Sisouan ou lArméno-Cilicie

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  Après tout ce que je viens de rapporter, je trouve encore une fois le souvenir de ce monastère, l'année 1315, avec celui d'un autre couvent, appelé Pérdjèr ou Bérdjèr: ce nom lui est attribué par le diacre Khatchadour, qui a copié un évangile dans ce lieu, l'an 1299, pour le prêtre Sarkis, frère du moine Paul; il y cite les églises de Sion et de Sainte-Croix.

161- Fac-simile, tiré de l'Hymnaire, écrit à Pérdjère, l'an 1325 [1] .

 

Dans le même livre nous trouvons écrit le mémoire suivant qui commence comme ci-après: «Ayez pitié, Seigneur, de Constant le Héthoumien, et de tous les bons fidèles». Parmi les membres du concile de Sis de l'an 1342, se trouvait David, abbé de Pérdjèr, que le latin dit: «David Abbas de Perger». Constantin, le Père du roi, a non seulement construit ce couvent de Pérdjèr, mais encore un autre appelé Miaguetzer (des solitaires), situé aux environs de l'ermitage de Khorine, et dont le supérieur semble être Etienne, celui qui prit part au concile de Sis; mais dans le latin, le couvent est cité sous un nom inconnu, Quessedain(?). Je n'ai trouvé aucun souvenir de ce lieu, pas plus que du couvent de Lissangan, ( Լիսանկան ou peut-être Լիսանիկն ), dont la fondation est attribuée, par notre P. Tchamtchian, à Constantin, le Père du roi; on ne sait pas pourtant s'il est loin près de Partzer-pert. La version latine de l'histoire du susdit concile donne à cette place le nom de Lisernat, qui pourrait correspondre au mot arménien Lissernag (petite cheville).

Un autre couvent dans ces confins, non seulement plus renommé que ceux-ci mais encore que celui de Khorine, s'appelait le couvent d' Aganz ou d' Aguener. Plusieurs le mentionnent, mais ils n'indiquent pas sa situation; seulement l'un des derniers écrivains, l'an 1326, affirme qu'il est situé dans le district de Tzakhoud (Broussailleux). Ce dernier est encore cité par l'historien de la Cilicie; puisqu'il dit que l'empereur Jean-Alexis, l'an 1137 s'empara «d'Anazarbe, de Vahga, d'Amaïk, de Tzakhoud et d'autres châteaux-forts». Ainsi il paraît que Tzakhoud soit à l'ouest d'Aguener; car le même historien pose le village d'Aguener «au pied de Partzerpert», et le Tzakhoud doit être limitrophe, ainsi que Molévon. L'historien Cyriaque dit pour ce couvent qu'il «était limitrophe», et je crois qu'il veut dire vers les frontières du royaume des Arméniens. Sans doute le couvent d'Aguener tirait son nom du village voisin, et tous deux probablement sont ainsi nommés à cause des sources d'eau qui jaillissaient là-bas dans les environs. En arménien aguen signifie source, et même bijoux, pierre précieuse. Notre prévoyant roi Léon I er préférait ce monastère à tous ceux qu'il avait fondés partout dans son royaume et que, selon Cyriaque, il les fournissait abondamment du nécessaire. Aussi notre historien mentionne ce couvent seulement en particulier, en citant son nom, et il dit: «L'un de ces couvents (bâtis par Léon) est le célèbre Aguener [2] : on y suit encore à présent les mêmes règlements que Léon y a établis; les moines observent le jeûne toute la semaine, ils ne le rompent que le samedi et le dimanche, en mangeant du poisson.... Léon aimait beaucoup ce monastère à cause de son bon ordre et des ardentes prières qu'on y faisait». Cette préférence est certifiée par une preuve irréfragable: en effet, Léon voulut être enterré dans ce saint lieu... «Lorsqu'il arriva au village de Mervan [3] il y séjourna quelque peu, car son corps s'affaiblissait par les douleurs. »... A sa pieuse mort «on transporta son cœur et ses entrailles à Aguener et son corps à Sis».

