. Qu'il eût été touchant de le voir déposer dans le sein de Dassic le fardeau qui oppressait son cour, et après avoir reçu de lui le gage de l'immortalité  et le pain de vie, se dégager de ses bras tremblants, et de son sein ému de pitié, pour s'éloigner du vallon d'Arpénoud! Il arriva ainsi dans un autre vallon solitaire et peu connu du voisinage, nommé Sélémnoud

C'est en ces lieux qu'il mena pendant sept jours une vie errante, semblable à la jeune fille de Jephté [14] et à Abdelmesseh [15]: il s'essayait au sacrifice de la vie, d'un brillant avenir, des caresses d'une mère abattue, et l'offrait à Dieu, auteur et principe des grâces, dans le sein duquel viennent se confondre les actions et les âmes des justes. C'est , dans ce vallon solitaire, que Théodore fatigué et tranquille, s'étendit sous un arbre, à l'abri du rocher nous l'avons vu la première fois, au commencement de notre histoire... 

V.

Tu sais maintenant, Haigag, tu es; tu sais qui est ce vertueux jeune homme. De meure ici une heure encore: les instants sont comptés. Approche-toi de ce rocher, va sous ces pruniers [16] de Sélemnoud. Je me tais; toi, considère et comprends!... 

Mais que vois-je, qu'entends-je! Est ce le sifflement du dragon qui s'approche, le rugissement du lion qui descend du côteau ?.. Le voilà: il vole comme un aigle au noir plumage, il se précipite vers l'arbre, sous l'arbre, près du rocher... C'est un monstre aux longues dents, plus redoutable que le dragon, que le lion, que l'aigle....... C'est lui, c'est lui! C'est Sourène, l'épée à la main

Irrité de la fuite de son fils, poussé par la vengeance la plus noire et avide de sang, Sourène tire son épée rouillée d'un antique fourreau: «O fer de ma jeunesse! insatiable encore, après avoir bu le sang de tant d'ennemis, était tu donc réservé à t'abreuver aux jours de ma vieillesse, du sang de mon fils!» 

Il dit, et brandissant l'arme fatale il sort comme un furieux, il court de rocher en rocher, de vallon en vallon, au-devant de son  fils... 

Sans doute l'esprit infernal le poussait, comme autrefois Caïn contre Abel; ou selon le chanteur du Paradis perdu, comme autrefois Satan lui même, sorti des gouffres des enfers, cherchant la porte de l'Eden pour attirer dans le péché et perdre nos premiers parents

Après une course vagabonde et diabolique, Sourène arrive enfin au vallon de Sélémnoud; semblable au vautour affamé, voyant sa proie étendue sous l'arbre, il l'atteint rapidement. Mais par une sorte d'instinct naturel, il s'arrête soudain, à deux pas de son fils: sans doute les sentiments paternels dominant un instant la fureur qui l'anime, Sourène est comme fasciné par la grâce de ce sommeil ravissant de l'innocence: rien d'aussi touchant n'a encore frappé ses regards. Oh! pourquoi ne laisse-t-il pas son épée? Pourquoi ne se jette-t-il pas dans les bras de son fils? Pourquoi ses lèvres paternelles n'effleurent-elles pas ce front si pur? 

Sans le toucher, il lui crie d'une voix rauque et puissante: «Athénodore, mon fils!» Théodore ouvrant à-demi ses yeux paisibles et soulevant légèrement sa tête lui répond: «Mon père!» 

Dernière appellation d'un père et d'un fils! 

Sourène, troublé par l'accent de cette voix si tendre, demande de nouveau à Athénodore s'il consent à quitter Jésus-Christ, à adorer les dieux ? «Je crois au Christ, et pour ma foi, je veux rester ici. » 

Il dit, et incline de nouveau sa tête sur la pierre, ferme les lèvres et les yeux..... Adieu soleil, vie et monde!..... -- Théodore avait ouvert une seconde fois ses yeux et ses lèvres, au moment Sourène, bondissant comme un tigre cruel, et levant sa main gauche, saisit la blonde chevelure de son fils et souleva cette tête colorée comme une pomme; son cou s'allongeant comme celui d'un cygne, sortit du collet de sa tunique modeste..... Oh! quelle figure, quels regards  angéliques! mais en même temps comme ses traits s'altèrent! De la main droite de Sourène on vit alors jaillir un éclair.... 

