Sisouan ou lArméno-Cilicie

Հեղինակ

Բաժին

Թեմա

  La hauteur du fleuve au-dessus du niveau de la mer est de 3, 500 à 4, 000 pieds en cet endroit. Ce qui contribue surtout à rendre le passage si étroit, ce sont les amas de pierres et de blocs de rochers entre le fleuve et les monticules qui le bordent, dont le principal, le Gulek-tépé, au nord de la Porte, est haut de 5, 000 pieds; sur un autre rocher à pic, d'une égale hauteur à peu près, mais du côté de l'ouest, s'élève, depuis des temps immémoriaux, la célèbre Forteresse de la Porte. Les Turcs appellent Gulek-kalé le château-fort, et Gulek-boghaze le passage, que nous nommons Passage de Gouglag, et Forteresse des Portes. De la forteresse jusqu'au bord du fleuve propre de la Cilicie, vers l'est, l'espace libre est un peu plus d'un kilomètre; mais à partir du pied du mont rocheux qui porte la forteresse, le passage qui forme alors la véritable porte de Cilicie, va en se retrécissant de plus en plus jusqu'à ne compter que 8 ou 10 mètres de largeur, laissant à peine un passage pour le fleuve; de sorte que pour passer on est obligé d'escalader les rochers de l'ouest. C'est peut-être à cause de cette étroitesse et des difficultés qui en résultent, qu'un historien des Croisades a donné à ces lieux le nom de Porte de Judas [1]. Quoi qu'il en soit, de la possession et de la sauvegarde de ce petit coin de terre ont dépendu durant des siècles, la fortune et la tranquillité de tant de peuples, parmi lesquels la nation arménienne joua aussi son rôle important.

La longueur de tout le défilé est évaluée à 75 milles environ. Des frontières de l'Iconie il se dirige vers le sud jusqu'à Mézarlik-khan, considéré comme l'ancien Mopsucrène, à l'entrée de la plaine d'Adana. Cependant la plupart des auteurs anciens et modernes n'attribuent au défilé des Portes qu'une longueur de 40 milles, parce qu'ils ne considèrent que l'espace compris entre le bourg de Mézarlik-khan et Podande. Pendant la domination romaine, et plus tard sous celle des Byzantins, ces deux places déterminaient la frontière des provinces de l' Arménie (la Seconde Cappadoce) et de la Cilicie. Mopsucrène, actuellement Mézarlik, est à une distance de 8 milles au sud-ouest de la Porte, et 18 milles au nord-ouest de Tarse. Autrefois, c'était une petite ville assez importante par sa position. Ce qui la rendit célèbre, ce fut la mort de l'empereur Constance II, l'an 361. C'est à partir de cette localité que le chemin commence à monter; il s'engage peu à peu dans les bois de cèdres et est bordé d'une végétation sous-alpine. Le prêtre anglican Davis, qui fit, l'an 1875, une excursion depuis Adana jusqu'à la Forteresse de Gouglag, en allant d'abord de l'est à l'ouest, puis au nord, mentionne, dans l'ordre suivant, quelques-uns des villages et des bourgs qu'il a rencontrés sur sa route [2] . Il passa d'abord au village de Zeitine dont il trouva les habitants attaqués par la fièvre; de , à Kazïk-bache, village formé par quelques pauvres cabanes construites avec de la terre ou de l'argile. Il évalua à deux heures de marche la distance de ce lieu à Tarse; les environs du village lui parurent assez bien cultivés et verdoyants, A partir de cet endroit, il s'engagea dans les défilés des montagnes, traversa plusieurs cimetières et arriva à Mélémendji. Un peu plus loin se trouve une halte d'où l'on jouit d'une fort belle vue, nommée Yarameze-Cheshmé. Cette station est très fréquentée par les voyageurs à cause de la source dont elle a pris le nom. C'est par que passent presque toutes les caravanes des marchands; bien que le terrain soit très accidenté et montueux, on y voit cependant des champs de blé. Notre voyageur, en continuant sa route, remarqua à une demi-heure du chemin une vieille forteresse appelée Dorak (?), et d'autres ruines moins importantes. Le chemin, en côtoyant une petite rivière bordée d'oléandres, conduisait au passage rocailleux de Gouglag, dont la première station est Gueuslug-khan. C'est que notre voyageur passa sa seconde nuit, (le 2 Juin). Il arriva ensuite après un trajet de deux heures au milieu des montagnes, à Tchatal-tschéchemé. Cette dernière localité possède deux sources les caravanes abreuvent leurs chameaux; et à une heure et demie au delà, il mentionne encore la station de Sari-machik-khan et une source. En cet endroit un Grec avait ouvert une auberge et il y cultivait un peu de tabac. C'est à partir de ces lieux que commence le plus étroit des défilés.