Si ce couvent n'avais pas eu d'autre mérite, cette préférence du roi suffirait pour sa gloire; il avait attiré le cœur du monarque de son vivant, et à sa mort, il devint lieu de repos de son corps, préféré ainsi entre tous les couvents que ce prince avait élevés près des forteresses et dans l'étendue des territoires de son royaume. Ce lieu, ou ses habitants, avaient un charme particulier pour attirer et soulager les cœurs des grands. Car, après Léon, ce fut Héthoum I er, son gendre, aussi magnanime que lui et qui eut un règne long et glorieux, mais à la fin il souffrit la douleur la plus cruelle: car son armée fut défaite, l'un de ses fils tué et l'autre, l'aîné, traîné en esclavage: «Héthoum fut abattu, dit l'historien, par le poids des douleurs qui lui survinrent soudain; il ne put se consoler, ni se donner du courage que lorsqu'il vint au célèbre couvent des moines, à Agantz. Il y passa quelques jours, ranimé et consolé par l'harmonie qui régnait parmi les frères, et sur ces entrefaites le Turc évacua ses terres». Combien étaient profonds et pitoyables les soupirs de Héthoum devant l'urne qui portait le cœur du grand Léon; assurément, selon la pensée de l'écrivain [4] : «seulement Dieu et lui-même connaissaient le feu qui brûlait son cœur». Il paraît qu'un destin mystérieux avait poussé Héthoum près du cœur desséché de son prédécesseur, son beau-père, pour y unir le sien après un dernier battement. Héthoum mourut le 27-8 octobre de l'année 1270, dans le village d'Aguener, mais on ne l'enterra pas : on transporta son corps à Trazarg. Ce roi pieux avait prévenu sa mort, en faisant ses adieux au monde avant cette heure suprême; car il avait renoncé à tout en prenant l'habit religieux, pendant qu'il se trouvait encore orné de la pourpre. Ainsi sous l'humble nom de Macaire, qu'il adopta à son entrée en religion, il cacha celui de Héthoum, dont la renommée par un règne de cinquante ans, l'avait rendu célèbre en Orient et en Occident. C'est ainsi que les derniers restes de ces deux rois célèbres, qui illustrèrent leur pays pendant quatre-vingt-cinq ans, s'unirent ensemble dans une obscure solitude, qui nous reste actuellement inconnue. Aussi d'autres personnes de la noblesse devenues illustres, après eux, restent cachées dans le même lieu et dans le même silence: parmi ces dernières il en est une qui excella; ce fut le maréchal Baudouin, Prince des princes, qui, pour le bien et la paix de son pays, subit le martyre dans les prisons d'Alep. On transporta en 1336, les restes de son corps et on les déposa dans le paisible reposoir du couvent d'Aguener. (163- Fac-simile, tiré du écrit dans le Couvent d'Aguener, e n 13 36 )

On cite, dès le temps de Léon-le-Grand (1215), les églises de ce monastère sous les noms titulaires de Sainte Mère de Dieu et les Saints Apôtres; c'est alors qu'un prêtre, nommé Pierre, frère de Siméon, qui avait copié les discours de Saint Ephrem, mentionne: « Thoros, le pieux, le vénérable et le saint moine, supérieur du couvent d'Agantz». Il l'appelle, trois fois béni, et le monastère très célèbre; d'où nous pouvons présumer que le couvent était fondé depuis quelque temps, car cette même année était la vingthuitième du règne de Léon.

Pendant les dernières années du règne de Héthoum, un littérateur mentionne la découverte de la traduction du discours de Saint Jean Chrysostome (ou de Théophile) sur notre Saint Illuminateur, et il dit: «Sa renommée, comme celle d'un roi couronné, s'était répandue, dans le couvent d'Aguener, devant le bienheureux et saint père Etienne; celui-ci envoya des copistes et ordonna de l'écrire et de le déposer dans le temple de la Sainte Vierge, à la gloire du Saint Illuminateur et en souvenir de son âme».

Un autre mémoire écrit de sa propre main, (1273), parle de son amour pour l'étude; il dit: «Moi, indigne serviteur, Etienne, abbé du couvent d'Agantz, je fis écrire l'histoire de Michel, patriarche des Syriens», etc. Celui qui avait copié le livre, prie le lecteur de dire: «Que Dieu ait pitié de l'abbé Etienne, supérieur de la sainte communauté d'Aguener, et de tous ses trépassés», etc. Nous devons être bien reconnaissants envers Etienne, qui a fait écrire, dans la même année (1273), la biographie de Saint Nersès le Gracieux; l'auteur de cet ouvrage, qui a voulu tenir son nom caché, nous fait savoir que c'était alors la 101 e année de la mort du grand Catholicos.