Ici la plume de l'historien tombe avec l'horrible épée!... Et la tête ensanglantée de Théodore se détache de son cou d'albâtre, comme une grenade partagée en deux

VI.

sont maintenant les fleurs que le mois de Mai fait éclore? sont les fruits de Maréri aux noirs sourcils? Pas une fleur née de la terre qui ne doive se flétrir! Pas un fruit qui ne doive se séparer de sa tige! Les prairies vont perdre leur éclat, et la lumière va s'obscurcir! 

La fleur par excellence est celle qui, détachée de sa tige, conserve sa première fraîcheur, son premier parfum, plus belle que jamais, surpassant en éclat le charme périssable des fleurs qui durent un jour. Tel était  Théodore, immolé par son père: fleur charmante ou mieux encore innocent agneau

Son corps avait roulé sous l'arbre, à l'ombre du rocher il se reposait tout à l'heure, au milieu de la prairie émaillée de  camomilles et de violettes, dans le vallon attristé de Sélémnoud. Une brise légère se joue dans ses cheveux ensanglantés; la fraicheur de la nuit refroidit les gouttes du sang vermeil qui tombaient du tronc mutilé. Le globe lumineux de la nuit vit pâlir ses rayons vacillants et argentés auprès de l'éclatante lumière qui jaillissait du corps de Théodore

Cette même lumière, sans doute, servit à guider les pas de celle qui avait nourri et caressé ce corps virginal: elle servit à guider la mère de Théodore qui cherchait son fils, le cœur étreint par une mortelle angoisse

Mais détournons nos yeux, n'examinons pas cette mère dans le vallon de Sélémnoud. - O mère! quitte ces lieux, retourne vers Dassius et dis lui: «Lève-toi, mon père, lève-toi; va à Sélémnoud, tu y trouvera mon agneau immolé par son père, mon rosier détruit par l'orage, le fruit de mes entrailles languissantes. Prends-le, lave ce front brillant; et quand tu l'auras à-demi lavé, apporte-moi une mèche de ses blonds cheveux, afin que j'en fasse une dernière couronne pour ma tête courbée; couvre ses lèvres de lis de baisers paternels et maternels; puis enveloppe-le dans un blanc linceul; voile ce visage semblable au soleil  que je verrai dans le Ciel bientôt; et qu'il repose dans la terre!» 

Le vieillard consterné va, accompagné des anciens compagnons de Théodore et d'autres chrétiens, des frères et des sœurs fidèles, de pieuses vierges qui cachant leurs larmes sous leurs voiles et leurs cheveux, tenant en mains des flambeaux agités; il va procéder aux funérailles de Théodore

Y avait-il parmi les jeunes personnes présentes, quelqu'une qui nourrit l'espoir de posséder la confiance du defunt et de l'appeler, après sa mère, Mon Théodore? L'histoire ne le dit pas

Tous les rites sacerdotaux propre pour un martyr furent observés, les prières récitées; bien des larmes furent versées. A l'ombre de cet arbre, près de cette pierre devenue un autel, la tombe du jeune chrétien fut creusée, et le corps du martyr enseveli. Une simple croix de pierre marque le lieu du sacrifice et du tombeau de Théodore

Alouitha peut venir maintenant prier sur les restes d'un saint et heureux fils

La voici cette dame pieuse dont les cheveux sont épars comme les branches d'un saule; elle s'est couchée, le front dans la poussière ! 

Comme les deux mères du jugement de Salomon, la terre et Alouitha se disputent Théodore, criant l'une contre l'autre: A moi ce cher fils. Attends un peu, Alouitha! Le roi de la paix rendra l'arrêt que tu désires, et ton Théodore sera toujours à toi

VII.

