Léon le Magnifique premier Roi de Sissouan ou de l'Arménocilicie

Հեղինակ

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  Après la guerre de la Palestine qui dura cinq ans entre le sultan d'Égypte et les Chrétiens, chacun se retira dans ses Etats; le sultan, dans ses vastes domaines qu'il partagea entre ses frères, ses fils et ses neveux, et Léon dans sa principauté qu'il agrandit et qu'il fortifia. On ne voit pas le nom de Léon figurer dans les traités passés alors, car il ne comptait pas parmi les princes venus de l'Occident, mais il ne pouvait néanmoins échapper aux yeux du fier sultan et ne pas paraître coupable devant lui d'avoir été l'allié de ses ennemis et d'avoir employé ce moyen pour rehausser son autorité. Salaheddin avait tout pressenti, lui qui était envahi, autant que Léon par l'esprit de domination et par l'envie d'humilier quiconque de ses voisins tentait de s'élever, de ses voisins qu'il voulait abaisser au même niveau. Le sultan savait aussi tout ce qui s'était passé entre Léon et Rosdom, comment ce premier s'était approprié le territoire qui borde le littoral de l'Est à l'Ouest; comment il s'était emparé des forteresses du bas d'Amanus, forteresses qui s'étaient rendues parce que lui, le sultan, les avait abandonné un moment et, sur lesquelles avait droit, selon lui, le prince d'Antioche seul. Il ne voyait pas non plus d'un bon œil l'intervention de Léon dans les affaires de ses voisins d'Iconie.

En ce temps le vieux Kelidge-Aslan partagea son vaste territoire entre ses dix fils, comme lui ambitieux, jaloux et ennemis l'un de l'autre. Il mourut sans avoir pu mettre la paix entre eux. Il avait désigné pour lui succéder Kouthbeddin qui avait épousé la propre fille de Salaheddin, laquelle lui avait apporté en dot mille besans sarrazins.

A peine arrivé au pouvoir, Kouthbeddin commença à maltraiter ses frères et s'empara de Mélitine qui était l'héritage de son frère Muëzeddin Kaïssar ou Tchessar-Chah qui se réfugia auprès de Salaheddin. Mais il fut à son tour chassé du trône par son frère Kouthbeddin Suleiman (Gheyasseddin), d'abord seigneur d'Eudocie (Tokat) qui vint s'emparer uniquement du trône paternel, abandonnant à son prédécesseur l'Albistan, d'où il avait chassé son autre frère Keïkhosrov. Ce dernier se réfugia d'abord à Alep Salaheddin avait placé comme gouverneur son fils Daher, puis il vint demander l'hospitalité à Léon, qu'il quitta ensuite et il partit pour Trébizonde et de à Constantinople, il resta dix ans, jusqu'à la mort du tyran son frère. Alors il revint prendre possession de ses domaines. Pendant qu'il se trouvait encore dans le pays de Sissouan, Léon, soit de sa bonne volonté, soit par ruse, en obtint une partie des biens et des forteresses dans le pays d'Albistan. C'est ainsi que les frontières de la Cilicie s'étendirent au Nord-Est, jusqu'à la chaîne de l'Anti-Taurus.

Cette suite de faits différents et surtout les dissensions des fils du sultan d'Iconie, dbnt l'un s'en alla demander protection à Salaheddin et l'autre à Léon, firent que celui-ci sembla se poser en rival et porta ombrage au premier. Comme Léon avait pris, à l'Est, les deux forteresses de Paghras et de Tarbessag, ainsi que d'autres dans le voisinage, et enfin le littoral jusqu'à Rosus qui faisait partie de la principauté d'Antioche, le Prince de ce pays en était profondément irrité, mais, comme il n'osait pas se mesurer avec Léon, quand il apprit que Salaheddin venait à Beyrouth, il courut au-devant de lui pour le saluer et lui réclama quelques points de ses frontières que les étrangers lui avaient enlevés. Voilà du moins ce que racontent les biographes du sultan sans parler toutefois de Léon et des faits importants qui s'accomplirent alors, faits que nous tenons de notre historien de la Cilicie. Tout cela suffisait pour exciter l'animosité du fier conquérant contre Léon qui, seul au milieu des grands princes que la peur avait fait se soumettre au sultan, paraissait échapper à ce dernier. Salaheddin ne voulait pas que Léon, dont les aspirations ne tentaient qu'à cela, pût devenir encore plus grand, quoiqu'il le devint néanmoins; il ne voulait pas qu'il parût s'être affranchi de son autorité à lui qui avait mis tout le monde sous son joug. Il envoya donc l'ordre à Léon d'abandonner non-seulement ce qu'il avait pris aux autres, mais de se dépouiller aussi de tout ce qu'il possédait par héritage légitime, de lui remettre son pays et d'aller vivre en paix il lui plairait. Le sultan faisait ainsi pour tous ses ennemis: si quelqu'un d'eux se soumettait, il le comblait de présents et lui rendait des honneurs.