A un kilomètre au sud de la forteresse de Gouglag, s'élève une colline rocheuse d'une hauteur de 4, 000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Elle est appelée Anananli-tépéssi, et elle est couronnée par d'anciennes fortifications en ruines. Entre cette colline et la forteresse, le terrain est recouvert de vignes et de jardins fleuris. Au milieu de ces jardins, se trouve le village de Tchoukour-bagh (Vigne creuse), composé de trente à quarante familles turques. Kotschy y séjourna quelques temps; plus tard vint le naturaliste Haberhaver, son compatriote, pour y recueillir des insectes et des papillons. Ce village set considéré comme une partie de celui de Gulek, qui se trouve vis-à-vis, à l'ouest, au bord du Manouchag, et porte le nom de Kalé-kueuy, à cause de son voisinage de la forteresse. Gulek est habité par les Arméniens, par quelques Grecs et par les Turcomans. Il y a environ une centaine de maisons; elles sont toutes construites sur la pente de la montagne; à l'extrémité du village s'élèvent l'église des Arméniens et la mosquée des Turcs; ils vivent ensemble en assez bonne harmonie, au dire des voyageurs. Au reste, une partie des Arméniens, aurait, dit-on, apostasié, il y a un siècle et demi, et aurait embrassé la religion musulmane, pour échapper aux persécutions d'un pacha, nommé Hassan. Le seigneur de la place était alors Mélémendji-oghlou. La rue du marché, nommée Gulek-bazar, est regardée comme un quartier à part; c'est une espèce de faubourg formé par des magasins, qui, au nombre d'une vingtaine de chaque côté, bordent la rue pavée, large de 7 mètres et longue de 200. Cette rue est presque entièrement couverte par les corniches des toits qui font saillie; les passants sont ainsi à l'abri de la pluie. Les boutiques des artisans ordinaires sont au rez-de-chaussée; les cafés, les pharmacies, les magasins d'orfévrerie se trouvent au premier étage. Le marché est très fréquenté, car ce village est le principal centre de la Cilicie Thrachée, et le lieu d'arrêt des caravanes, soit à l'aller soit au retour. Les habitants sont actifs et industrieux; les Turcomans sont pour la plupart bergers ou vignerons. Autant que le permet le terrain rocailleux, tous les lieux labourables sont couverts de vignes et de plantations; le reste du terrain est garni de térébinthes, de styrax et de platanes; un peu plus haut que le village, commencent les forêts de pins, de chênes, de sapins et d'autres espèces semblables. Au nord de la place du marché, au bas de la colline, jaillit une source d'eau froide et agréable au goût. La fraîcheur de cette eau et de celle de deux petites rivières qui coulent dans le voisinage, assainissent et rafraîchissent l'air de cet endroit et en font un séjour des plus agréables de la Cilicie. On a à l'ouest du village, construit un pont sur le fleuve Manouchag, qui relie le village à la route de Kantzé qui mène au pont du Cydnus (Djéhennem-déréssi) et aboutit à Lambroun et à Tarse.

Un géographe turc dit que, l'an 1522 un vizir du nom de Méhémmed, fit construire un caravansérail près de la forteresse de Gouglag; je crois qu'il devait se trouver dans ce village. C'est en effet à un demi-kilomètre au nord-est de cette localité, que se dresse le rocher qui porte à son sommet la plus fameuse des forteresses qui défendent les Portes de la Cilicie, le célèbre château de Gouglag, ainsi qu'on l'appelait au temps des Arméniens. Les flancs de la colline rocheuse étant couverts de cèdres, l'aspect du château n'en est que plus altier; il surplombe les passages étroits d'une hauteur de 1, 500 pieds et commande à l'entrée des Portes. La colline est formée par des roches calcaires, disposées par couches vers le sommet, mais mélangées à la base. On y trouve une quantité de coquilles pétrifiées univalves ou bivalves, surtout de la famille des Echinites; il y a aussi diverses espèces de coraux. C'est vers l'ouest qu'on en trouve le plus, surtout sur le susdit Anananli-tépé. On rencontre aussi beaucoup d'ossements pétrifiés dans les rochers.