Et son père ! Dieu nous préserve de lui donner ce nom: il n'en est pas digne

Sourène de plus en plus furieux, possédé de l'esprit du démon, l'épée à la main fuyait plus vite qu'il n'était venu

Le théâtre de son crime n'était plus sous ses yeux, mais il ne pouvait se fuir lui-même. Le sang de son fils criait vengeance sur la terre et dans le ciel. Le sang du doux agneau, maintenant devenu martyr trouble le cœur de Sourène: ce souvenir déchire son âme plus cruellement que ne ferait son épée

Furieux il se hâte d'aller à la fontaine voisine; il y efface les traces accusatrices de son épée souillée: et ainsi le seul lien qui réunit encore le père et le fils est rompu pour toujours

Pendant quatre ans, Sourène, ce bourreau  cruel, traîna dans l'ennui sa vie criminelle: tourmenté par les remords de sa conscience, il mourut impénitent et idolâtre, sans espérance; son souvenir resta un objet de malédiction et d'horreur. ... Le cœur qui fut sourd à la voix d'un fils, ne fut pas digne d'entendre les voix du fils de Dieu et de notre Illuminateur, et de se convertir à la religion de Théodore, avec tous les Arméniens qui deux ans plus tard, eurent le bonheur de posséder ce grand don

Saint Théodore, en effet, fut martyrisé en 296, le 11 Mai, à l'âge de 28 ans et 6 mois; Sourène mourut en l'an 300; St. Grégoire Illuminateur sortit de son puits l'année suivante (301)

Et, quand l'année d'après, il allait à Césarée pour être sacré archevêque de l'Arménie, il passa par son chemin ordinaire, par le canton et le bourg des Salahouniens. Quelle différence entre le premier voyage, qui avait eu lieu 15 ans auparavant et celui-ci! Les chaines et les geôliers ont fait place aux chars victorieux de Teridate, qui portent son ancien prisonnier maintenant son sauveur: le Saint est entouré des plus grands satrapes. Mais notre humble et éminent Père n'enviant pas la gloire, cherchait son filleul : il appelle  Dassic et lui demande Théodore. Dassic, prenant par la main le chef élu des pasteurs, le conduit , depuis six ans dormait Théodore, qui avait été baptisé avec la permission de St. Grégoire. Que de larmes pures tombèrent des yeux de l'Illuminateur, du père spirituel de Théodore, sur les restes du jeune martyr, qui était le premier fruit de ses sueurs ! 

Ce fut sur le lieu de son martyre, que le premier temple chrétien fut construit en Arménie, après celui des saintes Rhipsimiennes, à l'époque de la renaissance de la sainte foi dans notre pays. Grégoire lui-même, avant d'être sacré, y fit bâtir une chapelle et la confia à Dassic, comme autrefois il lui avait confié le jeune catéchumène. Et quand le petit temple tant désiré éleva son front vers l'orient, à l'angle droit furent déposées les chastes reliques du saint martyr. A l'autre angle également, en face de la tombe fut déposée la pierre sacrée, sur laquelle fut immolé notre bienheureux. C'est entre ces deux mémorables pierres qu'Alouitha cherchait son loisir et son repos. Elle fut gardienne de la chapelle de son fils: comme une veuve, chrétienne elle y mena une vie sainte, quoi que cette vie ne fut pas longue. Sept ans après le martyre de son fils, l'anniversaire de  sa fuite de la maison paternelle, le jour même de cet anniversaire (5 Mai), Alouitha, comme si elle eût senti de nouveau les mêmes douloureuses passions, et comme si elle eût cherché son fils, rendit à Dieu son âme pure comme une colombe; et ce corps soumis à tant d'angoisses fut enseveli près de son fils, en dehors de la porte du temple. Une pierre exactement semblable aux deux premieres et à celle d'Alouitha, vis-à-vis de cette dernière fut elevée, vers la parti occidentale du temple: c'est que reposa Dassic: lui qui était le premier par l'âge, et avait eu avant les autres son rôle dans cette œuvre divine, s'éteignit le dernier. Après avoir mis la dernière main à cette œuvre de bénédiction, il put dire avec Siméon, vieillard comme lui: «Seigneur, laissez aller maintenant votre serviteur en paix selon votre parole: car mes yeux ont vu votre salut. J'ai vu la lumière (Grégoire) et la gloire (Teridate) de votre peuple d'Arménie». Et il reposa parmi les justes

VIII.