Ce fut le dernier commandement de ce puissant personnage qui avait dominé, pendant vingt ans et au milieu de triomphes continuels, les contrées qui vont de l'Égypte à Ninive, de ce guerrier, qui avait brisé la puissance des Chrétiens en Orient, et jeté l'épouvante en Occident. Mais ce fut pour Léon un coup terrible qui attentait à sa carrière. Il se sentit à la veille de voir périr son pays, tronquer son destin et ruiner les intérêts de ses sujets comme ceux des étrangers qui s'étaient mis sous sa protection.

Salaheddin ne connaissait pas Léon comme Léon le connaissait. Dès qu'il avait envoyé la même intimation à Roupin, frère de Léon, en lui défendant d'étendre son territoire, Roupin avait obéi. Mais, dans l'espace de douze ans, Léon avait vu la puissance de Salaheddin croître de jour en jour et ce sultan devenir un foudre de guerre en Orient. Rien d'étonnant que Léon se soit senti quelque peu troublé quand il reçut les ordres menaçants de Salaheddin, car ces ordres pouvaient avoir des conséquences terribles, si Léon ne se hâtait pas de s'y soumettre, comme son frère. Mais Léon n'avait pas l'âme faible de Roupin; il avait le cœur de son aïeul dont il portait le nom, de son père, de ses oncles. Si ceux-ci avaient été assez hardis pour tenir tête au fameux conquérant et pour lui résister, ils s'attendaient à ce qui leur était réservé et ils n'en couraient que leur propre dommage, mais pour Léon! Allait-il voir s'évanouir ses désirs de grandeur, allait il perdre à jamais cette couronne qu'il convoitait si ardemment, cette royauté qu'il avait rêvée et qui devait rendre ses Etats si florissants; son espoir d'étendre ses frontières encore plus loin qu'il n'y est arrivé, allait-il être déçu? Quel fruit tirerait-il à présent de tous ses travaux, de ses conquêtes et de son adroite politique? Que devenait la promesse de l'empereur scellée du sceau d'or? Plus il pensait et repensait à tout cela, moins il savait comment se tirer de . Mais le temps ne lui permettait pas d'y songer plus longtemps. L'envoyé du sultan le pressait de lui faire une réponse, car l'échéance du temps que Salaheddin lui avait assigné arrivait à grands pas; bon gré mal gré, il fallait se décider. Alors Léon secoua la torpeur dans laquelle le plongeaient ses méditations. Il résolut de résister à la volonté inflexible du sultan. Il se dit en lui-même: S'il est Salaheddin, moi, je suis Léon. Il m'est impossible de vivre en errant dans un pays étranger: ou bien je perdrai, ou bien je gagnerai tout. Puis, tournant ses regards du côté des remparts du Taurus, remparts placés par Dieu, il se ressouvint des paroles de Noureddin le prédécesseur et le précepteur de ce grand Salaheddin qui, jadis blâmé par ses princes qui lui avaient dit: «Pourquoi gâtes-tu les Arméniens et donnes-tu à Melèh une province de tes Etats (la province de Cyris)?» leur avait répondu: «Je fais cela, par ce que la forme naturelle de son pays l'a rendu imprenable, et quand Melèh le veut, il peut bondir au dehors, entrer dans notre pays et le ruiner. Je ne l'épargne que pour le gagner à moi, et je ne lui ai donné une partie de mon territoire que pour qu'il soit mon allié contre les Latins». Léon se prit à penser encore à toutes les forteresses qu'il avait construites de ses mains: l'imprenable Sis, sous les murs de laquelle il avait foudroyé les Turcomans; le grand et merveilleux roc massif d'Anazarbe qu'il avait bâti au temps de la prise de Jérusalem: Coricos, à qui la mer et la terre font ensemble des remparts. Songeant à tout cela, il regarda de travers l'envoyé de Salaheddin et lui dit d'un ton hautain, comme il seyait au souverain d'un pays de montagnes abruptes et à demi sauvages, et qui devait devenir un roi glorieux: «Homme, va-t'en dire à ton sultan que je n'ai pas de terres à te céder, et si tu entres jamais dans mes possessions, je te ferai boire aux armes à deux tranchants, comme je l'ai fait à ton coreligionnaire Rosdom 1 ».

