I.
Le
développement
des
études
historiques
qu'exige
de
nos
jours
l'étendue
des
faits
et
des
questions
politiques,
présuppose
des
connaissances
géographiques
et
géologiques.
Peu
attrayantes
par
elles-mêmes,
celles-ci
amènent
souvent
les
vues
les
plus
élevées
et
les
plus
morales.
L'aspect
général
du
pays
dont
je
vais
traiter,
nous
présente
des
phénomènes
fort
remarquables,
et,
pour
tout
dire
en
un
mot,
c'est
un
pays
de
contrastes
par
excellence,
que
toutes
les
données
de
sa
configuration
nous
permettent
de
constater,
et
qui
n'exercent
pas
sur
le
moral
de
ses
habitants
une
médiocre
influence.
Douée,
grâce
à
sa
position
géographique,
d'un
climat
des
plus
tempérés,
des
plus
doux,
égale
sous
ce
rapport
à
l'Italie,
à
la
Grèce,
à
l'Espagne,
l'Arménie
présente
les
horreurs
des
régions
glaciales
et
parfois
les
chaleurs
des
tropiques.
Il
va
sans
dire
que
le
contraste
de
cette
position
avec
l'élévation
de
sa
surface
au-dessus
du
niveau
de
la
mer,
en
est
la
cause.
En
effet,
si
les
plus
hautes
cimes
des
Vosges
et
du
Jura
n'arrivent
point
à
la
hauteur
même
de
ces
plateaux
bien
peuplés
et
bien
cultivés
où
l'Euphrate,
l'Araxe,
le
Cour
et
l'Aradzani
(Mourad-tchaï)
prennent
leurs
sources
argentines;
si
les
fameux
passages
du
Mont-Cenis,
du
Simplon,
du
Saint-Gothard
sont
encore
au-dessous
des
eaux
azurées
du
lac
de
Sévan
entouré
de
centaines
de
villages,
constamment
habités;
d'un
autre
côté,
certaines
parties
extrêmes
de
notre
pays
non
seulement
s'abaissent
jusqu'au
niveau
de
la
mer,
mais
sont
même
dépassées
par
elle;
car
les
bords
de
la
Caspienne,
où
se
confond
le
plan
oriental
de
l'Arménie,
sont
à
près
de
25
mètres
au-dessous
du
niveau
de
l'Océan.
De
là
ces
contrastes
et
ces
jeux
mutuels
de
deux
saisons
opposeés,
dont
l'une
fait,
dit
on,
quelquefois
fondre
sous
ses
rayons
caniculaires
le
plomb
des
coupoles
de
Diarbekir,
tandis
que
l'autre
étend,
six
mois
de
l'année,
son
blanc
linceul
sur
la
plus
grande
partie
de
la
surface
du
pays,
et
voit
la
température
s'abaisser
au-dessous
de
26°
Réaum.
Les
caravanes
se
munissent
dans
cette
saison
d'épaisses
fourrures
pour
traverser
les
lacs
et
les
fleuves
engourdis
sous
des
couches
de
neige
et
de
glace,
qui
ne
permettent
pas
de
distinguer
le
vallon
de
la
plaine.
Heureux
encore
si
ces
hardis
voyageurs
peuvent
échapper
aux
avalanches
et
aux
tourbillons
de
neige
qui
souvent
engloutissent
la
caravane
entière!
Le
dernier
espoir
de
salut,
était,
en
pareil
cas,
selon
le
témoignage
du
vieux
Strabon,
une
longue
perche,
que
le
malheureux
enseveli
dans
les
neiges
tâchait
de
pousser
à
travers
la
vôute
de
sa
prison
glaciale,
comme
un
signal
de
sa
vie
palpitante,
qui
attendait
un
sauveur.
C'est
ainsi
qu'on
sauva
notre
roi
Sanadroug
encore
au
berçeau,
après
qu'il
fût
resté
trois
jours
attaché
au
sein
de
sa
nourrice,
dans
ce
monde
de
neige.