L'espace compris entre la colline rocheuse et les Portes est très escarpé, rude et rocailleux; il est recouvert de grands blocs de rochers, entassés pêle-mêle. Le chemin qui est maintenant au fond du vallon, se trouvait autrefois à 3 ou 4 pieds plus haut. L'endroit le plus étroit a tout au plus 7 ou 8 mètres de large et une longueur de 85 pas; à cet endroit des rochers de 5 à 6 mètres de hauteur forment une muraille naturelle des deux côtés. Le côté ouest du défilé est bordé par un plateau couvert de pierres, qui est à une hauteur de 300 pieds; le côté est, tout couvert de blocs de rochers et de pierres, est impraticable. Dans cet espace resserré souffle toujours un vent frais. Les deux pics les plus élevés qui bordent ce passage étroit, ont environ 700 pieds de hauteur. Sur la paroi du rocher de l'ouest on voit encore les restes en bas-relief d'un ancien autel sculpté dans le roc. On y découvre aussi les traces de deux inscriptions mais tout à fait illisibles; quelques-uns ont voulu y voir des caractères grecs, d'autres des lettres cunéiformes, d'autres enfin, parmi lesquels V. Langlois et Davis, ont cru y reconnaître des lettres latines et y déchiffrer le nom de l'empereur Adrien. Ils ont également cru retrouver le portrait de cet empereur dans la figure humaine sculptée sur l'autel. On y voit également les débris d'une colonne, que Davis a considérée comme un signal de mesure itinéraire.

La forteresse de Gouglag est à présent presque entièrement ruinée, Quelques pans de murs et des tours démantelées, voilà tout ce qui reste de ce château fameux, qui a vu le passage de tant de nations et qui a subi tant de dominations différentes, parmi lesquelles celle des Arméniens fut remarquable. Comme on peut le voir sur la vignette, cette forteresse est longue et carrée, les bâtiments se dirigent de l'ouest à l'est. Du côté de l'ouest et du sud, il y a encore des restes de tours rondes. Au centre de l'enceinte fortifiée on voit les ruines de plusieurs maisons qui formaient un petit village, habité encore au commencement de ce siècle par quelques familles turcomanes. Il y a aussi deux citernes creusées dans le roc, des caves, et une cour ornée d'une colonnade. (132 - Plan de la Forteresse de Gouglag )

Quant aux constructions fortifiées, c'est à peine s'il en reste quelques indices. L'arc de voûte de la grande porte est encore debout. On y arrive par une soixantaine d'escaliers gigantesques, taillés dans le roc, et dont les marches, longues et basses, ont environ un pied et demi de large. De nos jours ces escaliers sont battus par un torrent qui s'y précipite d'une hauteur de 3 1/2 mètres. L'entrée de la forteresse est ombragée par deux noyers séculaires. Près de ces arbres, disent les habitants, il y avait une église transformée plus tard en mosquée, et qui devait exister encore il y a un siècle; mais on n'en voit pas le moindre vestige à présent. Les murailles de l'ouest, les mieux conservées, dénotent une construction assez grossière; la partie supérieure est construite en pierres polies d'une belle forme. Le château proprement dit mesurait 300 pas en longueur, et 100 dans sa partie la plus large. Sa circonférence est de 1000 pas. Du côté du nord-ouest tout est absolument ruiné; vers le centre, on trouve encore quelques bastions à demi ruinés. Le donjon se trouve à l'ouest sur un avancement à pic du rocher. L'intérieur en est complètement ruiné; on y voit les traces d'incendie.

Les rochers du nord-est semblent avoir été garnis de remparts, et la forteresse devait être aussi inabordable de ce côté. Il y a sur ce versant de la colline une fontaine et quelques pâturages. Du côté du nord, le rocher est creusé de cavernes, de citernes, et de caves, peut-être de magasins; le plus grand a deux rangs de colonnes et un vestibule. Les habitants du lieu appellent cette grotte artificielle «le marché», mais plus probablement ce n'était qu'une citerne. Le côté sud-est, surplombe un précipice de 1, 500 pieds de profondeur. Ce n'est donc que du côté de l'ouest que la forteresse est accessible, et comme elle couronne une sommité isolée, à mi-hauteur des montagnes des alentours, elle était tout à fait imprenable avant l'invention des canons.

