Sisouan ou lArméno-Cilicie

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  Les plaines et les hauts plateaux de la Cilicie sont très fertiles et couverts de pâturages. Les habitants du pays, y construisent leurs demeures et les parcourent pendant plusieurs mois pour y faire paître leurs troupeaux. Des premiers jours de mars, la plaine commence à se couvrir de verdure; au mois d'avril les pâtres partent pour la montagne; ils séjournent sur les premières hauteurs jusqu'à la moitié de juin, puis ils montent dans les régions moyennes de 7000 à 8000 pieds; ils poussent quelquefois plus haut encore, au mois de juillet, avec les animaux sans lait. Les bergers sont accompagnés de leurs gros chiens qui soutiennent des combats avec les ours et les onagres et portent les provisions. Au mois d'août ils commencent à redescendre et conduisent leurs troupeaux aux alentours des villages, ils s'arrêtent jusqu'au mois d'octobre, puis se retirent vers les bords de la mer, le climat beaucoup plus doux, leur offre d'abondants pâturages durant l'hiver. Ces pâtres retirent un grand profit du lait et du beurre de leurs animaux, et beaucoup de laine des brebis et des boucs qui sont très nombreux.

Parmi les animaux utiles le Docteur Thomas cite: le Chevreuil, le Bélier sauvage, la Gazelle, le Buffle: au dire des explorateurs contempo­rains, il ne mentionne que les meilleurs. Le bouc sauvage, Capra aegagras, est aussi très répandu dans les montagnes de la Cilicie, il a une longueur de six pieds, court fort vite et il est très difficile à chasser; sa tête très grosse est ornée de deux cornes recourbées aux extrémités; sa queue et sa barbe sont semblables à celles des chèvres ordinaires; la couleur de sa peau et de son poil est grise ou brun-claire.

Le Daim, (Cervus Dama), dans les montagnes et la Gazelle dans la plaine se rencontrent en grand nombre [1] . On ne pourrait pas en dire autant du chevreuil [2] . Je ne puis pas l'affirmer, mais je crois que le bouc sauvage est un animal propre à ces lieux. Le zoologue Brandt après l'avoir bien examiné le classa entre le Mouflon (Ovis Musimon), et le Mouflon à manchettes, (Ovis Tragelaphus) et voulut l'appeler Ovis Anatolica. Ce que cet animal a de caractéristique, c'est l'applatissement de son front, beaucoup plus prononcé que celui du daim et de la gazelle, et la contiguité de ses cornes dont les racines sont presque jointes dans le crâne.

Pline le grand naturaliste ancien, parle des biches de la Cilicie, dans un passage notable (VIII 50). Il affirme que ces quadrupèdes passent à la nage toute l'étendue de la mer qui sépare la Cilicie de l'île de Chypre, chacun appuyant le mufle sur la croupe de celui qui le précède; et que l'odorat leur suffit pour reconnaître qu'ils s'approchent de l'île.

Le Docteur Thomas ne compte pas les aumailles avec les animaux domestiques, quoiqu'ils soient excellents et bons lactifères. Ils sont de petite taille et d'un extérieur peu élégant, mais leur chair est exquise à cause de l'herbe grasse dont ils se repaissent. Les boucs et les béliers sont grands et fournissent une bonne laine; ces derniers ont la queue grosse donc on extrait une graisse utilisée pour la cuisine et qui remplace quelquefois le beurre. Actuellement cette espèce de bélier est appelée Karaman, du nom du lieu on le trouve le plus. La laine du Karaman est précieuse et son commerce annuel monte jusqu'à 1000 quintaux; les deux tiers de cette laine sont noirs, le reste est blanc. On en fabrique un tissu fin; mais on n'épure pas complètement la laine; car si on lui fait subir toutes les opérations du lavage, elle diminue de 40%; aussi les habitants ont garde de la faire.

Outre les habits qu'on confectionne, les Turcs utilisent la laine pour tisser le drap célèbre connu sous le nom de Karaman, étoffe garnie de matières végétales, dont ils font divers ornements. C'est pour ce drap qu'un Grec a été récompensé et diplômé à l'exposition universelle de Vienne [3] . (Page 22.  Bélier de Karamanie)

Parmi les biches un voyageur cite encore la Biche musquée dans les hautes montagnes du Taurus. De longues cornes de quatre pieds, sans rameaux mais garnies de moulures à leurs racines ornent sa tête; sa peau est fine et bonne, elle est classifiée avec les biches au ventre musqué, que notre historien Moïse de Khorène cite dans le sud de la Grande Arménie. On a trouvé, dans le genre du chevreuil, la Capra ibex [4] . Nous pourrions faire rentrer dans le même genre les chèvres à couleur noire, très renommées dans l'antiquité. Le commerce de leur laine était d'un grand rapport. Sous le règne des derniers rois arméniens, le tissu de ce poil était souvent acheté par les Italiens qui l'appelaient Zanibelloto ou Ciambellotti.