Son
petit-fils,
Diran,
plus
malheureux
que
lui,
y
perdit
la
vie
après
vingt
ans
de
règne.
C'était
une
tâche
utile
et
une
fonction
honorable
que
l'intendance
royale
des
Neiges,
d'où
tirait
probablement
son
nom
une
de
nos
plus
nobles
familles
ou
races,
Ձիւնական.
Pour
la
sûreté
des
voyageurs,
on
établissait
des
hôtels
ou
caravanséraïs
sur
les
chemins
et
passages
les
plus
fréquentés
et
le
plus
dangereux:
tels
sont,
entre
autres,
les
khans
du
vallon
de
Rahva,
entre
Bidlis
et
Khelath.
Cet
hiver
arménien,
comme
le
nomme
le
grand
Chrysostome,
qui
en
éprouva
les
rigueurs,
fut
souvent
l'effroi
des
conquérants;
il
est
proverbial
chez
les
historiens
et
les
poètes
de
l'antiquité,
de
Xénophon
jusqu'aux
chronographes
byzantins.
De
nos
jours,
des
voyageurs
naturalistes
ont
constaté
que
l'hiver
d'Erzeroum
n'est
pas
moins
rigoureux
que
celui
du
Grand
S.
Bernard,
malgré
une
latitude
de
5
degrés
de
moins
et
une
hauteur
absolue
de
500
mètres
au-dessous
du
célèbre
hospice
des
Alpes;
et
que
l'hiver
d'Agori,
sous
39
degrés
de
latitude,
et
à
la
hauteur
de
1760
mètres,
égale
celui
du
Cap-Nord
sous
la
zone
glaciale,
à
l'extrémité
de
l'Europe:
à
Erivan,
capitale
de
l'Arménie-Russe,
on
a
observé
l'été,
à
l'ombre,
une
température
de
30°
R.
au-dessus
de
zéro,
et
l'hiver
de
30°
au-dessous:
alternative
qu'on
trouverait
à
peine
sous
la
zone
polaire
en
Groënland,
et
qu'on
ne
voit
nulle
part.
Le
contraste
est
plus
frappant
encore
quand
on
considère
l'aspect
triste
et
monotone
de
notre
pays,
à
l'époque
de
l'année,
où,
derrière
les
montagnes
qui
le
séparent
du
Pont,
les
orangers
fleurissent
en
plein
air.
Trébizonde
est
saluée
déjà
par
l'hirondelle
qui,
en
y
venant,
plane
sur
l'Arménie
sans
y
toucher;
tandis
que
à
Mossul,
au
pied
d'autres
montagnes
moins
élevées,
on
vend
la
glace
pour
tempérer
les
chaleurs
étouffantes.
Cependant
entre
la
capitale
du
Pont
et
celle
de
l'Assyrie,
l'étendue
de
l'Arménie,
en
droite
ligne,
n'excède
pas
6-700
kilomètres;
de
sorte
que
la
vapeur
pourrait
la
franchir
entre
l'aube
et
la
nuit
d'une
longue
journée:
matinée
de
printemps,
midi
d'hiver,
soirée
d'été.
Probablement
vous
ne
profiterez
pas,
Messieurs,
de
ce
train
de
plaisir;
vous
ne
voudrez
pas,
dans
une
seule
journée,
vivre
trois
saisons
différentes,
surtout
la
deuxième.
Quelle
horreur,
direz-vous,
quel
affreux
pays
que
ce
pays
d'Arménie!
Vous
en
voulez
donc
à
mon
pauvre
pays?
Ah!
quand
la
patrie
est
bien-aimée,
toutes
les
saisons
sont
belles,
et
la
nature
la
plus
sauvage
s'adoucit
dans
un
cœur
cultivé!
