Une
lutte
plus
grande
et
désastreuse
pour
notre
nation
arménienne,
eut
lieu
également
dans
la
plaine
d'Issus.
Les
étrangers
ne
connaissent
pas
assez
ce
fait
pour
le
placer
à
côté
des
deux
grands
événements
que
nous
venons
de
rappeler.
Pourtant
le
souvenir
de
ce
désastre
ne
doit
pas
seulement
être
douloureux
pour
les
Arméniens,
mais
devrait
aussi
exciter
l'intérêt
de
tous
ceux
qui
se
sont
voués
à
l'étude
des
événements
qui
ont
eu
lieu
en
Orient
durant
l'époque
des
Croisades.
Il
s'agit
de
la
première
et
grande
bataille
des
Egyptiens
contre
les
Arméniens.
Ces
derniers
essuyèrent
une
défaite
glorieuse,
il
est
vrai,
mais
en
même
temps
terrible.
L'éclat
de
Héthoum
I
er
en
fut
éclipsé
après
quarante
ans
d'un
règne
fortuné,
et
pour
la
première
fois
l'Arménie
consentit
à
se
déclarer
tributaire
des
étrangers,
qui
avaient
ravi
la
victoire
en
attaquant
par
surprise
le
petit
nombre
de
ses
défenseurs.
Héthoum
avait
signé
une
alliance
avec
les
Tartares:
le
sultan
d'Egypte
le
regardait
de
mauvais
œil,
prévoyant
une
intrigue,
pareille
à
celle
qui
venait
d'avoir
lieu
à
Babylone
(Baghdad),
et
attendait
avec
anxiété
l'occasion
favorable
de
prendre
sa
revanche.
A
peine
eut-il
appris
la
mort
de
Houlaghou-khan,
(en
février,
1265),
il
marcha
contre
les
Syriens,
et
après
avoir
reconquis
un
à
un
les
châteaux
et
les
villes
que
les
Tartares
lui
avaient
ravis,
il
s'avança
vers
la
Cilicie.
Le
roi
Héthoum
prit
toutes
les
précautions
possibles,
et
voyant
le
désarroi
des
affaires
des
Tartares,
après
la
mort
de
son
ami
Houlaghou,
se
hâta
de
proposer
un
traité
de
paix
au
sultan
(Bibars),
pendant
que
celui-ci
se
trouvait
encore
à
Damas.
«Le
sultan
(dit
un
de
nos
historiens),
ne
rejeta
pas
sa
proposition;
mais
il
demanda
au
roi,
des
châteaux
et
d'autres
lieux
limitrophes
de
son
territoire.
Le
roi
ne
put
céder
aux
exigences
de
son
adversaire
pour
deux
motifs:
d'abord
parce
qu'il
craignait
que
les
Tartares,
ne
pussent
dire
que
le
roi
Héthoum
était
d'accord
avec
le
sultan
d'Egypte,
et
qu'il
lui
avait
donné
en
compensation
les
lieux
et
les
châteaux
qu'ils
avaient
délivrés;
ensuite
parce
qu'il
ne
voulait
pas
se
mettre
sous
l'autorité
des
Egyptiens,
lui,
qui
depuis
longtemps
était
roi,
vainqueur
et
jouissant
de
la
renommée;
tandis
que
ce
sultan,
serf
d'un
vil
serviteur,
était
devenu
peu
à
peu
assez
formidable
pour
être
craint
de
tous
ses
voisins.
Le
roi
(Héthoum)
lui
envoya
donc
plusieurs
fois
des
personnages
honorables
avec
des
dons
précieux,
afin
de
gagner
son
affection;
mais
le
sultan
ne
se
laissa
pas
fléchir,
et
persista
dans
la
demande
de
ces
lieux
et
des
châteaux.
Puis
avec
son
armée
il
vint
jusqu'à
Alep,
où
il
la
partagea
en
trois
corps
sous
trois
commandants:
c'étaient
Semelmoth,
Alphi
et
le
sultan
d'Alep.
Il
les
envoya
contre
le
roi
Héthoum
dans
le
territoire
de
la
Cilicie
et
il
resta
lui-même
dans
la
ville».
Les
historiens
sarrasins
attribuent
le
commandement
en
chef
à
El-Mansour,
émir
de
Hamat,
et
placent
sous
ses
ordres
Izzuddin
Ayghan
et
Seyféddin
Calavoun,
qui
pénétrèrent
dans
la
Cilicie,
au
mois
d'août
1266.