L'agent des marchands de Florence nous informe qu'à la moitié du XIV siècle, la laine et le tissu de poils se vendaient au poids du rouleau qui pesait 15 occas. Il paraît que l'exportation des chèvres était défendue à cause de l'excellence des tissus; en effet la chèvre n'est jamais mentionnée, ni dans les donations que faisaient nos rois aux Italiens, ni dans le payement des taxes ou impôts que devaient débourser les armateurs et les commerçants [5] .

Dans le moyen âge l'étoffe de poils de chèvre était la meilleure par sa finesse, et dans l'antiquité, ce cachemire était célèbre par sa qualité forte et par son épaisseur; mais il est probable qu'on la tissait avec le poil d'une autre espèce de quadrupède; c'est cette étoffe qui aurait donné son nom au cilice des moines latins ou occidentaux (cilicium). Pline rappelle seulement qu'on achetait les poils des chèvres sans en mentionner l'usage (XIII. 76).

Pour le cens du mouton, on payait au trésor royal quatre sous; pour le gros bétail, cinq piastres; pour la peau, six sous; de même pour la peau du buffle. Le Docteur Thomas classe cet animal parmi les animaux utiles et on voit souvent dans les lacs et les marécages de Tarsus et d'Adana quantité de buffles qui pataugent et se vautrent dans les eaux.

Jusqu'à présent le commerce des peaux de buffle et d'autres animaux sauvages a toujours été d'une grande importance pour le pays. Dans l'antiquité les cuirs brunis et tannés de Messis étaient très célèbres: on les appelait Messissié [6] .

Parmi les bestiaux que Thoros II donna en cadeau à l'empereur Manuel et à ses soldats, l'historien cite des moutons, des buffles, des aumailles, des sangliers et de très bons chevaux. Ces derniers, animaux superbes, ne sont pas nommés par le Docteur Thomas; peut-être à cause de leur rareté. D'un autre côté on vendait des chevaux à l'étranger; cela est prouvé par la concession de Léon II, et par la grandeur de la taxe qu'on payait; pour le cheval et le mulet c'était quatre besans [7] et pour l'âne cinq monnaies nouvelles. Nous avons un autre témoignage de l'excellence et en même temps de la rareté de ces animaux dans le contrat que fit le roi avec le sultan d'Egypte l'année 1288, contrat par lequel le roi s'engageait à lui payer 25 chevaux châtrés et 25 des meilleurs mulets.

Les régistres de la cavalerie nous fournissent un témoignage incontestable de l'excellence des chevaux et des soins qu'on leur prodiguait: le roi Héthoum I er avait assemblé 12000 chevaux, et avait fait traduire en arménien un livre arabe qui enseignait l'art du maréchal-ferrant.

Notre Docteur cite l'Ours et le Léopard, au nombre des animaux féroces; nos contempo­rains [8] ajoutent la Panthère [9] , dont la peau servait à faire des selles pour les grands dignitaires de Constantinople. Tchihatcheff pré­su­­me qu'on pourrait trouver des Lions dans les montagnes d'Amanus [10] ; souvent on voit des Lynx aux oreilles noires, des Hyènes, des Renards grands ou petits, gris ou noirs, et beaucoup de Blaireaux et de Chiens-loups. Ce dernier a été cité comme un animal étrange par le voyageur français Belon au XVI siècle [11] . Les Sangliers, les Chats sauvages, les Hérissons et d'autres insectivores se rencontrent aussi fréquemment. Nous ne devons pas passer sous silence les Chien de bergers fort et robuste et les chiens de garde de couleur jaune-fauve.

Le gibier est très abondant; Thomas a cité seulement la biche et la gazelle. Un naturaliste moderne affirme avoir trouvé, dans les forêts qui bordent le Pyramus, deux espèces de gazelle et une nouvelle espèce de Cerf. Les biches et les gazelles parcourent ensemble les plaines couvertes de caroubiers et de buissons; la chair de ces animaux est exquise. Dans une page de l'histoire de la Cilicie il est dit que le prince Thoros II avec son frère Meleh, allait à la chasse des bêtes féroces entre les villes de Messis et d'Adana.

L'ordre volatile est aussi fort abondant, le Docteur Thomas ne mentionne que le Francolin, le Perdrix aux pieds rouges, l'Outarde, la Cicogne et la Caille: il cite encore le Paon, mais on n'en voit plus maintenant. Quant aux autres animaux nous n'en trouvons que des noms, sans aucune classification dans d'autres auteurs; mais tous les disent en grande abondance. L'outarde arrive quelquefois dans la plaine en telle quantité que le ciel en est couvert comme par un nuage épais; le même fait se renouvelle pour un autre petit oiseau dont nous ne connaissons pas le genre. Le francolin et la caille abondent aussi partout; et, dans les forêts, le sauvage et gras Coq de bruyère. Jusqu'à présent on a trouvé le Faisan mais pas le Paon. Ce faisan, cité par le Docteur Thomas, semble être propre à ce pays.