Toutefois,
je
connais
de
vos
compatriotes,
des
habitants
de
Paris
et
de
Londres,
des
négociants,
des
consuls
qui
ne
quitteraient
pas
facilement
le
séjour
d'Erzeroum
pour
revenir
en
Europe,
bien
qu'ils
voient
l'eau
gelée
la
nuit
même
du
solstice
du
Cancer.
Ces
quatre
ou
cinq
mois
délicieux,
placés
entre
deux
hivers,
ils
les
préfèrent
à
toute
une
année
dans
votre
climat,
et
dans
plus
d'un
autre.
L'élasticité,
la
pureté
de
l'air,
et
la
fraicheur
de
son
courant,
la
limpidité
des
eaux,
la
vigueur,
l'éclat
de
la
végétation,
la
saveur
des
produits
de
cette
terre
aérienne,
pour
ainsi
dire,
ont
fait
de
l'Arménie
un
pays
de
délices,
un
quartier
d'été
pour
les
conquérants
d'Asie
et
les
rois
voisins,
depuis
Sémiramis,
jusqu'aux
gouverneurs
de
la
Transcaucasie.
Le
château
de
Van,
bâti
sur
un
pic
ou
rocher
isolé,
à
plusieurs
centaines
de
pieds
au-dessus
du
plateau
qui
lui-même
s'élève
de
plus
de
5100
pieds
au-dessus
du
niveau
de
la
mer,
cette
merveille
de
la
nature
et
de
l'art,
a
été
le
premier
chateau
de
plaisance
d'été
de
cette
reine
orgueilleuse,
dont
il
porte
encore
le
nom,
nom
perdu
dans
les
ruines
de
Babylone
et
d'Ecbatane.
Ainsi
nos
rois,
n'avaient
pas
le
besoin
de
chercher
leurs
quartiers
d'hiver
chez
l'étranger.
L'immense
plaine
ou
le
steppe
de
Moughan,
que
traversent
l'Araxe
et
la
Cour
avant
et
après
leur
jonction,
a
été
de
tout
temps,
par
un
autre
contraste,
le
refuge
d'hiver
pour
le
règne
animal
de
notre
pays.
L'été,
c'est
un
désert
aride
qui,
sous
une
herbe
brulée
ne
produit
que
des
serpents
perfides,
dont
l'armée
de
Pompée
a
beaucoup
plus
souffert
que
de
tous
ses
ennemis
en
Asie;
il
devient
un
pâturage
et
un
véritable
haras
entre
l'été
et
l'hiver.
Dans
cette
dernière
saison,
à
peine
effleuré
par
une
neige
transparente,
Moughan
se
peuple
de
ces
charmants
épicuriens
ailés,
dont
les
migrations
annuelles
charment
le
laboureur
et
le
philosophe.
Une
race,
toute
autre
que
celle
de
ces
oiseaux
paisibles,
s'emparant
au
moyen
âge
de
ces
vastes
solitudes,
les
couvrit
de
hordes
belliqueuses
sorties
des
steppes
au-delà
du
Djihoun
et
du
Jaxarde:
les
armées
innombrables
des
Mongols,
guidées
par
Djourmaghoun
et
Houlaghou,
y
dressaient
durant
l'hiver
leurs
chevaux
et
leurs
troupes
au
carnage
et
au
pillage,
qu'elles
exerçaient
au
printemps
dans
tous
les
pays
d'alentour.
Leurs
chefs
sanguinaires,
à
l'approche
des
chaleurs,
se
sauvaient
sur
les
fraiches
hauteurs
d'Aladagh,
montagne
de
la
chaine
de
l'Ararat,
sur
laquelle
Abagha-Khan
se
batit
un
somptueux
château,
vaste
comme
une
cité,
dont
les
restes
ont
échappé
à
l'investigation
des
voyageurs,
comme
sa
position
est
restée
inconnue
aux
célèbres
orientalistes
qui
traitèrent
de
l'histoire
des
Mongols.