Héthoum
s'empressa
d'enrôler
ses
troupes
et
de
demander
l'aide
des
Tartares.
Escorté
de
quelques
troupes,
il
se
rendit
en
toute
hâte
chez
un
de
leurs
chefs
qui
résidait
entre
Albistan
et
Cocussus;
mais
le
Tartare
ne
consentit
pas
à
lui
donner
des
soldats
sans
le
consentement
du
grand
khan
Abaghas.
Héthoum
sans
perdre
de
temps
envoya
à
ce
dernier
des
messagers,
et
en
même
temps
remit
le
commandement
des
deux
autres
corps
de
son
armée,
forte
d'environ
15,
000
hommes,
à
chacun
de
ses
deux
fils,
Léon
et
Thoros
et
à
d'autres
princes,
parmi
lesquels
se
trouvait
peut-être
son
frère,
le
connétable
Sempad,
mentionné
par
les
historiens
arabes;
mais
les
Arméniens
ne
le
citent
pas,
et
il
est
probable
que
les
premiers
se
trompent.
L'un
de
ces
deux
corps
occupa
le
célèbre
passage
proprement
appelé
La
Porte,
au
nord
d'Alexandrette,
dont
nous
parlerons
plus
bas;
l'autre
se
massa
plus
au
nord
au
lieu
appelé
Mari,
où
il
y
avait
encore
un
autre
passage
étroit,
non
loin
de
celui
qui
fut
le
champ
de
bataille
de
Darius
et
de
Niger.
L'historien
Malachie
rapporte
que
le
sultan
envoya
sa
cavalerie
«par
la
route
de
Mari
»,
ce
qui
montre
que
ce
lieu
et
ce
passage
étaient
d'une
certaine
importance.
Cela
est
confirmé
par
le
témoignage
d'Aboulfeda,
historien
arabe,
qui
dans
le
récit
de
l'incursion
de
1296,
nomme
ce
passage
Derbénd-el-Merry;
دربند
المرّي;
il
le
place
à
un
demi-jour
de
chemin
à
l'est
de
Sarouantikar,
et
il
ajoute,
que
l'espace
qui
sépare
ces
deux
lieux
était
couvert
de
hauts
sapins,
formant
une
épaisse
forêt,
comme
on
n'en
voyait
guère
de
semblable
ailleurs.
Les
Arméniens,
retranchés
dans
ces
passages
se
croyaient
capables
d'empêcher
les
Egyptiens
d'entrer
dans
leur
territoire
jusqu'au
retour
du
roi
Héthoum,
d'autant
plus
que
le
roi
plein
de
prévoyance,
avait
érigé
de
fortes
tours
sur
les
sommets
des
montagnes,
partout
où
il
croyait
possible
une
attaque
des
Egyptiens
[1].
Ceux-ci
déjouèrent
ses
prévisions:
car,
au
lieu
de
suivre
la
route
ordinaire,
ils
escaladèrent
les
montagnes
dans
les
lieux
difficiles
et
réussirent
à
«parvenir
en
cachette
à
Nicopolis,
au
pied
des
Montagnes
Noires,
et
y
posèrent
leur
camp».
Ces
renseignements
sont
puisés
dans
notre
historien;
les
savants
ne
sont
pas
d'accord
sur
la
position
de
Nicopolis;
mais
les
données
de
notre
historien
concordent
avec
celles
de
Ptolémée,
qui
pose
ce
lieu
à
dix
kilomètres
à
l'est
d'Issus.
Or,
les
Arméniens
avaient
à
peine
posé
leur
camp
à
Mari,
lorsqu'ils
apprirent
la
soudaine
apparition
de
l'ennemi,
avant
le
retour
de
Héthoum.
Ils
furent
d'abord
tout
consternés,
mais
ensuite
reprenant
courage,
ils
se
décidèrent
à
attaquer
l'ennemi
avec
leurs
avant-postes.
C'était
le
lundi,
23
août.
Quelques
auteurs
affirment
que
la
bataille
dura
deux
jours
entiers;
mais
l'historien
royal
dit
que
la
vraie
lutte
eut
lieu
le
mardi
à
Mari,
et
se
termina
le
même
jour.