Parmi les petits oiseaux, les Tourterelles sont si abondantes que Mr. Barker affirme qu'on pourrait en attraper une centaine par jour; il y a encore beaucoup de Merles et d'autres passereaux. Une ancienne tradition raconte que Roupin, qui s'empara de Parzerpert et y fonda le royaume des Arméniens était bon chasseur d'oiseaux et de perdrix.

De même que les oiseaux terrestres les oiseaux aquatiques sont très abondants. Au nombre des oiseaux sauvages, nous connaissons le Hibou, l'Aigle, le Vautour commun, le vautour noir d'Egypte, (Perinopterus) et le vautour au cou dénudé, plus grand que le vautour rapace des Alpes (Lammergeyer). Il y a encore beaucoup de Corneilles, de Pics de diverses espèces, de Faucons, parmi lesquelles le Chasse-oiseaux, utilisé par les riches du pays pour chasser les petits oiseaux.

N'oublions pas ce qui a été rapporté par les historiens païens, au sujet des oiseaux séleucites tuant les sauterelles. Les anciens disent qu'en Séleucie il y avait un temple dédié à Apollon Sarpédonien, (Apollo Sarpedonium), on rassemblait les oiseaux utiles pour détruire les insectes qui dévastaient les champs; mais à présent, ces oiseaux semblent avoir disparu avec leurs dieux; car, après la destruction du royaume des Arméniens, pendant le fléau des sauterelles, le roi de Chypre envoya des religieux arméniens, prendre au couvent de Saint Jacques du mont Massis, l'eau bénite qui a la vertu de chasser ces insectes. Il se trouve encore des Loutres et des Tortues, des reptiles; mais les amphibies ne sont pas si nombreux. Le Serpent noir surtout, appelé Aspic, se rencontre souvent dans la plaine.

Le Sarus et le Cydnus abondent en poissons communs: on en trouve d'autres espèces dans le fleuve Oronte des Syriens. Dans le Cydnus les poissons rouges sont en grande quantité. Le chanoine Willebrand raconte que près de la source d'un fleuve aux environs d'Anazarbe, on trouve des poissons en abondance durant les trois jours qui précèdent et qui suivent le dimanche des Rameaux. Pendant ces sept jours le peuple les pêche et les sèche en quantité. On voulut régler d'après ce phénomène le jour de Pâques: d'abord les Arméniens et les Latins ne furent pas d'accord; mais enfin le roi et son peuple consentirent à fêter les Pâques huit jours après ce fait; on affirmait que c'était un miracle de Saint Jean-Baptiste.

Il est incontestable que les insectes et les papillons sont nombreux, mais on ne les a pas bien examinés jusqu'à ce jour: durant le printemps on en trouve un grand nombre, mais pendant l'été ils diminuent. En collectionnant un petit nombre de ces insectes, M. Stocky a trouvé beaucoup d'espèces nouvelles, en moyenne 25%; ils les avait prises dans les vallées et dans les montagnes. Nous pourrions rappeler de l'ordre des hémiptères, deux espèces nouvelles de Cigales, qui durant le mois d'août remplissent l'air de leur bruit agaçant et monotone. Cet insecte a ses pattes antérieures transformées en ailes, elles sont d'une couleur jaune-clair et striées de raies noires; une autre espèce a les pattes semblables à des plumes. Sur les bords de la mer de Cilicie entre Mécarsus et Ayas, le capitaine anglais Beaufort a trouvé beaucoup de ces animaux et les a dessinés, il a cru reconnaître la Panarpa Coa des naturalistes, laquelle a été découverte pour la première fois dans Co île de l'Archipel. (Page 24.  Panarpa Coa)


[1]          Tchihatcheff, II, 760-1.

[2]          Barker, 346.

[3]          D. E. Davis, 151.

[4]          Barker, 380.

[5]          Dans l'édit de Léon II aux Génois, en 1233.

[6]          Abulféda.

[7]          Dans le texte arménien, au lieu du nom de cette monnaie, on a mis  le signe. 0. La version latine dit Bissancios Stauratos, IV. On parlera plus bas des monnaies arméniennes.

[8]          Tchihatcheff, II, 612.

[9]          Barker, 376. Tchihatcheff, II, 613.

[10]         Tchihatcheff, II. 603.

[11]         «Il y a une espèce de petits loups par la Cilicie et aussi généralement par toute l'Asie, qui emporte tout ce qu'il peut trouver des hardes de ceux qui dorment l'esté hor du Carabacara (Kervan-séray) C'est une beste entre loup et chien... Il ne va jamais seul, mais en compagnie, jusques à estre quelquefois 200 en sa trouppe, tellement qu'il n'y a rien plus fréquent par Cilicie: pourquoi allant en compagnie font un cry l'un après l'autre comme un chien quand il dit hau hau ». Belon, Les Observations, etc.