Dans ce monastère d'Aguener se trouvait, comme membre agrégé, Jean, le Frère du roi: car on mentionne un évangile écrit de ses propres mains, en 1287, dans ce même couvent. Vers la fin du XIII e siècle, l'an 1293, nous trouvons écrit un bref mémoire d'un autre Jean» ainsi: «Le docteur Jean Djelouze, le jour de sa mort, a donné ce livre saint, le Commentaire des Psaumes, au couvent d'Aguener, en souvenir de son âme; que le Christ Dieu lui donne le repos éternel». Ce même docteur a écrit une poésie touchante sur le Saint Illuminateur.

Non seulement alors, mais encore dans la suite, le monastère d'Aguener fut illustré par l'étude des lettres; car Grégoire d'Anazarbe cite en particulier ce couvent dans son épître à Héthoum II (1306), dans laquelle il lui conseille, d'appeler les «savants évêques et les pères d' Aguener, et de leur ordonner qu'ils aillent montrer ce livre dans leur couvent à toutes les personnes pieuses, parfaites et sages».

C'est alors (1307) que dans le concile de Sis sont mentionnés, l'abbé Sarkis d' Aguener et le Docteur Vartan. Quelques années plus tard, (1313), un certain Grégoire, religieux du même couvent écrivait les Hymnes de Saint Ephrem, en ajoutant ce bref mémoire, qui nous est intéressant: «Cette même année nous avons commencé la construction de cette forteresse qui est à Kardizguenotz ». Nous ne savons pas certainement quelle est cette forteresse, mais le plus intéressant est le nom de ce lieu: est-ce une fabrique de papier qu'il veut signifier? car Kardèze en arménien veut dire papier. Le même Grégoire, en copiant, l'an 1325, le Commentaire des Epîtres de Saint Paul par Saint Jean Chrysostome, appelle le monastère, «un couvent très célèbre qui porte le nom Des Apôtres et d' autre nombreux martyrs, et il cite Vartan supérieur du couvent d'Aguener, un vieux docteur éclairé, puis l'abbé Etienne et toute la confraternité; de plus il mentionne les siens, son père Vahram et ses quatre frères. L'année suivante (1326), un autre copiste, celui du livre de prières Nareg, dit Séraphin fils de Nersès, mentionne un autre sanctuaire dans le district de Tzakhoud, en disant: «Dans le célèbre et saint couvent d'Aguener, sous la protection de la Sainte Vierge, de Saint Jacques et d'autres Saints». Dans le même livre, quelque part dans la marge, nous trouvons ces mots: «Et moi la Dame des dames qui mourus en Jésus-Christ, je fis écrire ce livre, à ma mémoire, à celle de ma mère et de mon époux: vous qui lisez, daignez en vous souvenir dans les prières de la messe».

Cette Dame des dames paraît être Mariune, mère du roi Constant, qui mourut l'an 1352; en effet il lui convenait de ne pas s'éloigner du tombeau de son mari, le maréchal Baudouin. Le prêtre Séraphin est mentionné l'an 1329 par le copiste Grégoire, qui en écrivant le commentaire de l'évangile de Saint Mathieu, fait par Saint Chrysostome, prie de se souvenir de «toute la confraternité d'Aguener, demeure des anges; de nos pères spirituels, du vieux docteur Vartan et des vénérés Pères Etienne, Grégoire, Constantin et Thoros. Tous ensemble après nous avoir fait tant de grâces, ils remplirent le désir de mon cœur en m'accordant l'exemplaire que j'ai copié.... Digne de mémoire est encore le prêtre Vartan, qui l'avait copié étant accablé par des souffrances, et ayant à côté trois autres exemplaires, et ainsi il nous a facilité la tâche que nous nous étions proposée». Il cite beaucoup d'autres pères, parmi lesquels le prêtre Jean et son frère le diacre Mardiros qui relia le livre, les pères spirituels, le moine Grégoire et le prêtre Mardiros qui étaient neveux du prêtre Samuel qui a été martyrisé; il dit d'avoir obtenu d'eux beaucoup de grâces dès son enfance, et surtout à présent pendant qu'ils lui donnèrent leur maison il se repose sous leur encouragement. Il y ajoute encore le prêtre Etienne, le cellerier Basile, le prêtre Garabiet qui orna le livre de fleurs. Dix années après ce dernier mémoire nous trouvons dans l'Histoire des conciles, Jean comme supérieur d'Aguener, qui y fut présent avec d'autres, pendant le patriarcat de Mekhitar. Après ces faits, Aguener, aussi comme tant d'autres illustres couvents, reste caché, et disparaît avec toutes ses disciplines et ses productions littéraires, avec les bénéfices et le cœur de Léon le magnifique, et les ardents soupirs de Héthoum [5] .