A un quart d'heure de chemin au nord des Portes, on trouve la douane et la poste. A une demie heure de , en face, au pied de la colline qui porte le château, vers l'ouest, se trouvent les mines de Gulek-madén; c'est que l'on raffinait le plomb argentifère, apporté des mines du mont Boulghar-madén. On a coupé le rocher du côté du nord pour livrer un passage aux ouvriers des mines. On a aussi ouvert, du côté du sud-est, un chemin qui conduit à Lambroun. Les principales stations qui bordent cette route sont: Kétchin(?) à proximité des mines; In-kueuy à un demi-kilomètre à l'est; de , le chemin se dirige vers le sud, passe à Eféler, village à 3 kilomètres d'In-kueuy; il est habité par des Tur-comans qui ont pour principale industrie la fabrication de vases en bois. A trois kilomètres environ, plus en aval, on trouve un moulin à eau, et, en continuant d'avancer, dans la direction du sud-ouest, on arrive au bout d'environ trois quarts d'heure à Bochelar, puis à Télchén; la distance de ces deux localités est d'un mille. De Télchén à Lambroun, il n'y a plus que 4 kilomètres.

Voilà tout ce que nous connaissons aujour-d'hui des lieux qui avoisinent la célèbre forteresse de Gouglag et le passage renommé des Portes de la Cilicie, l'un des plus parfaits qui existent au point de vue stratégique. C'est probablement par ces défilés que passèrent les grandes armées des Assyriens et des Egyptiens, et après eux des Perses. Le premier des passages que nous connaissons est celui de l'armée de Cyrus le Jeune, lors de sa révolte contre son frère Artaxersès II. (400 avant J. C. ). Xénophon, son allié et chef des Dix-mille, a rendu plus célèbre encore ce défilé en le citant dans son Anabase. Mais à cette époque ce lieu n'était qu'un simple passage resseré, il n'était pas fortifié; les mots « τ α̉ ά̉ χρα » employés par l'historien, semblent n'indiquer qu'un simple défilé entre les montagnes, et comme le remarque Ritter, il ne se sert pas du mot Πυ ̀ λας expression employée plus loin pour désigner les Portes Syriennes.

Lorsque Cyrus arriva dans cette région, après avoir traversé l'Iconie, Syennesis, roi de Cilicie, occupait le sommet des montagnes; mais à l'approche de Cyrus, il abandonna sa position et se retira dans les montagnes des Portes Syriennes, qu'il abandonna également plus tard.

Un fait à remarquer, c'est qu'à l'époque de cette guerre, la femme de Syennesis, la princesse Epiache ou Epiaxa, se trouvait auprès de Cyrus; celui-ci l'envoya par un chemin plus court d'Iconium à Tarse. Ceci prouve que le passage de l'ouest entre Héraclée et Soli, dans les montagnes Boulghars, était déjà connu alors. On croit généralement qu'une partie de l'armée d'Alexandre a passé par ce dernier défilé; mais le héros macédonien avec le gros de son armée, passa par celui de Gouglag dont il délogea les Perses, commandés par Arzanès. Ceux-ci auraient pourtant pu résister facilement aux Grecs, et dans un passage si étroit, une poignée d'hommes résolus auraient pu sauver la fortune de Darius, ou du moins retarder sa chute.

Au temps de la domination romaine, vers la fin du deuxième siècle, les Portes Ciliciennes servirent de refuge à l'un des usurpateurs du trône, Pescenius Niger. Celui-ci fortifia ces lieux afin de résister aux troupes de Septime Sévère; mais ses travaux de fortification furent ruinés par la violence des torrents, et ses soldats défaits par ceux de son adversaire qui était de beaucoup le plus fort.

Dans notre siècle encore d'importantes fortifications furent élevées dans ces lieux, durant les années 1839 et 1840, pendant l'insurrection de Méhémmed-Ali, gouverneur d'Egypte, contre la Porte. Ibrahim Pacha, après avoir défait les troupes turques, fit commencer les travaux de fortifications. Par des éboulements artificiels, il ferma plusieurs défilés; puis, ne pouvant construire ses fortifications dans le défilé des Portes, (car le retrécissement de ces lieux ne lui eût pas permis de déployer ses troupes comme il l'entendait et eût rendu le feu de son artillerie trop plongeant), il fit construire des bastions à une demie-heure plus au nord, près du village de Tékir [3] , à une altitude de 3, 000 pieds environ au-dessus du niveau de la mer. Il confia la direction des travaux à un ingénieur polonais, le colonel Schultz, appelé par les Turcs Yousouph-agha.

La ligne des retranchements s'étend sur une longueur de plus de deux milles; elle va du sud-est au nord-ouest. A l'extrémité sud une tour, dans une position très élevée, devait servir de poste d'observation. Ibrahim fit aussi établir sur la cime d'une colline une route bordée de fortifications, qui fut nommée Tabia. Entre la tour et cette route il fit élever diverses constructions militaires, des tranchées, des blockhaus et des bastions. Il munit la place de 120 pièces d'artillerie de divers calibres. Il rendit ainsi ce passage aussi redoutable que son armée, et confirma le dicton des Turcs:

Celui qui ne craint pas le Boghaze

Ne craint pas Dieu.