Cette
longue
chaine
de
l'Ararat,
que
je
viens
de
nommer,
partage
toute
l'Arménie,
et
verse
ses
eaux,
d'un
côté,
dans
les
mers
Euxi
nienne
et
Caspienne,
de
l'autre
dans
la
Méditerranée
et
dans
le
golfe
Persique.
Soudée
elle-même
à
l'immense
zone
de
montagnes
qui
d'un
bout
à
l'autre
entoure
toute
l'Asie,
des
extrémités
des
Indes
et
de
la
Chine,
jusqu'à
celles
de
l'Asie
Mineure,
et
se
prolonge
même
dans
l'Europe
orientale,
cette
chaine
arménienne,
avec
ses
contreforts,
est
regardée
par
le
plus
grand
géologue
des
temps
modernes,
Humboldt,
comme
le
centre
de
gravité
de
tout
l'ancien
monde;
elle
est
en
effet
située
à
distances
égales
du
Cap-de
Bonne-Espérance
et
du
détroit
de
Behring,
des
bords
sablonneux
du
Sahara
et
de
ceux
de
Gobi,
des
vagues
de
l'Atlantique
et
du
Pacifique.
Cependant,
cette
chaine,
pas
plus
qu'aucune
autre
dans
l'Arménie,
ne
dessine
clairement
ni
ce
rempart
impénétrable
du
Caucase,
ni
ces
crêtes
continues
des
Andes,
de
l'Himalaya
et
des
Apennins;
elle
n'a
pas
même
l'aspect
imposant
du
Taurus
dans
l'Asie
Mineure
méridionale.
L'Arménie
est
traversée
par
plus
d'un
chainon
secondaire
des
branches
du
Caucase,
du
Taurus
et
de
l'Ararat;
elle
est
coupée
par
des
blocs
de
montagnes,
hérissée
de
pics
isolés,
bien
autrement
imposants
par
leurs
formes,
par
leur
hauteur
et
leur
volume:
et
c'est
à
bon
droit
que
le
père
de
la
géographie
comparée,
Ritter,
nomme
notre
pays,
Ile-à-montagnes
(Berg-insel).
Vous
n'en
jugerez
pas
autrement,
si
vous
l'observez
entre
les
plaines
de
la
Mésopotamie,
de
l'Albanie
et
de
la
Géorgie,
entre
la
mer
Noire
et
la
mer
Caspienne,
où
le
plateau
s'élève
à
plus
de
2000
mètres,
avec
des
montagnes
d'une
hauteur
absolue
de
5000
mètres.
Son
point
culminant,
le
Massis
ou
Grand-Ararat
(5156
m.
),
dépasse
de
près
de
500
mètres
le
Mont-Blanc;
et,
isolé
de
trois
côtés,
il
s'élève
comme
le
géant
des
montagnes
à
plus
de
4000
mètres
au-dessus
de
la
plaine
de
l'Araxe;
montrant
glorieusement
à
une
distance
de
50
lieues
sa
tête
chenue,
autrefois
couronnée,
selon
la
tradition
pieuse,
par
le
berceau
de
l'humanité,
l'arche
de
Noé.
Par
cet
isolement
et
cette
hauteur
relative
il
semble
plus
imposant
et
plus
majestueux
que
les
sommités
mêmes
des
Cordilières
et
de
l'Himalaya.
La
cape
blanche
qui
le
couvre
perpétuellement
fait
un
contraste
frappant
avec
ses
flancs
noirs,
quand
ils
se
dégagent
du
manteau
de
l'hiver.
Car
c'est
encore
un
phénomène
des
plus
remarquables
de
notre
pays,
que
la
hauteur
de
la
ligne
de
glace
de
ses
montagnes;
aucune
d'elles
cependant,
excepté
le
Massis,
ne
la
conserve
toute
l'année,
si
ce
n'est
sur
quelques
cols
peu
nombreux.
Ainsi,
cette
ligne
ne
descend
pas
au-dessous
de
4000
mètres
dans
les
cônes
de
l'Arménie,
et
de
3500
dans
ses
chainons.