Le temple de Théodore et la fontaine, tombèrent quelques gouttes de son sang, quand Sourène y eut lavé son épée, devinrent un lieu de pèlerinage furent guéris beaucoup de malades et de possédés; il y eut même des infirmes qui furent guéris, au rapport de l'historien, à qui nous devons être reconnaissants, avant la construction de la chapelle et avant la conversion des Arméniens par l'Illuminateur. Nous n'avons pas l'intention de rapporter ici une à une toutes ses guérisons. Nous laissons à ceux qui aiment les martyrs, le soin d'examiner les faits posterieurs

Si quelqu'un désire voir la chapelle ou le lieu du pèlerinage à Saint Théodore, qu'il aille vers l'orient d'Erzengha et qu'il y demande le couvent de Saint Thoros de Corope [17], dont nous trouvons des souvenirs dans les livres, onze cents ans après le martyre du Saint. Il est dit de cette chapelle que c'est «un très-glorieux et très-honorable pèlerinage». - Que le même voyageur cherche , qu'il trouve et qu'il baise, en souvenir de nous, les quatre pierres qui portent l'enseigne des Saints et surtout celle qui est à l'angle du nord; qu'il s'y arrête un instant et qu'il baise (si elle est encore conservée) la langue de Théodore qui parlait si doucement de Jésus Christ. Cette langue avait été enchâssée dans une croix mise au haut d'une perche: c'est pour quoi les Turcs nomment cet endroit Serekly sourpe Thoros [18]. Nous désirerions que quelqu'artiste, amateur dévot de St. Théodore prît la peine de chercher, de nous décrire et de nous présenter le théâtre de cet événement, les deux vallons, les deux fontaines, le lac, les bourgs, les châteaux

Puissent des voix unies aux cœurs inspirés exécuter des chants dignes à l'honneur de  notre Théodore et de l'Église elle-même! Puissent aussi les chefs de notre église ne pas laisser languir le nom d'un tel bienheureux Martyr dans les traditions confuses de la légende; mais de le faire célébrer sur les autels, à haute voix: coopérant ainsi à l'œuvre et aux sentiments de notre Grégoire l'Illuminateur, pour augmenter la gloire de Dieu dans ses Saints et ses Martyrs! 



[1] Le mois de Mai arménien.

[2] Cantique des Cantiques, II, v. 11-13.

[3] Id. V, v. 11

[4] Menologe arménien.  

[5] Haïg (prononcez Haygue) ou Haïghen est l'ancêtre et  l'homonyme des Arméniens, Haigag (Haygague), diminutif de ce nom, signifie ici l'auditeur ou le lecteur de notre récit

[6] Selon une ancienne tradition de l'Eglise orientale, sept frères chrétiens, pendant la persécution de Dèce, après avoir confessé J. -C. et enduré des tortures, furent enfermés à Ephèse dans une caverne dont les païens murèrent l'entrée. Les sept confesseurs y restèrent, par un miracle extraordinaire, dans un état de torpeur ou dans un sommeil tranquille, à peu près 140 ans, et ils ne se réveillèrent que sous l'empire de Théodose-le-Grand; de vient leur nom de Dormants. Leurs corps sont honorés maintenant à Marseilles, ils furent transportés vers la fin du V siècle.

[7] Tous ces lieux se trouvent dans la Haute-Arménie, c'est à-dire vers le N. - O. de notre pays, entre l'Euphrate et le Ponte

[8] Corde, կորդ, signifie en arménien terre inculte

[9] Nom derivé sans doute des mots grecs; si toutefois il n'est pas altéré, il indique quelque souvenir dos figuiers.

[10] On pourrait traduire Potable ou délicieux à boire

[11] Tous deux célèbres et saints chefs de l'Eglise arménienne au IV siècle; l'un fondateur mème du patriarcat de notre pays (302-350), l'autre son cinquième successeur (365-373)

[12] Le Mercure et l'Apollon arménien, protecteur des lettres et des sciences, et augure des songes.

[13] Aujourd'hui, la ville d'Erzengian Երզնկա, ou près d'elle

[14] Livre des Juges, XII, 37.

[15] Jeune berger, Juif, baptisé par ses compagnons chrétiens et tué par son père. Sa mémoire est celebrée dans notre église le 15 Juillet. Sa legende est très-belle et très-pathétique.

[16] Allusion au verset 37, ch. XXII du Genèse, et au sacrifice d'Abraam.

[17] C'est ainsi que se nomme (nous ne savons pas pourquoi) un couvent de ces contrées, ou se conserve une relique insigne de Saint Théodore

[18] Saint Théodore - à la Perche : car serek en turc signifie une perche, un long laton.