Il paraît que non loin des églises de ce grand couvent, il y avait un sanctuaire dédié aux Martyrs, et en particulier à Saint Thoros dit du vallon, selon le même prêtre Grégoire, qui copiait dans ce lieu l'an 1329, le livre du Commentaire de Saint Mathieu, que nous avons maintenant dans les mains, et dont voici la date à laquelle il a été écrit: «Ce livre fut écrit, (selon l'ère arménienne) l'an 778 (1329), durant le règne de Léon (IV), le Théophile, fils d'Ochine, et durant le patriarcat de Jacques, sous la protection du magnifique sanctuaire appelé St. Thoros du vallon, à la gloire de Jésus-Christ, notre Dieu, qui est béni dans toute l'éternité. Ainsi soit-il. Que Jésus-Christ ait pitié du prêtre Garabiet qui a orné les marges de ce livre, et de tous ses parents». (16 5 - Fac-simile, du mémoire du Commentaire de Saint Mathieu )

Ce sanctuaire n'était pas seulement une église isolée, mais encore il y avait un couvent, car Thoros, son supérieur, est cité dans le concile de Sis l'année 1307. On lui attribuait le nom de Philosophe qui à cette époque signifiait un brave musicien, étant très versé dans l'art de la musique. Plusieurs autres, portant le même nom (Thoros), sont cités comme braves dans cette branche d'étude. Nous trouvons, dans un mémoire de l'an 1334, mentionné ce couvent du vallon sans le nom du Saint; ainsi qu'un autre couvent du nom de la Sainte Croix.

Nous trouvons encore les noms d'autres églises, de la Sainte Vierge et de Sainte Sion. Pendant la seconde moitié du XIII e siècle, avant les personnages que nous avons cités, se présente le nom de Jean, prêtre du monastère du Vallon; un autre prêtre Etienne, copiait dans le même couvent, les exhortations de Saint Jean Chrysostome, écrites pour le Catholicos Jacques I er (1268-86).


[1] Voici la traduction du texte contenu dans ce fac-simile: «En 774 de l'ère arménienne (1325), durant le règne de Léon (IV), roi des Arméniens et fils du roi Ochine; et sous le catholicosat de Constantin de Lambroun, fut écrit cet Hymnaire, au vallon de l'ermitage Khorine, dans le couvent de Perdjère, sous la protection de Sainte Sion et de la Sainte Croix du Christ; par Constant, prêtre de nom et d'habit seulement: sur la demande du pieux et chaste vieillard, le prêtre Thoukhan, pour l'usage de son jeune neveu, Paul. Or, je prie tous, pour 1'amour de Jésus-Christ, de vous souvenir en Jésus-Christ du susdit bon vieillard, le religieux Thoukhan, et de sa pieuse sœur Thang (la Précieuse), et de ses parents, morts en Jésus-Christ, de son père Antzrev (Pluie), et de sa mère, et de toute sa famille.... Souvenez-vous aussi de son autre neveu, le doux et affable Cyriaque, et de moi Constant, misérable esclave et copiste de ceci; et soyez indulgents envers moi; car ma capacité ne me permettait pas de faire davantage: je l'ai copié d'un excellent exemplaire».

[2] L'écrivain Vahram dit le même: il fonda la célèbre communauté qui est appelée du nom d'Aguener.

[3] Ce village de Mervan ne devait pas être très loin du couvent; peut-être c'est le même que celui de Mavrian, cité à la page 148, comme patrie du Catholicos Constantin I er. Les Byzantins l'appellent aussi château de Mavrianon et le disent situé près de la forteresse de Loulou. L'empereur Nicephore  le traversa dans son incursion vers Adana.

[4] L'historien l'abbé Malachie.

[5] Dans le Catalogue des manuscrits d'Etchmiadzine sont mentionnés d'autres livres écrits à Aguener, parmi lesquels l'Histoire d'Agathange N. ° 1614