Il
avait
donc
raison
le
poète
latin
[1]
de
remarquer
que
pas
même
dans
les
monts
de
l'Arménie
la
glace
inerte
ne
restait
pendant
toute
l'année:
Nec
Armeniis
in
oris
...
Stat
glacies
iners
Menses
per
omnes.
Qu'il
est
donc
grand
le
contraste
de
l'aspect
de
notre
pays
entre
les
mois
des
deux
extrémités
de
l'année
et
ceux
du
milieu;
entre
ce
linceul
blanc
qui
le
couvre
littéralement
tout
entier,
et
le
tapis
de
verdure
variée
qui
y
succède
subitement!
Mais
comment
disparaissent
ces
énormes
amas
de
neige
et
de
glace?
où
vont
se
décharger
ces
monceaux
des
eaux
naguère
enchainées?
Elles
devraient
sans
doute
ravager,
inonder,
anéantir
toute
la
surface
du
pays,
si
la
nature
en
le
formant
ne
l'avait
pour
ainsi
dire
bombé
et
placé
comme
un
bouclier
convexe
entre
quatre
mers
méditerranées,
vers
les
quelles
ses
versants
inclinés
déversent
abondamment
ces
filtrations
limpides,
nourricières
des
plus
grands
fleuves
de
l'Asie
antérieure.
Outre
le
penchant
prononcé
du
terrain,
les
lits
de
ses
fleuves
sont
très-profonds;
il
y
en
a
qui
présentent
des
bords
escarpés
de
plusieurs
centaines
de
pieds
au-dessus
de
leurs
ondes
noirâtres;
et
c'est
pourquoi
plusieurs
de
ces
fleuves
ou
rivières
se
nomment
Noirs.
Tout
ce
déluge
annuel
ne
suffirait
pas
pour
alimenter
la
terre,
si
la
patiente
industrie
du
cultivateur
n'avait
creusé
une
multitude
de
canaux,
et
formé
un
réseau
mouvant
autour
de
ses
champs
et
de
ses
prairies.
Il
faut
le
reconnaitre,
nos
pères,
sans
avoir
les
ressources
de
notre
époque,
étaient
assez
avancés
dans
l'art
hydraulique.
L'eau
stagnante
dans
le
creux
du
vallon,
ou
se
frayant
un
passage
à
travers
le
roc
des
ravins,
non
seulement
était
attirée
pour
concourir
avec
la
sueur
du
laboureur,
mais
elle
était
poussée
quelquefois
par
des
sentiers
serpentants
le
long
des
rochers
escarpés
et
des
collines
à
pie,
pour
se
recueillir,
à
leur
sommet,
dans
un
bassin
taillé
dans
le
roc
du
château-fort
d'un
seigneur
ou
d'un
vassal
opprimé
par
un
tyran.
Ailleurs,
par
un
autre
procédé
et
avec
d'autres
vues,
on
creusait
des
passages
sous
le
lit
profond
des
fleuves:
Ani,
par
exemple,
dernière
capitale
de
l'Arménie,
avait
son
tunnel
900
ans
avant
Londres.
A
la
vue
de
ces
travaux
hydrauliques,
on
conçoit
que
de
tels
ouvriers
étaient
capables
de
dompter
ces
courants
d'eau
par
des
arcades
de
pierre,
c'est-à-dire
des
ponts;
et
il
y
en
avait
assez
pour
qu'un
de
nos
bardes
du
moyen-âge
voulat
jurer
par
ces
ponts
de
pierre.
Cependant
ce
n'était
pas
sans
peine
que
l'architecte
parvenait
à
relier
les
deux
rivages
des
fleuves
rapides
et
torrentiels,
témoin
la
fameuse
expression
de
Virgile:
Pontem
indignatus
Araxes.
Vainement
Alexandre
et
Auguste
avaient
cherché
à
dompter
ce
fleuve.
