Léon le Magnifique premier Roi de Sissouan ou de l'Arménocilicie

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  Les dernières paroles de S. t Nersès de Lambroun, celles que nous venons de citer, nous ont amené à la royauté de Léon, et nous obligent à étudier comment et à quelle époque ce fait mémorable s'accomplit. Jusqu'ici nous avons parlé plus ou moins longuement des moyens qu'il employa et des résultats qu'il en obtint pour monter à cet honneur et à la gloire d'être roi. Nous avons montré sa vaillance, nous avons énuméré ses conquêtes, nous avons cité ses artifices politiques, nous avons parlé enfin des monuments qu'il laissa à la postérité. Léon seul aurait pu dire à quel moment de sa vie il eut l'idée et l'ambition de devenir roi. Il ne manifesta cette envie de porter la couronne royale qu'à l'arrivée de la troisième Croisade, comme on a pu le remarquer plus haut. Il en fit part au chef de cette croisade, à Frédéric empereur d'Allemagne qui se faisait appeler aussi empereur de l'ancienne Rome.

Nous avons également vu qu'après la mort de l'empereur, à l'arrivée de son fils Frédéric, avec une armée à Tarse, les princes et les évêques avaient tenu un conseil pour décider s'ils devaient proclamer roi Léon, mais qu'ils s'étaient abstenus de lui conférer cette dignité, ne se reconnaissant aucune autorité pour faire un tel acte, puisque le successeur de Barberousse n'était pas encore désigné. On ne soupçonnait pas encore les idées de Léon et l'on ne connaissait pas non plus les conséquences qui en sortiraient; l'on ne se doutait pas même de l'influence qu'il pourrait exercer sur les princes occidentaux de ce côté de la mer, c'est-à-dire de la Syrie. Mais pourtant ces princes et ces évêques qui avaient figuré dans le conseil, ne connaissaient pas assez la religion et les coutumes des Arméniens, les forces dont pouvait disposer Léon et le genre de son gouvernement. D'un autre côté, Salaheddin menaçait toujours. L'appréhension d'une guerre et le siège de Ptolémaïs les tenaient en éveil. L'armée allemande était décimée par la famine: la mortalité fauchait les rangs de cette armée désolée par le retard des Croisés auxiliaires qui n'arrivaient pas.

La question de la royauté de Léon fut écartée pour un moment, mais non l'idée. Et Léon attendit patiemment, préférant reculer son couronnement jusqu'à un autre temps plus favorable que de recevoir la couronne à la hâte et sans solemnité. Ce n'était pas tant pour l'ornement de son front qu'il tenait à cette couronne que pour rehausser l'éclat du chef d'une nation entourée de tant de peuples divers, voisins ou éloignés. Il s'imaginait déjà qu'il régnait en droit après la promesse que lui avait faite l'empereur de Rome. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que le Lambrounien le nommât et le considérât roi dès 1194.

Comme les Occidentaux étaient occupés de leur propres affaires, même après les traités de paix de Richard avec Salaheddin, et même après la mort de ce dernier, Léon dut, par lettres, par ambassades et quelquefois en personne, poursuivre ses relations avec les grands princes et leur rappeler la promesse de l'illustre empereur, outre son envie d'être nommé Roi et les droits qu'il pouvait faire valoir à ce sujet. Il pouvait certainement espérer qu'il recevrait la couronne par un autre roi en lui promettant de lui rendre le devoir d'hommage féodal, mais il ne voulait s'appuyer que sur des grands et puissants personnages dont il aurait l'aide et la protection pour son pays et son honneur. Il avait jeté ses regards sur deux grandeurs glorieuses, l'empereur de Rome et le Pontife romain. C'était d'eux seuls et non d'autres qu'il voulait recevoir la couronne et avec la plus grande solennité.