Mais tous ces travaux furent inutiles pour celui qui les avait fait élever. On sait comment les puissances européennes intervinrent et obligèrent les Egyptiens à renoncer à leur campagne (1840). Ibrahim se retira; il fit enlever une partie des canons que l'on avait eu tant de peine à monter au milieu de ces rochers et il abandonna le reste qui fut transporté par les Turcs.

Lorsque la guerre éclata entre les Russes et les Turcs, en 1853, ceux-ci ruinèrent le plus possible ces fortifications, et ils emportèrent tout le matériel de guerre qui y avait été abandonné. De nos jours on peut cependant remarquer encore parmi les décombres, les emplacements et la destination des diverses fortifications.

La nature s'est plu à parer de ses plus belles fleurs ces lieux redoutables; tous les voyageurs admirent la beauté pittoresque de ce passage, la clarté de l'air, la fraîcheur de l'eau, et la richesse des plantes. Un voyageur anglais (Ainsworth) qui y passa le 30 novembre 1839, après avoir parlé de la position stratégique et des derniers travaux des Egyptiens, donne les détails suivants sur la flore de ces lieux: «It would also be impossible for any traveller to ride the whole length of this pass, without being much struck with its varied beauties.... till the Golek Boghas contains by far the most numerous and varied points of bold and massive mountain scenery of any of the passes. The superior height of the mountains, and the gigantic scale of the scenery of the Alps, does not allow of their being fairly compared with the chain of Taurus, in every aspect inferior to them; but the able illustrator of the former (M. r Brockedon) would also find much that would be highly worthy of his pencil in the Golek Boghas. The differences of elevation between the two will no doubt be hereafter ascertained, but it will be more difficult to décide upon their peculiar claims to distinction. There are in the Golek pass open spaces like the Vallais, but in the Vallais, on each side, are long continuous mountain ranges, which ultimately (especially to a pedestrian) become monotonous, while in the Golek, mountain succeeds to mountain to the right and left, and vast semicircular precipices support broken glaciers piled one upon another in such profuse confusion and inimitable grandeur, that it is impossible to tear oneself from a scene which, wherever one turns, presents new wonder. In its more rocky, craggy scenery, the Golek is, as far as I have seen, quite unrivalled: such a succession of fallen masses, rocky projections, and steep cliffs, will not admit of description, nor would they be represented by the Trosachs [4] ten times magnified. I need not mention the vegetation or the habitations of men, as adding to the peculiarities of these scenes: but one thing is deserving of notice: the lammergeyer or the condor of the Alps, is rarely seen by the traveller, except at height at which its size and strength can only be conjectured; but the great bare-necked vulture, which represents in Taurus the condor of the Andes and the lammergeyer of the Alps, and is a larger bird than the lasser, may be sometimes seen in dozen together, waiting till some surely shepherd's dogs have had fill of a newly-killed animal, and they are never wanting amidst their favourite crags» [5] .

La végétation très abondante sur tous les points, est surtout riche et remarquable dans la partie méridionale. On trouve sur les bords de la vallée, des pins à longues aiguilles et des platanes à longues feuilles; les vallons sont couverts de chênes toujours verts, d'ifs, de platanes, de lauriers, de sycomores, de cognassiers, de pampres et de vignes sauvages, à l'ombre desquels croissent l'arroche bleuâtre et le safran jaunâtre. Dans les vallons plus retirés on trouve les myrtes, les cornouillers, les oliviers sauvages, les jujubiers, et, sur les bords de toutes les petites rivières, l'oléandre.

Sans parler d'une infinité de plantes et de fleurs plus petites, dont M. r Kotschy cite minutieusement les noms, nous rappellerons cependant l' Arum maculatum: V. Langlois, l'a trouvée merveilleusement belle; il en parle avec admiration dans la relation de son voyage en Cilicie [6] .

Après avoir examiné dans notre histoire tout ce qui y est dit sur la position de la Forteresse de la Cilicie et tous les faits politiques qui s'y rattachent, je puis affirmer que les lieux appelés par les étrangers Portes ou Passages de la Cilicie (Pylæ Cilicisæ), correspondent à la forteresse et aux Passages de Gouglag des Arméniens. Le rang important qu'occupait cette forteresse parmi les autres, la mention qu'en fait Sempad le Connétable, ainsi que la mention faite dans l'édit de Léon II, accordé aux Génois (1288), il est parlé des deux douanes, comme des principales, celles d'Ayas et de Gouglag, enfin le témoignage d'un voyageur français, qui visita ces lieux peu de temps après l'extinction du royaume des Arméniens, tout prouve cette assertion.

