III.
Revenons
maintenant
à
la
surface
de
notre
pays
et
à
son
règne
organique.
D'après
sa
configuration
et
son
climat,
que
nous
venons
d'étudier,
l'Arménie
ne
devrait
pas
avoir
une
végétation
trés-développée,
sur
tout
dans
le
genre
des
plantes
touffues
et
de
taille.
En
effet,
le
voyageur
qui
fait
le
trajet
entre
le
Pont
et
la
Perse,
ne
voit
sur
son
chemin
aucun
bois
considérable,
aucun
arbre
élevé,
mais
seulement
des
broussailles,
des
arbrisseaux,
et
quelques
rares
bosquets.
Passène,
la
plus
vaste
des
plaines
d'Ararat,
où
l'Araxe
fait
ses
premiers
pas,
porte
le
titre
de
Sans-Bois
(
Անփայտ
Բասեան
).
Dépourvus
de
cet
élément
indispensable
dans
le
ménage,
les
habitants
du
pays
n'ont
que
la
fiente
de
leurs
bestiaux,
pour
l'usage
du
foyer.
Leurs
maisons
sont
à
moitié
cachées
dans
les
flancs
d'une
colline
ou
d'un
tertre
ondulé,
et
à
moitié
sous
le
sol.
La
description
de
ces
demeures
souterraines,
que
nous
donne
Xénophon,
se
vérifie
littéralement
après
23
siècles.
Mais,
à
vrai
dire,
cette
rareté
accuse
moins
la
nature
que
l'insouciance
des
habitants;
car
le
même
auteur
grec,
et
Quinte-Curce,
ainsi
que
d'autres
écrivains
anciens,
nous
parlent
de
montagnes
et
de
coteaux
boisés,
même
dans
la
belle
vallée
de
l'Araxe,
les
Araxeni
Campi
des
Romains,
qui
ne
trouvaient
pas
de
terrain
mieux
cultivé
dans
toute
l'Asie:
tant
la
culture,
au
temps
de
nos
pères,
pouvait
corriger
les
rudesses
de
la
nature,
si
cette
belle
fille
du
Créateur
en
pouvait
avoir!
Aujourd'hui
encore,
l'Arménie
ne
manque
pas
de
bois:
tout
près
de
cette
Passène
déboisée,
les
montagnes
de
Soghanlou,
sur
une
longueur
de
20
à
25
lieues,
sont
couvertes
de
différentes
espèces
de
pins,
de
sapins
et
de
bouleaux,
dont
non
seulement
les
habitants
du
voisinage,
mais
les
gouvernements
turc
et
russe
profitent
pour
les
fortifications
des
boulevards
avancés
de
leurs
empires
en
Arménie;
(car
depuis
le
IV
siècle,
notre
pays
a
toujours
eu
la
triste
destinée
de
servir
de
frontière,
de
champ
de
bataille
ou
de
proie
à
deux
conquérants
antagonistes).
C'est
de
ces
montagnes
que
le
fils
de
Houlaghou
tirait
les
matériaux
de
son
chateau
d'Aladagh.
-
A
l'Ouest
de
Soghanlou,
sont
les
montagnes
boisées
de
Dayk,
le
pays
de
Taoki,
dont
les
habitants
attaquèrent
les
Dix
mille
Grecs
conduits
par
l'ami
de
Socrate;
à
l'Est,
nos
anciennes
provinces
de
Sissagan
et
d'Artzakh,
couvertes
de
broussailles
et
de
bosquets
qui
leur
ont
valu
le
nom
actuel
de
Karabagh,
c'est-à-dire
Jardin-noir.
La
partie
méridionale
de
notre
pays,
comprise
dans
la
vallée
du
Tigre
et
dans
le
bassin
de
Van,
surtout
le
Sud
et
l'Ouest
de
ce
dernier,
est
tellement
boisée,
que
nos
ancêtres
nommaient
Pays
du-Bois
(
Փայտի
աշխարհ
)
la
contrée
montagneuse
qui
forme
la
ligne
de
partage
des
eaux
du
Tigre
et
de
Van.
Des
voyageurs
y
découvrirent
récemment
différentes
espèces
de
chênes,
inconnues
jusqu'ici
à
l'Europe.