Henri, duc de Champagne, élevé au trône royal de Jérusalem, était venu dans le pays de Sissouan. Comme il était dans les mêmes conditions que Léon et qu'il s'était fait, ainsi que nous l'avons rapporté, l'intermédiaire de ce dernier et du prince d'Antioche, on peut croire que Léon lui confia, comme à un ami intime, son désir d'être roi et qu'il le chargea d'en parler à qui il fallait. On peut aussi croire que Henri lui promit de faire tout ce qui dépendrait de lui pour hâter l'affaire; mais, quoiqu'en dise le Continuateur de Guillaume de Tyr 1, ce ne fut pas Henri qui couronna Léon, considérant que celui-ci était maître d'un Etat assez vaste, et que le prince d'Antioche lui rendait l'hommage. Il est probable que le chroniqueur a confondu Henri le Comte avec Henri le fils du grand empereur Frédéric, à qui, effectivement, Léon, peu de temps après, s'adressa par ambassades, ainsi qu'au pontife romain Célestin III.

Ces ambassades furent envoyées, probablement en 1196, à Milan 2 se trouvait l'empereur. Celui-ci pressurait ses sujets et avait grand besoin d'alliances pour s'assurer la conquête du royaume des Siciles; il fit donc promettre aussitôt à Léon par les Croisés qui devaient s'embarquer pour la Palestine, qu'il le ferait roi d'Arménie. C'est ce que rapportent clairement les chroniqueurs contemporains allemands et autres. Mais nous aurions désiré trouver des documents qui nous donnassent le texte des instances de Léon et les noms de ses ambassadeurs, qui paraissent avoir été des princes étrangers, c'est-à-dire des Francs, établis dans la Cilicie; car en même temps ils demandèrent à l'empereur, qui le leur accorda, d'ajouter aux territoires de leur possession, un autre qui était au-delà des frontières de la Cilicie et d'Antioche; ce territoire comprenait une partie inconnue des contrées de la Syrie et un château connu, sous le nom de la Tour de Plomb 3, situé près de Telbachar. Cette forteresse avait été une des premières conquêtes de Noureddin qui s'en était emparé en 1151. Elle s'appelait en Arabe Bordj-el-Rassas. Ce nom a la même signification.

L'empereur Henri s'était en vérité proposé d'aller à la délivrance de la Terre-Sainte, car il pensait par cela effacer la mauvaise réputation qu'il s'était attirée en faisant emprisonner iniquement et traîtreusement Richard Cœur-de-Lion, et par les cruautés qu'il avait exercées envers ses vaincus et ses captifs. On le priait sans cesse de venir retirer de Tyr les restes de son père pour les porter à Jérusalem et les y faire enterrer, en exécution de son testament. Soit qu'il en fût dissuadé par les princes de sa Cour ou qu'il n'eût pas l'envie de partir, il se contenta d'envoyer une Croisade en 1196-97. Les troupes de cette Croisade furent d'abord vaincues par Mélik-Addel, frère de Salaheddin, mais elles prirent ensuite leur revanche et battirent ce Mélik-Addel dans une plaine située entre Tyr et Sidon. Elles furent, quelque temps après, rejointes par les troupes qui s'étaient embarquées à Messine, en Sicile. Avec ces derniers croisés, Henri avait envoyé son secrétaire, l'Evêque Conrad 4, et lui avait remis deux couronnes d'or qu'il devait déposer, l'une sur le front de Léon en le proclamant roi d'Arménie, et l'autre sur le front d'Amaury, roi de Chypre. Celui-ci, tout comme Léon, avait fait demander la couronne et les insignes royaux à l'empereur, par Reynier, seigneur de Giblet ou Gabale.

Vers la fin de Septembre de l'année 1197, ce secrétaire débarquant avec une partie de la flotte, à Chypre, se rendit à Nicosie, il couronna Amaury, à qui il remit le sceptre et l'épée, selon les coutumes, et de qui il reçut en échange des honneurs. Il devait ensuite passer dans le pays de Sissouan pour effectuer l'autre couronnement. La fortune, encore cette fois, ne fut pas favorable aux Arméniens: mais ce ne fut que pour peu de temps.