Comme les Roupiniens possédaient déjà la plupart des passages des montagnes, du moins les principaux, dès la seconde moitié du XI e siècle, il est probable que celui de Gouglag se trouvait aussi en leur pouvoir. S'ils n'avaient pas encore fortifié ni établi de garde à la place qui constitue les Portes proprement dites, la partie supérieure du passage étroit que les Arméniens et les voyageurs européens appelaient «Col de Podande», était déjà en leur pouvoir.

C'est à un de ces importants défilés en possession de nos ancêtres que fait allusion Mathieu d'Edesse, lorsqu'il rappelle le passage du Taurus par la grande armée des Croisés, commandés par l'immortel Godefroi. Selon lui, le nombre des soldats, cavaliers et fantassins, s'élevait à 200, 000; et il dit qu'ils traversèrent «le territoire de Bythinie et de Camirk (Cappadoce) et arrivèrent aux Passages difficiles des monts Taurus; l'armée franchit ces défilés étroits qui conduisent en Cilicie, passa à Trovada (Anazarbe) et arriva enfin à Antioche».

Cela n'indique pas bien clairement quels étaient ces passages difficiles. En comparant les divers récits des anciens chroniqueurs européens, des examinateurs sérieux ont fini par conclure que la grande armée passa d'Iconium à Héraclée. Après s'être reposée quelques jours dans cette ville, la plus grande partie des Croisés se seraient avancés vers le nord-est, auraient passé par Mariza, puis par Alphia, place forte dont ils s'emparèrent, et y mirent comme gouverneur un prince arménien, nommé Chemavon (Siméon), puis se dirigèrent vers Césarée, passèrent dans une ville inconnue de nos jours et citée par les historiens sous le nom de Plastentia: quelques auteurs croient que c'est Comana; de ils arrivèrent à Coghisson (Cucussus), et, selon les chroniqueurs, furent de nouveau obligés de franchir avec beaucoup de peines, des montagnes «diaboliques et exécrables» et des vallons profonds, pour arriver à Marache. Ces vallons sont probablement ceux que forme la vallée du fleuve Djahan, et la montagne raboteuse qu'ils eurent à escalader, doit être celle qu'on appelle aujourd'hui Akher-dagh.

Une fois à Marache, ils avaient devant eux deux routes: ils pouvaient se rendre directement à Antioche ou bien passer par Anazarbe. Selon nos chroniqueurs orientaux, c'est cette dernière qu'ils choisirent. Mais ce qu'il importe de savoir, c'est que le corp principal ne passa pas par les Portes de la Cilicie, mais par des passages bien connus dans les montagnes du canton de Djahan, non loin de Zeithoun.

Avant que le gros de l'armée des Croisés eût quitté Antioche de Pisidie, deux corps de troupes s'en détachèrent, l'un sous les ordres de Tancrède [7] l'Audacieux, l'autre, sous la conduite de Baudouin de Bourg, le rival de Tancrède. Selon le témoignage des chroniqueurs latins, ces deux troupes choisirent un chemin plus court, mais plus difficile que celui du reste de l'armée: passant le vallon de Bodrentrotte, elles pénétrèrent dans la Cilicie et vinrent dans la province de Tarse.

Notre historien de la Cilicie ordinairement d'accord avec les chroniqueurs latins, ne mentionne pas cette séparation; mais il dit que, sur le conseil des princes arméniens, une multitude innombrable passa le défilé de Podande, puis se rendit à Adana et à Anazarbe, et enfin, dans la grande Antioche.