Un
autre
empereur
se
crut
plus
heureux
en
y
jetant
un
pont,
au
moins
momentanément;
et
un
autre
poète
courtisan
[2]
de
chanter
bien
vite:
Patiens
Latii
jam
pontis
Araxes.
Mais
le
fleuve
patriotique,
s'indignant
de
nouveau
contre
ces
constructions
impériales,
les
foula
sous
ses
ondes,
tandis
qu'il
se
joue
doucement
sous
le
grand
pont
à
sept
arches
dont
un
påtre
modeste
jeta
les
fondements.
Le
Pont-du-pâtre
(Tchoban-Këoprussu)
est
proverbial
en
Arménie
et
dans
les
contrées
voisines.
Laissant
les
autres,
j'en
citerai
un
seul
dans
le
district
proprement
dit
des
Vallons
(
Ձորափոր
),
d'une
seule
arche
de
pierre,
qu'une
reine,
à
la
fleur
de
la
jeunesse
et
déjà
veuve,
construisit
en
souvenir
de
son
royal
époux,
le
malheureux
Abas
Bagratide
oriental,
sur
un
ravin
profond,
comme
symbole
de
l'union
de
deux
vies
et
de
deux
mondes
en
perspective.
Elle
y
inscrivit
en
relief,
au
pied
d'une
croix,
la
devise
de
son
amour
et
de
sa
foi
ardente.
Nul
patriote
ne
pourrait
traverser
ce
pont
inspiré,
si
j'ose
le
dire,
sans
jeter
un
coup
d'ail
mélancolique
et
sur
les
ondes
rapides
qui
toujours
abandonnent
leur
fond
et
toujours
le
couvrent,
et
sur
cette
inscription
protégée
par
le
signe
de
l'espérance
chrétienne,
et
sur
ces
deux
monastères
voisins,
Haghpade
et
Sanahine,
vrais
Saint-Denis
et
Saint-Paul
de
l'Arménie
du
moyen
age,
où
reposent
plus
de
40
têtes
couronnées,
avec
celle
de
la
pieuse
Nana,
la
reine
dont
je
parlais!
Heureusement
le
temps,
moins
dévastateur
que
l'homme,
nous
a
conservé
intact,
après
700
ans,
ce
monument
à
la
fois
civil
et
sacré!...
Mais
serait-ce
une
sirène
enchanteresse,
cachée
aux
fonds
de
ces
eaux
bouillonnantes,
qui
m'a
entrainé
si
loin
de
mon
sujet?
Ah!
Messieurs,
quoi
de
plus
fort,
de
plus
attrayant,
de
plus
saint
que
l'harmonie
de
la
nature
avec
la
religion
et
les
souvenirs
de
la
patrie:
souvenirs
si
doux,
même
dans
leurs
douleurs!
Avant
de
dire
adieu
à
l'hydrographie
de
l'Arménie,
vous
avez
remarqué
sans
doute
qu'en
raison
de
l'inclinaison
du
terrain,
de
la
hauteur
des
montagnes,
de
l'abondance
des
torrents
et
de
l'espace
proportionellement
restreint
de
leurs
cours,
elle
devrait
avoir
des
cataractes,
des
cascades:
les
noms
mêmes
de
nos
fleuves,
Araxe,
Tigre,
Djorokh,
en
indiquent
la
rapidité.
Le
premier
est
fameux
par
ses
chutes
grandioses,
vers
la
partie
inférieure
de
son
cours,
qui
est
aussi
la
partie
la
plus
méridionale
du
vaste
empire
russe,
dont
les
immenses
fleuves
mêmes
ne
présentent
pas
un
spectacle
plus
magnifique
et
en
même
temps
plus
horrible;
car
pour
frayer
un
passage
à
travers
ces
gouffres
et
ces
énormes
quartiers
de
roche,
il
a
fallu
qu'un
terrible
tremblement
de
terre
renversât
toute
une
montagne
Grande,
et
laissât
notre
fleuve
national
se
précipiter
comme
un
coursier
écumant,
affranchi
de
tout
frein.