L'évêque-légat avait été nommé chef de toute la quatrième Croisade par l'empereur d'Allemagne et le pape Célestin III. Cette Croisade n'avait pour but, comme celle qui avait été conduite par Barberousse, que la délivrance de Jérusalem, et son chef, comme on était à la fin de l'automne, hâtait l'expédition et, remettant le couronnement de Léon à une époque postérieure, il s'embarqua pour Ptolémaïs, l'attendaient les Croisés. Léon en fut informé. Il lui envoya des ambassadeurs à la tête desquels était Jean, l'adroit archevêque de Sis. C'était précisément ce Jean qui avait fait emprisonner le Catholicos Grégoire V à Romcla, à qu'il succéda plus tard comme nous le verrons par la suite. Les ambassadeurs de Léon invitèrent les gens de l'empereur à venir à la Cour de leur Baron. Mais ceux-ci étaient retenus par leurs préparatifs de guerre et ne purent se rendre à cette invitation. Cependant, avant qu'ils eussent rassemblé leurs troupes, l'hiver les surprit et ils ne jugèrent pas à propos de se diriger de suite vers la Cité Sainte. Ils voulurent alors arracher aux Égyptiens la fameuse forteresse de Toron, située sur le sommet d'une colline, afin de ne point les laisser tout-à-fait maîtres du pays. Pendant qu'ils effectuaient cette opération, les factions brisèrent leurs rangs et ils soupçonnèrent les Templiers de vouloir les trahir.

Alors Conrad ne pensa qu'à se retirer. Il se munit des provisions de l'armée et alla se réfugier dans une des deux villes fortes qui appartenaient aux Chrétiens, à Ptolémaïs et à Joppé, le suivirent bien v i te beaucoup d'autres chefs de son armée. C'est qu'ils reçurent l'avis de la mort de l'empereur Henri VI, décédé le 28 Sept. 1197. Les Allemands se préparèrent alors à retourner dans leur patrie et ne prêtairent plus l'oreille aux instances des autres qui voulaient les retenir.

Quoiqu'ils ne partirent pas immédiatement, par la négligence, les dissensions, la vie de plaisir des généraux et de toute l'armée, Joppé fut prise par les Sarrazins, le 11 Novembre 1198. Les Chrétiens furent massacrés en grand nombre, le reste de l'armée suivit Conrad, et tous s'empressèrent de s'en retourner. Conrad pendant qu'il se trouvait à Beyrouth, chargea l'autre Conrad, Mittelsbach, archevêque de Mayence et cardinal de S. Sabine, d'aller couronner roi Léon. Ce cardinal occupait le premier rang parmi les autres cardinaux.

1 L'auteur de la suite de l'histoire de Guillaume de Tyr: Dist li Sires d'Ermenie au comte Henri: J'ai assez terre, cités et chastiaus et grans rentes, por estre roi; si est le prince d'Antioche mes hons. Je vos pris que vous me corones. Le Cuens le corona volontiers. Ainsi ot roi en Ermenie.

2 L'empereur se trouvait à Milan, le 12 Août, On conserve un décret qu'il y donna ce jour-là. (Muratori, Annali 1196. Rohde, selon la Chronique de Marbach, prétend que c'est en 1194; ce qui ne paraît pas probable, car cette anné-là, Henri est bien venu en Italie, mais à Gênes et à Pise, il réunit sa flotte à la hâte pour conquérir la Sicile. L'auteur de la suite de l'histoire de Guillaume de Tyr, ou Eracles (XXVI, 27) dit la rencontre de l'ambassade et de l'empereur avenue en la Terre des Pouilles, au midi de l'Italie: «Quant Livons vit que il estoit seignor en chief, et que il ne tenait de ne lui riens, si envoia sez messages a l'empereor Henri en Puille, ou il estoit: et li manda offrant son homage, et que il voloit de lui tenir la terre d'Ermenie: et li requist que il li envoiast la coron et le feist rei. Li empereres recut le mandement licement, et recut l'omage, et otroia que il le coronerait, quand il passerait la mer», etc.

3 Ipsi quoque legati petebant, se inbeneficiari ab Imperatore beneficiis raris et prius inauditis sitis in locis Syrie, qui vocantur, Ad plumbeam Turrim. Quod et factus est, Annal, Marbach. Rohde, König Leon 40.

4 Ce Conrad était d'abord évêque de Lubec, puis de Hildesheim, ensuite il usurpa le siège de Wurzbourg. Sur cela, il fut appelé à Rome il fut pardonné et remis sur ce siège de Wurzbourg. Il mourut en 1202.