La parole de Léon était irrévocable. Il avait jeté hardiment son sort dans la balance du destin. La force des circonstances allait peut-être engloutir Léon et la royauté des Roupéniens si le ciel n'avait pas fait tomber le sort de fatalité sur Salaheddin. Nous dirons plus: la rebellion de Léon ne put que sembler téméraire et insensée, car le sultan, exaspéré, eût eu bien vite anéanti complètement le royaume et jusqu'au nom de l'Arménie.

C'était au commencement de l'année 1193, pendant l'hiver qui n'est pas rigoureux dans cette région. Salaheddin qui s'était proposé de marcher sur Damas, avait en lui le germe de la maladie qui devait le conduire au tombeau. Il tourna son armée contre le baron d'Arménie et vint jusqu'aux environs de la Montagne-Noire, située entre les Etats de Léon et la principauté d'Antioche. Si le sultan, au dire de notre historien, commandait en personne ses troupes, ce qui n'est guère probable pourtant, ou si non, son armée étant arrivée , reçut la terrible nouvelle de la mort de celui qui avait causé ou hâté la mort de tant d'hommes. Il venait d'expirer à Damas, dans les premiers jours de Février. Léon se sentit soulagé d'un poids bien lourd et n'eut plus à s'effrayer des menaces d'un ennemi disparu à tout jamais.

II n'a pas été accordé à ces deux rivaux de se mesurer sur le champ de bataille et l'histoire n'a pas pu nous raconter une scène extraordinaire et gigantesque 2. L'issue de cette lutte eût peut-être été désastreuse pour nous, mais elle n'eût certes pas manqué de grandeur. Il est impossible au penseur de pas mettre Léon en comparaison avec Salaheddin. Et si l'on veut établir le parallèle entre ces deux hommes et les autres grands personnages de leur époque, on se dira qu'aucun de ces derniers ne fut à leur hauteur. Au risque de sembler ridicule aux historiens graves, au risque de voir traiter notre patriotisme d'exagéré, nous croyons donc pouvoir nous permettre de faire le parallèle entre le chef de notre modeste Arménie et le fier sultan qui fit trembler l'Orient et l'Occident, ce Salaheddin, enfin, qui par ses ennemis comme par ses amis fut reconnu grand et puissant.

Salaheddin appartenait à une famille pauvre et était de basse extraction vis-à-vis de Léon issu d'une maison noble et princière. Dans sa jeunesse, ses mœurs étaient relâchées et même dissolues, au point que Noureddin fut souvent obbligé de le contraindre par la force à faire la guerre et à s'occuper des affaires de l'Etat. Léon, lui, était au contraire guerrier et entreprenant par instinct et par goût.

Salaheddin, ce Kurde 3 de Touine ou de Tégride, une fois qu'il eût goûté des armes et de l'autorité, devint un héros célèbre par le courage, la finesse, la prudence et la grandeur d'âme, je voudrais pouvoir même dire par ses vertus et par les qualités avantageuses dont la nature l'avait doué. C'est par tout cela qu'il fut au-dessus de tous les hauts personnages de son temps, au-dessus de beaucoup de ceux qui le précédèrent et lui succédèrent en Orient. Il l'emporta sur tous les princes chrétiens avec lesquels il eut à faire, et les historiens chrétiens comme les historiens musulmans sont d'accord pour l'exalter.