En
voyant
la
lutte
opiniâtre
de
ces
blocs
avec
ce
tourbillon
d'eau
de
l'Araxe,
le
grand
Chah
Abas
disait
à
ses
suivants:
Voilà
comment
on
résiste
à
l'ennemi:
-
Oui,
Sire,
quand
on
à
de
si
forts
soutiens,
lui
répondit-on,
en
lui
montrant
les
parois
rocailleux
qui
encaissent
en
cet
endroit
la
cataracte.
L'Euphrate,
patriarche
des
fleuves
bibliques,
qui
prend
sa
source
à
la
hauteur
de
9000
pieds
au
mont
des
Fleurs,
à
Garine
(Érzeroum),
n'a
pas
moins
de
300
rapides
dans
l'espace
d'une
douzaine
de
lieues,
entre
la
Grande
et
la
Petite
Arménie.
Son
affluent
oriental,
l'Aradzani,
près
du
célèbre
pélerinage
de
S.
Jean
Baptiste
à
Mouch,
se
précipite
tout
entier
par
une
large
cataracte,
qui,
du
bruit
de
ses
chutes,
se
nomme
Gourgour.
Enfin
le
Djorokh,
fleuve
arméno-pontien
d'un
cours
moins
long,
et
plus
rapide
que
les
autres,
en
traversant
un
lac
prend
la
forme
d'une
vraie
cascade,
qui,
selon
le
témoignage
d'un
naturaliste
Allemand,
(qui
avait
parcouru
trois
parties
de
la
terre
et
observé
ses
merveilles),
ne
saurait
être
surpassée
en
beauté
grandiose
par
aucune
autre,
si
ce
n'est
par
la
cataracte
du
Niagara.
Voudriez
vous
maintenant
essayer
une
navigation
sur
un
tel
fleuve?
Eh
bien!
prenez
une
barque
à
Artwine,
ville
limitrophe
de
Lazistan;
vous
descendrez
le
fleuve
jusqu'à
ses
embouchures,
à
Bathoum,
en
6
ou
7
heures;
voulez
vous
regagner
Artwine,
vous
remonterez
le
fleuve
en
6
ou
7
jours :
vous
voyez
que
la
pente
de
son
lit
n'est
pas
médiocre
et
que
son
courant
l'est
moins
encore.
Il
ne
faut
donc
pas
compter
beaucoup
sur
la
navigation
dans
les
eaux
des
fleuves
de
l'Arménie,
bien
que
des
bateaux
d'une
certaine
portée
sillonnent
le
Cour
et
l'Araxe
au
delà
de
leur
jonction.
Cependant
le
Père
de
l'histoire
grecque
nous
apprend
que,
de
son
temps
même,
les
Arméniens
tentaient
une
navigation
à
demi-barbare,
mais
ingénieuse
sur
l'Euphrate:
ils
embarquaient
les
produits
de
leur
pays
et
de
l'étranger,
surtout
certain
vin
de
palmier,
dans
des
barques
rondes
dont
la
carène
était
de
saule
et
le
dehors
de
peau,
et
qui
pouvaient
porter
jusqu'à
5000
talents
[3].
On
les
abandonnait
au
courant
du
fleuve,
et
on
arrivait
à
Babylone:
le
retour
se
faisait
par
terre.
L'explication
est
simple:
on
vendait
la
partie
solide
des
barques,
on
chargeait
les
peaux
sur
des
ânes
qu'on
avait
soin
d'embarquer
en
venant,
et
on
s'en
retournait
au
port,
qui
certes
ne
ressemblait
guère
à
Marseille.
Je
ne
sais
ce
que
vous
en
pensez,
Messieurs,
mais
le
naïf
Hérodote
considérait
cette
navigation
comme
la
plus
grande
merveille
de
la
Babylonie,
après
sa
capitale.
[3]
A
peu
près
130,
000
kilogrammes.