De
ces
bois
nous
viennent
les
meilleures
noix
de
galle
et
l'excellente
gomme
adragante
nommée
là-bas
miel
d'air,
d'où
la
province
de
Daron,
actuellement
Mouche,
prend
l'épithète
de
mellifère.
—
Les
monts
Ararat
à
une
hauteur
absolue
de
2600
mètres,
portent
des
touffes
de
genièvres
et
un
peu
plus
haut
des
bouleaux;
des
arbustes
croissent
plus
haut
encore,
tandis
qu'en
Europe,
sous
quelque
latitude
que
ce
soit,
tout
bois
cesse
de
végéter
à
ces
hauteurs.
—
La
province
Koukark
(
Gogaréne
),
la
plus
boréale
de
notre
pays,
grâce
à
sa
situation
encaissée
dans
la
belle
vallée
du
Cour
est
plus
boisée
et
plus
riche
en
végétation:
des
hêtres
gigantesques,
rouges
et
blancs,
y
croissent
à
côté
des
chênes,
des
frênes,
des
ormes,
des
érables
et
des
sapins.
Le
buis
y
était
connu
de
notre
géographe
classique
du
V
siècle.
—
Cet
auteur
(Moïse
de
Khorène),
mentionne
les
magnifiques
platanes
d'Armavir,
la
vieille
capitale
de
l'Ararat:
le
murmure
de
leur
feuillage
servait
de
présage
et
d'enchantement
à
nos
pères.
On
a
cru,
de
nos
jours,
en
déterrer
des
troncs
énormes
dans
des
endroits
jadis
côtoyés
par
l'Araxe,
qui,
aussi
variable
que
le
temps,
a
changé
son
cours
et
s'est
bien
éloigné,
depuis
40
siècles,
de
la
demeure
des
fils
de
Haygh.
Un
platane
encore
existant
de
cette
espèce
ombrage
la
moitié
d'une
place
à
Ordubad,
ville
si
tuée
près
des
cataractes
de
l'Araxe,
et
son
tronc
n'a
pas
moins
de
10
mètres
de
circonférence,
à
deux
mètres
au-dessus
du
sol.
On
pourrait
dire
que
le
platane
d'orient
est
originaire
de
l'Arménie,
et
on
sait
qu'il
fut
introduit
en
Occident
par
les
Romains.
A
propos
de
ces
guerriers,
c'est
ici
qu'il
faut
remarquer
qu'une
de
leurs
meilleures
conquêtes
fut
l'importation
des
produits
exotiques.
L'Arménie
leur
donna,
entre
autres,
l'abricotier,
qui
porte
en
Italie
son
nom
Armeniaca,
(en
latin
Malus
Armeniaca
).
Ce
beau
fruit
parait
celui
que
Pline
classe
parmi
les
prunes,
en
le
préférant,
pour
son
odeur,
à
toutes
les
autres
de
la
même
espèce.
—
Que
dirons-nous
de
la
Pomme
arménienne,
si
renommée
chez
les
Arabes?
Un
de
leurs
poëtes
ne
trouve
rien
d'aussi
ressemblant
à
l'aurore,
qu'une
jeune
fille
tenant
entre
ses
dents
une
pomme
d'Arménie.
-
En
général,
les
fruits
succulents
abondent
dans
notre
pays;
on
en
trouve
de
toute
espèce,
la
figue
et
l'olive
exceptées;
encore
ces
dernières
ne
sont-elles
pas
tout-à-fait
inconnues
dans
quelques
localités
basses
ou
méridionales.
Et
l'arbre
qui
donne
l'ambroisie
aux
mortels,
la
vigne,
réussit
en
Arménie
mieux
qu'on
ne
le
croit
généralement:
en
effet,
comme
la
ligne
de
végétation
est
assez
élevée,
ce
pays
produit
une
bonne
qualité
de
raisin,
qui
d'ailleurs
fut
sa
première
plantation
après
le
déluge.
La
vallée
de
l'Araxe
a
de
bonnes
vignes,
et
le
vin
d'Erivan,
couleur
d'orange,
doux
et
balsamique,
a
une
réputation
égale
aux
meilleurs
vins
d'Espagne,
de
Hongrie
et
de
Bourgogne.