Il est donc probable qu'une partie de l'armée des Croisés, sous les ordres de ces deux chefs nobles et valeureux, Baudouin et Tancrède, aura traversé le passage de Podande et les Portes de la Cilicie. Ces faits eurent lieu durant la seigneurie de Constantin, fils de Roupin, l'an 1097. Je crois qu'ensuite, l'ancienne forteresse de la Porte, ainsi que celles de Lambroun et de Babéron, furent abandonnées et peut-être même ruinées. Mais, lorsque la domination des Arméniens se fut étendue sur toute la Cilicie, le château de Gouglag reprit son rôle important et figura parmi les principales forteresses du pays. Un siècle après le passage des premiers Croisés, sous le règne de Léon, le seigneur de Gouglag était Sempad, probablement de la famille des Hétoumiens, peut-être même le frère du régent Constantin. Dans ses mémoires, l'historien Connétable parle à deux reprises différentes du château et du défilé de Gouglag. C'est à propos des incursions de Key-Khosrou, sultan d'Iconium, les années 1245 et 1246. Guidées par le Baron Constantin, seigneur de Lambroun, propre neveu de Saint Nersès, les troupes du sultan avaient pénétré dans la Cilicie par le territoire de Babéron. Pour rentrer dans leur pays, elles voulurent passer par le défilé de Gouglag qui leur était connu. Ainsi fut fait; «mais le roi Héthoum, le régent et Sempad le Connétable, les poursuivirent. Arrivés dans un lieu appelé Maïdzar, les ennemis en grand nombre, firent volte-face; mais les Arméniens encouragés, parvinrent, avec l'aide de Dieu, à les disperser et à en massacrer un grand nombre, chassant le reste jusqu'à Podande».

L'année suivante (1246), le sultan rassembla de nouveau une grande armée; elle franchit le défilé de Gouglag, vint assiéger Tarse et ne se retira qu'après une longue résistance et d'après un traité de paix.

Nous avons déjà rappelé l'édit de Léon II en faveur des Génois, (1288). Cet édit prouve que, dès les premiers temps de la domination arménienne, on avait déjà établi un octroi dans ces lieux. Voici par exemple les taxes que l'on payait pour la soie, à Ayas et à Gouglag (l'ancien traducteur latin écrit Gogulac): «Pour la charge d'un chameau, 25 pièces d'argent neuf [8] ; pour la charge d'un mulet, 19 pièces; pour celle d'un âne, 16, etc». La taxe variait avec la nature et la qualité des marchandises.

Sous le règne d'Ochine, au commencement du XIV e siècle, le seigneur de Gouglag était son frère Alinakh, ainsi que nous l'apprend un mémoire [9] . A partir de cette époque, il n'est plus fait mention de Gouglag dans aucun manuscrit arménien. Comme nous l'avons fait remarquer plus haut, nous trouvons quelquefois le mot Gaban (passage étroit) qui sera confondu plus d'une fois avec le Gaban de Djahan, et souvent, il est vraiment impossible de savoir duquel de ces deux châteaux-forts il s'agit. Voici ce qu'écrivit Bertrandon de la Broquière qui passa par le château de Gouglag, cinquante-sept ans après la suppression du royaume des Arméniens.

«Nous partîmes donc, tous les deux, de très bonne heure, et nous montâmes sur les hautes montagnes le château de Cublech [10] est situé; c'est le plus haut château que je sache. On le voit de loin à deux journées de distance: cependant quelquefois nous lui tournions le dos, à cause des détours de la montagne, et même quelquefois nous le perdions de vue, restant caché derrière les cimes de ces hauteurs. On ne peut entrer dans le pays du Karaman qu'à pied et en traversant la montagne sur laquelle le château est bâti. Le passage est étroit, et en quelques endroits il a été perforé au ciseau; cependant il est partout dominé par le château. Celui-ci, le dernier que les Arméniens aient perdu, appartient aujourd'hui au Karman; il l'eût pour sa part après la mort de Ramedan. Ces montagnes sont couvertes de neige perpétuelle; elles n'ont qu'une route pour les chevaux, quoique on voie des vallées éparses entre elles. Elles ne sont pas sûres à cause des Turcomans qui les habitent; cependant durant les quatre jours que j'y voyageais, je n'ai remarqué pas même une habitation.

En quittant les montagnes d'Arménie pour entrer dans le pays du Karaman, il y a encore d'autres montagnes à traverser. Sur l'une de ces dernières existe un passage gardé par un château appelé Lève [11] , l'on paye un droit de péage au Karaman. Ce droit était affermé à un Grec; lequel en m'observant, comprit à mon aspect que j'étais un chrétien, et m'arrêta. Si on m'eût forcé de rebrousser chemin on m'aurait tué; car on m'assura après, qu'avant que j'eusse franchi une demi-lieue de chemin, on m'eût coupé la gorge, la caravane étant déjà très loin. Heureusement mon Mameluk corrompit le Grec, qui, en considération des deux ducats que je lui donnai, nous ouvrit le passage. Au delà il y a le château d' Asers, et plus loin encore le château d'une ville appelée Araclie (Eregli)» [12] .