Cette
bataille
fut
à
la
fois
humiliante
et
glorieuse
pour
les
Arméniens;
humiliante
«parce
qu'après
la
première
attaque
plusieurs
soldats
chrétiens
prirent
la
fuite,
sans
essayer
de
résister»;
(n'oublions
pas
cependant
que
le
nombre
des
ennemis
était
de
45,
000).
Suivant
un
autre
historien:
«ils
abandonnèrent
les
deux
héritiers,
fils
du
roi
(Héthoum),
dans
les
mains
des
loups
impies,
et
ils
se
retirèrent
dans
leurs
forts».
Elle
fut
aussi
glorieuse,
parce
que
«les
fils
du
roi,
le
prince
Léon
et
son
frère
Thoros,
assaillirent
les
ennemis
avec
un
grand
courage;
Thoros
fut
tué
dans
la
mêlée,
et
Léon
fait
prisonnier,
et
avec
lui
Vassil,
surnommé
le
Tartare,
fils
du
connétable
Sempad,
et
Djilardom
(Jirardin?)
et
Adom.
Les
Egyptiens
les
conduisirent
jusqu'à
Sis
et
les
mirent
en
prison
dans
leur
mosquée».
Les
historiens
arabes
disent
que
Sempad
eut
plus
d'un
fils
fait
prisonnier
dans
cette
bataille,
et
qu'il
y
perdit
aussi
un
de
ses
frères;
mais
cette
assertion
n'a
rien
de
certain,
car
nous
avons
la
liste
des
frères
de
Héthoum
et
de
Sempad
avec
la
date
de
leur
mort.
Les
Sarrasins
affirment
de
même
que
douze
princes
ou
barons
se
trouvaient
présents
dans
l'armée
arménienne.
Laissons
ces
récits
particuliers;
il
est
certain
en
tout
cas
«que
la
perte
de
Thoros,
fils
du
roi
fut
la
plus
cruelle
parmi
les
morts.
Il
était
dans
la
fleur
de
l'âge,
encore
imberbe,
chaque
bouche
louait
sa
valeur,
aucune
vertu
ne
lui
manquait
et,
par
sa
virginité,
il
jouissait
de
la
plénitude
des
grâces
du
Seigneur.
Il
consentit
de
bon
gré
à
verser
son
sang;
car
lorsqu'on
lui
demanda
qui
il
était,
il
cacha
le
nom
de
son
père;
afin
de
ne
pas
tomber
captif
et
de
ne
pas
être
un
autre
souci
pour
son
père
et
sa
patrie,
avec
son
frère
aîné,
Léon.
Ce
dernier
fut
réellement
le
premier
parmi
les
prisonniers
à
causer
une
douleur
cruelle
à
notre
pays
et
à
la
nation.
Que
la
main
du
Seigneur
qui
nous
a
frappés
dans
sa
colère,
nous
guérisse
par
sa
miséricorde,
et
ferme
notre
grande
plaie,
en
nous
rendant
les
captifs
qui
nous
furent
emportés.
Les
Egyptiens
restèrent
quinze
jours
dans
notre
pays,
le
remplirent
de
désolation,
faisant
endurer
aux
captifs
de
cruelles
souffrances;
pour
nous,
nous
ressentîmes
une
indicible
douleur
à
la
triste
nouvelle
du
désastre».
Telles
sont
les
paroles
touchantes
de
l'historien
Vartan,
témoin
oculaire
et
bien
connu
à
la
cour
de
Héthoum.
Un
autre
historien
contemporain,
Malachie,
non
moins
touché
de
ces
malheurs,
décrit
ces
événements
et
le
deuil
déchirant
de
Héthoum;
et
il
ajoute
que
le
sultan
même
«s'attris
ta
à
la
nouvelle
de
la
mort
du
Baron
Thoros,
et
se
mit
en
colère
contre
ses
meurtriers;
mais
ceux-ci
lui
répondirent
qu'ils
ne
connaissaient
pas
le
fils
du
roi,
et
que
Thoros
de
son
côté,
avait
tué
plusieurs
des
leurs,
en
avait
blessé
un
grand
nombre,
et
qu'à
la
fin
ils
avaient
été
obligés
de
faire
tous
leurs
efforts
pour
se
rendre
maîtres
de
lui»
[2].