Je
ne
conseille
pas
aux
initiés
de
se
régaler
trop
généreusement
des
vins
de
Gantzague
(
Guéndjé
ou
Elisabéthopol
),
car,
bien
que
liquoreux,
ils
sont
très-forts
et
trés-capiteux.
Quant
à
ceux
de
Karabagh,
ils
sont
doux
et
presque
huileux.
A
Agori,
sur
la
montagne
de
l'Arche,
on
cultivait,
à
une
hauteur
absolue
de
4000
pieds,
depuis
un
temps
immémorial,
quelques
ceps
de
vigne,
en
mémoire
de
Noè.
Un
mamelon
de
la
montagne
et
un
petit
ruisseau
portaient
anciennement
les
noms
de
Côte-du-Vin
(
Գինոյ
բլուր
)
et
Ruisseau
du-Vin
(
Գինեգոյն
գետ
).
-
Le
bassin
de
Van
produit
encore,
à
une
hauteur
de
plus
de
1700
mètres,
des
raisins
à
longues
grappes,
moins
succulents,
à
la
verité,
que
ceux
de
l'Ararat.
Le
plateau
de
Garine,
vû
son
extrême
hauteur,
n'a
ni
vigne,
ni
fruits,
il
y
supplée
par
les
produits
abondants
du
district
de
Thorthoum,
dans
la
vallée
de
Djorokh:
en
revanche,
il
produit
des
céréales
de
première
qualité,
qui
manquent
au
plateau
plus
élevé
de
Sévan.
—
Le
froment,
en
général,
est
bon;
il
y
en
a
des
espèces
à
grains
très-gros,
qui
produisent
une
pâte
très-élastique.
Les
autres
genres
de
blés
sont
aussi
abondants
que
bons.
-
Quant
aux
légumes
et
aux
plantes
potagères,
aucun
pays
peut-être
n'en
a
de
meilleurs
et
de
plus
variés:
on
en
compte
près
de
300
espèces
avec
des
noms
originaires.
-
La
Flore
arménienne,
peu
soucieuse
de
jardins
et
de
serres,
se
plaît
dans
des
sites
sauvages:
sa
végétation
alpine
ne
peut
manquer
d'attirer
l'attention
des
botanistes.
La
hauteur
absolue
de
la
végétation
en
Arménie
est
au-dessus
de
4000
mètres:
c'est
celle
du
Grand-Ararat,
qui,
à
un
étage
plus
haut
encore,
porte
l'
Aster
pulchellus,
l'
Arenaria
Curva,
l'
Astragalus
mollis,
la
Campanula
saxatilis,
etc.
Le
célèbre
Piton
de
Tournefort,
qui
voyageait
en
Arménie
au
commencement
du
siècle
dernier,
n'hésitait
pas
à
chercher
les
traces
de
l'Éden
à
Garine
et
à
Etchmiadzine;
tant
il
était
émerveillé
de
la
richesse
et
de
la
beauté
de
la
végétation
de
ces
contrées.
Les
botanistes
et
touristes
modernes,
moins
enthousiastes,
n'en
sont
cependant
pas
mécontents.
Parmi
les
fleurs
singulières,
je
ne
sais
à
quel
genre
appartient
le
Sang-des-Fontaines,
comme
la
nomment
les
indigènes,
charmante
fleur
de
la
forme
d'une
petite
rose
double,
d'un
rouge
foncé
si
éclatant,
que
des
témoins
oculaires
Européens
ne
lui
trouvent
pas
d'égale.
Un
de
nos
troubadours
du
moyen
âge
se
tire
peut
être
mieux
d'embarras
en
la
comparant
à
sa
bien-aimée:
«Oh!
mon
Sang-des-Fontaines,
toi
qui
pousses
parmi
les
rochers,
tes
yeux
sont
semblables
au
narcisse;
l'un
sommeille,
l'autre
veille»
[1].
Comme
son
nom
et
le
poëte
l'indiquent,
cette
fleur
se
trouve
ordinairement
aux
bords
des
sources,
dans
les
fentes
des
rochers:
elle
était
digne
de
figurer
dans
les
métamorphoses
d'Ovide.