De Loulou, Bertrandon passa à Asgouras et de , à Héraclée, Laranda, Iconium, etc; il doit avoir suivi le chemin des montagnes et du château-fort de Podande; car s'il avait suivi le chemin qui s'engage dans la montagne à l'ouest de Gouglag, comme on l'écrit dans les topographies, il aurait été directement à Laranda; il ne serait pas dirigé vers le nord et n'aurait pas passé par les montagnes de Loulou et d'Asgouras, puis à Héraclée pour revenir à Laranda, au sud.

De tous les voyageurs qui ont écrit la relation de leur voyage en Cilicie, je n'en trouve qu'un seul qui fasse mention de ces passages situés du côté de l'occident, et qui se trouvent pourtant indiqués sur plusieurs cartes géographiques. Au commencement du siècle, M. r Corancez écrivait ainsi: «Ce passage étroit, est dominé par un château qui appartient aujourd'hui à un aga indépendant; il est bien connu des Tartares qui le redoutent, à cause des extorsions auxquelles ils y sont très souvent soumis».

Actuellement le village de Gouglag, n'est habité que par des mahométans descendants des chrétiens; à ce qu'ils disent, la forteresse, jusqu'à la prise de Chypre par les Turcs, serait restée aux mains des chrétiens qu'ils appellent encore Génois: un général arménien au service du sultan les aurait assiégés inutilement pendant six semaines, sans même pouvoir les réduire par la famine. Enfin il aurait monté sur les hauteurs du nord-ouest et aurait bombardé la forteresse et incendiée la forêt, s'emparant ainsi de la place.

Une petite rivière qui vient du nord, des montagnes qui séparent les affluents du Cydnus de ceux du Sarus, passe entre la tour et les bastions élevés par Ibrahim-pacha, et va se jeter dans la rivière de Gouglag près des habitations et de la douane. Près de la source de cette rivière, il y a une ancienne station, au nord de la tour, et plus loin, à l'est du passage, on voit les ruines d'un grand bourg, peut-être celui de l'ancienne forteresse de Gouglag.

Non loin de se trouvait la forteresse de Trizivi? Δριζύβιον , l'empereur Nicéphore Phocas établit sa famille, l'an 965, pendant qu'il marchait contre les Arabes.


[1] Voir, Ritter, Erdkunde. XI, 168.

[2] Davis, Life in Asiatic Turkey, p. 200-208.

[3] Suivant la Nouvelle Arménie (livre en arménien) p. 360: «C'est un village situé à la distance d'un jet de flèche du château de Gulek, et bâti sur un plateau. Les Européens l'écrivent Tékiche; il semble être le même que celui qu'Edib appelle Tékirli yaïlak (pâturages de Tékirli).

[4] Montagnes d'Ecosse, célèbres par la beauté de leurs panoramas.

[5] W. Ainsworth, Travels and Researches, Tom. II, 79-81.

[6] «C'est principalement dans cette région que j'ai remarqué une admirable plante particulière à l'Asie Mineure et qui mérite une mention spéciale. La tige de cette plante de 3 à 4 pieds, est couronnée par un calice de couleur pourpre, en forme de cornet, dont l'angle  supérieur s'allonge et retombe comme la manche d'un kaftan. De la corolle s'élance, en guise de pistil, un dard quadrangulaire, semblable à une lame d'épée, d'un violet presque noir et long d'un pied environ. L'extérieur des étamines, la tige et les feuilles finement découpées et frisées sont d'un vert clair moucheté de brun comme la peau d'une couleuvre. Les Turcs nomment cette plante Ilan-otou (Herbe de serpent); son nom scientifique est Arum maculatum. C'est une plante employée en médecine». V. Langlois, Voyage dans la Cilicie, p. 368-9.

[7] At Tancredus nemorum devia, montium ardua, Cilicum flumina prætervolanda eligit. Raoul De Caen. D'autres historiens aussi parlent presque de la même manière.

[8] La monnaie neuve des Arméniens d'alors pouvait valoir un peu moins d'un demi-franc. Aujourd'hui la douane du gouvernement turc pour la charge d'étoffe ou de laine d'un chameau, ou pour une charge de légumes, fait payer la taxe de sept piastres: pour les matières plus fines, un peu plus.

[9] Dans la chronique des Arméniens de Jean Dardel, nouvellement découverte, nous trouvons rapporté le siége de Sis, dernier refuge de Léon V, mais de Gaban nous ne trouvons aucune mention.

[10] Gulek Boghaze.

[11] Sans doute Loulou.

[12] A défaut du texte français, qui nous manque, ce passage a été traduit de 1'anglais.