Nous
avons
jugé
à
propos
de
mentionner
ces
détails
particuliers,
qui
sont
en
connexion
avec
ce
lieu;
le
reste
appartient
à
l'histoire
générale.
Qu'il
nous
soit
permis
d'ajouter
que
la
mort
ou
la
captivité
des
fils
du
roi
ne
furent
pas
les
seules
conséquences
de
cette
funeste
bataille,
mais
après
ce
désastre
le
territoire
et
la
capitale
de
Sis
furent
dévastés
pour
la
première
fois,
et
pour
la
première
fois
aussi,
les
Arméniens
se
soumirent
au
joug
de
leurs
puissants
ennemis.
De
nouveaux
explorateurs
anglais
et
des
missionnaires
américains
placent
Nicopolis
près
de
la
bourgade
d'
Islahié,
dans
l'endroit
où
l'on
trouve
des
ruines
et
une
inscription
grecque,
entre
la
vallée
des
montagnes
Ghiavour
et
Kurde;
cette
bourgade
fut
fondée
récemment
par
les
montagnards
de
Kara-dagh.
De
même
ils
placent
les
célèbres
défilés
d'Amanus
à
l'ouest
du
même
bourg,
près
du
lieu
appelé
Khazan-ali,
à
côté
du
village
Kara-baghtché,
au
sud
des
pentes
rapides
d'une
montagne;
on
voit
tout
près
de
là
une
forte
muraille
de
pierre
formant
un
angle
et
fermant
complètement
le
passage.
(p.
481-
Autographe
de
Héthoum
I
er,
en
1252)
[1]
Un
voyageur
qui
explora
ce
champ
de
bataille
et
les
alentours,
rapporte
que
dans
tout
le
voisinage,
on
trouve
des
restes
de
constructions
et
de
places
fortes;
on
voit
aussi,
au
sommet
de
la
montagne
de
Kam,
des
murailles
construites
avec
des
pierres
volcaniques.
Du
côté
nord,
un
étroit
passage,
gardé
par
une
porte,
et
une
tour
de
briques,
traverse
la
montagne
calcaire;
on
voit
au
milieu
de
ce
passage
une
grande
et
belle
arcade,
appuyée
aux
deux
parois
des
rochers
volcaniques.
Cette
arcade
est
probablement
l'arc
de
triomphe,
érigé
par
les
Romains
en
l'honneur
de
Germanicus,
selon
Tacite,
II,
83.
«Arcus
editi...
et
in
monte
Siri
æ
Amano
cum
inscriptione
rerum
gestarum».
—
Cependant
aucune
inscription
n'y
a
été
découverte.
[2]
Deux
ans
après
ces
tristes
événements,
l'écrivain,
Georges
de
Lambroun,
nous
en
laissait
le
récit
suivant:
«Ici
mon
chagrin
m'oblige
de
m'arrêter,
avant
de
faire
ce
malheureux
récit;
car
l'année
dernière ...
le
sultan
d'Egypte,
comme
envoyé
par
la
colère
de
Dieu,
entra
dans
la
Cilicie
avec
une
grande
armée,
un
appareil
de
guerre
considérable
et
de
nombreux
officiers
mahométans.
Les
troupes
arméniennes
incapables
de
faire
opposition
au
sultan,
écrasées
par
le
nombre,
firent
volte-face,
se
débandèrent
et
se
dispersèrent.
Les
deux
fils
du
roi
furent
pris
par
les
ennemis,
le
cadet
tomba
sous
les
coups
d'épée,
l'aîné
fut
emmené
en
captivité.
Les
soldats
étant
dispersés,
et
le
roi
se
trouvant
absent
du
pays,
les
ennemis
se
livrèrent
sans
crainte
au
carnage
et
à
la
dévastation.
Ils
incendièrent
plusieurs
villes
avec
leurs
faubourgs,
ils
détruisirent
les
églises,
ils
brûlèrent
les
livres
saints.
Sis
même,
la
ville
royale
n'échappa
pas
à
la
destruction;
le
magnifique
palais
royal
fut
incendié,
avec
la
glorieuse
église
de
Sainte-Sophie.
Un
grand
nombre
de
citoyens
furent
passés
au
fil
de
l'épée,
et
un
plus
grand
nombre
encore
emmenés
en
captivité;
le
butin
qu'ils
emportèrent
fut
immense».