Mais quand on pense que c'est avec l'aide de Noureddin et grâce à la trahison des ministres du sultan d'Égypte que Salaheddin arriva au pouvoir et qu'il a su profiter des nombreux tributs de ses coreligionnaires arabes, égyptiens, turcs, turcomans et kurdes, qui, dans leur simplicité, accouraient se joindre à lui, et grossir ses armées, et que Léon au contraire avec une poignée de soldats vainquit des troupes nombreuses et cela au milieu des peuplades de la Cilicie dont la langue et la religion étaient différentes, on trouvera le mérite de Léon bien plus grand, et c'est la grandeur de ce mérite qui le fait plus illustre. Je ne crains pas d'avancer que Léon a surpassé son antagoniste. Si Salaheddin a fait de grandes choses, a-t-il fait rien de réellement extraordinaire? Il n'a pas fait, lui, une nation qui n'existait pas, il n'a pas été un législateur, il n'a pas fondé une religion nouvelle, et n'a pas laissé un monument de gloire impérissable, il n'a légué rien à la postérité. S'il a remporté des grandes victoires sur les Chrétiens, s'il s'est emparé de toutes leurs possessions, s'il leur a enlevé leurs châteaux-forts, s'il leur a pris Jérusalem, après tout il n'avait qu'un but: de se venger des Chrétiens, ou son ambition seul le poussait à faire cela. Quels bénéfices retira-t-il de ses victoires, lui qui dut s'humilier jusqu'à abandonner la plus grande partie de ses conquêtes à ceux qu'il avait dépossédés et qui prospérèrent encore pendant un siècle sur le sol de la Syrie? A la fin, cette puissance absolue du Sultan fut partagée entre plusieurs et s'affaiblit.

Mais Léon, qui n'était pas moins ambitieux, avait au moins un but plus noble, plus élevé. Quant il dépossédait les autres, ce n'était pas par caprice et sans raison, et il se contentait de les adjoindre à son peuple qui se trouvait, à cette époque, presque anéanti et chancelant, et qu'il relevait de cette façon.

Cette aspiration, cette convoitise de la gloire d'être roi, n'était point tant pour lui le fait d'une ambition dévorante que l'intérêt de son peuple; car, en possédant la couronne royale, il ajoutait, si je puis m'exprimer ainsi, aux joyaux de cette couronne 60 ou 70 barons possesseurs de châteaux-forts qui se montraient fiers d'être ses vassaux ou ses hommes liges, et glorieux d'être sous son autorité, et qui, sans cela, ne constituaient plus que de petites principautées séparées, en désaccord et, le plus souvent, ennemies l'une de l'autre, qui se seraient perdues de leurs propres mains ou par les mains des étrangers.

On conviendra donc que Léon a exécuté une œuvre éclatante, et on l'appréciera encore davantage quand on le comparera avec Salaheddin, comme nous venons de le faire et avec d'autres personnages considérables de son époque, que la suite de notre histoire nous présentera l'un après l'autre ou en lutte avec lui ou lui venant en aide contre un ennemi commun.

1 C'est ainsi que notre historien royal nous rapporte les paroles de Léon.

2 Est-ce une déduction philosophique ou une espèce de présomption qui nous fait tenter de penser si Salaheddin eût exécuté son invasion dans Sissouan, ou si, quelque temps après les Tartares de l'Asie Occidentale fussent entrés dans notre pays avec leurs cohortes invincibles, quelle figure aurait fait Léon devant eux? Se serait-il montré comme roi indépendant des Arméniens, comme il le fut en réalité? Je crois que lorsque Dieu veut rendre grand l'homme sur la terre, il lui prépare les voies pour le devenir. Comme il le fit pour son Cyrus, à qui il manifesta sa secrète providence: «J'irai devant toi, j'applanirai les montagnes, je forcerai les portes de bronze, je briserai les gonds de fer et je te donnerai les trésors des ténèbres» (Isaïe XLV).

3 Nos historiens croient que la famille de Salaheddin était kurde et des alentours de Touine capitale de l'Arménie au V siècle.