—
Il
ne
faut
pas
oublier
les
herbes
et
les
plantes
médicinales
que
l'Arménie
fournit
et
fournissait
jadis
plus
abondamment
encore
à
la
thérapeutique;
presque
tous
les
noms
des
plantes
mentionnées
par
Gallien
et
Avicenne
dans
leurs
ouvrages
traduits
en
arménien,
ont
leurs
équivalents
dans
notre
langue;
et
cela
prouve
qu'elles
étaient
bien
connues
dans
le
pays.
Nous
indiquerons
aux
amateurs
la
Mandragore
et
la
Bétoine
(
Փենունա
),
auxquelles
les
sectateurs
de
l'Esculape
arménien
attribuent
des
propriétés
et
des
formes
fabuleuses.
N'oublions
pas
non
plus
la
fameuse
Hamasbram
(
Համասպրամ
)
dite
aussi
Hamaspure
(
Համասփիւռ
)
dont
la
tige
se
divise,
dit-on,
en
12
branches;
ses
fleurs
variées
sont
embellies
des
couleurs
les
plus
éclatantes;
elle
aime
à
se
cacher
aux
flancs
des
montagnes
rocailleuses,
et
elle
se
montre
à
une
époque
précise.
Ses
vertus
sont
nombreuses;
elle
donne
même
la
clairvoyance;
et
un
auteur
nous
assure
naïvement
qu'il
a
trouvé
le
mal;
et
il
félicite
celui
qui,
plus
heureux,
pourra
trouver
le
bien.
—
Les
Romains
tiraient
de
la
Perse
et
de
l'Arménie,
avec
une
grande
avidité,
la
plante
qu'ils
nommaient
Laserpitium,
et
qu'ils
payaient
au
poids
de
l'or.
Était-ce
la
plante
de
l'
assa
foetida
ou
l'excellente
rhubarbe,
ou
toute
autre
plante?
nous
ne
saurions
le
dire
exactement.
-
Parmi
nos
plantes
renommées
et
mal
définies,
nous
recommanderons
à
nos
compatriotes
la
noix
arménienne,
dont
la
récolte
en
Egypte
était
fixée,
dans
le
calendrier
des
Coptes,
au
mois
de
juin.
Elle
ressemblait
au
fruit
de
l'olivier.
-
Le
dernier
ordre
naturel
des
plantes,
celui
des
graminées,
est
encore
remarquable
par
ces
immenses
pâturages,
qui
nourrissent
chaque
année
des
millions
d'individus
de
l'espèce
ovine,
expédiés
au
midi
et
à
l'occident
jusqu'à
Constantinople.
Ces
prairies,
ces
pâturages
attirent
dans
notre
pays,
de
puis
des
milliers
d'années,
nombre
de
pâtres
des
contrées
d'alentour,
et
des
nomades
d'une
assez
grande
distance.
Nous
classerons
parmi
les
herbes
une
espèce
de
Pimprenelle
arménienne
ou
plutôt
le
Dactylis
littoralis,
qui
nourrit
la
meilleure
cochenille
du
monde
et
la
plus
anciennement
connue
pour
son
beau
carmin,
spécialement
réservée
pour
la
teinture
des
ornements
et
la
rédaction
des
édits
royaux:
Dioscorite
en
fait
mention.
Pendant
leur
domination,
les
Arabes
l'introduisirent
en
Europe:
les
Russes
en
profitent
maintenant,
et
les
bulles
des
pontifes
d'Etchmiadzine
sont
écrites
avec
ce
produit
singulier
de
l'Ararat,
qui
n'a
son
égal
que
dans
la
Pologne,
et
que
dans
le
Mexique.
Toute
autre
espèce
de
cochenille
(et
il
y
en
a
plus
de
50)
n'a
que
peu
de
valeur.
[1]
Ա՜յ
իմ
աղբերաց
արուն,
Որ
բուսար
մէջ
քարերուն,
Աչուիդ
ի
նարկիզ
նըման,
Մէկն
ի
քուն
ու
մէկն
արթուն։