Sisouan ou lArméno-Cilicie

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  Pendant le court espace de 80 ou 90 ans qu'Ayas resta sous la domination arménienne, elle accumula plus de richesses par son commerce avec tous les points du monde, que bien d'autres ports et villes commerciales d'autres pays n'avaient réussi en plusieurs siècles: car Ayas ne fut pas seulement une simple station de la route commerciale de l'orient, elle fut le chef-lieu de toutes ces stations.

Marco-Polo, le plus célèbre et le premier des voyageurs et des écrivains de voyages pendant le moyen âge, Marco-Polo, dont le père et l'oncle étaient venus avec lui, en 1269, de l'extrême Orient à Ayas, partit de pour son célèbre voyage à travers la Tartarie, les Indes et la Chine: et c'est sur un vaisseau arménien qu'il a fait la traversée d'Ayas à Ptolémaïs. Au commencement de son livre, il prétend que tous ceux qui veulent accomplir un voyage vers le fond de l'Asie, doivent partir d'Ayas. Je trouve à propos de citer ce passage parce que c'est un document authentique: «Sopra il mare è una città detta Giaza, terra di gran traffico. Al suo porto vengono molti mercanti da Venetia, da Genova, et da molti altri regioni, con molte mercantie di diverse speciarie, panni di seta et di lana, et di altre pretioze richezze; et ancho quelli che vogliono intrare più dentro nelle terre di Levante, vanno primieramente al detto porto della Giazza ». Outre ceci, les actes commerciaux des Génois de l'année 1274, portent formellement: Portus Ayacii Domini Regis Ermenie.

C'est à Ayas qu'étaient importés du fond de l'Asie, les épices, les aromates, les pierres précieuses, les étoffes et toutes les marchandises de prix qu'achetaient ordinairement les Vénitiens, les Génois et les Pisans. A ces derniers vinrent se joindre les citoyens de presque toutes les villes libres de l'Italie, et l'on cite en particulier non seulement les habitants des villes maritimes, mais aussi ceux des villes de l'intérieur [1] ; par exemple ceux de Florence, de Plaisance, de Pavie, de Mantoue, de Livourne, de l' Apulie, de la Corse, de Malte, du Négrepont; ainsi que de Chypre, de Rhodes, de la Crète et d'autres îles de la Méditerranée. Des gens d'autres pays de l'occident affluèrent aussi à Ayas. Il y venaient des Espagnols de la Catalogne, de Séville, de Barcélone, de Saragosse, et de l' Ile Majorque; des Français, les Marseillais y arrivèrent dès l'an 1228, avec d'autres commerçants de diverses villes de la Provence, de Nîmes, de Narbonne [2] , de Montpellier, que nos document appellent les marchands de Mounpouzlère, Մունբուզլերցի comme dans l'édit arménien de Léon IV, de 1321. On cite comme y étant venus également les Chevaliers du Temple et ceux de l' Hôpital. Les vaisseaux de l' Evêque latin de Tarse se trouvaient aussi dans le port d'Ayas.

Parmi les Orientaux, ce sont d'abord les sujets des empereurs de Constantinople et de Trébizonde; les Egyptiens, les habitants des côtes de la Syrie [3] , les Danischmends de Sivas, et les sujets du grand Empire des Tartares, qui y descendaient du fond de l'Asie.

Quant aux nations d'Occident, bien que je n'aie trouvé aucun document concernant l' Angleterre, la première nation marchande de notre époque, on ne peut cependant pas douter que les vaisseaux anglais n'aient fréquenté le port d'Ayas, puisque le florentin Pegolotti, qui parle du Commerce des Arméniens avec les autres nations, compare leurs poids et mesures avec ceux de Londres; il doit en avoir été de même des Flamands de Bruges qui, à cette époque, était regardée comme la première ville commerçante de l'Occident, allant de pair avec Anverse [4] .

Les Allemands ne sont pas cités comme ayant fréquenté le port d'Ayas. Il me semble pourtant impossible qu'il n'en soit point venus de leurs célèbre centre de commerce, la Ligue hanséatique: et nous verrons bientôt l'une des portes d'Ayas portant leur nom: d'autant plus, que du temps de Léon I er, les Allemands et les Arméniens avaient grandes relations d'amitié, et qu'il reçut même des ambassadeurs de l'Autriche.

C'est à cause du grand nombre d'occidentaux qui sont venus à Ayas, qu'un des auteurs modernes a voulu l'appeler une ville plutôt européenne qu'arménienne; car elle était devenue comme le grand centre de tout le commerce du Levant [5] . Aux Archives de Gênes dans les Comptes de quelques années qui y sont conservés, on cite plus de vingt-cinq peuples et habitants de différentes villes qui avaient des relations de commerce avec Ayas; mais les Génois et les Vénitiens y sont en plus grand nombre. Les Archives de Venise, contiennent une immense quantité de décrets, bulletins, actes de comptes, sentences, et permis de naviguer et trafiquer [6] .

En 1881, la Société pour la publication des textes relatifs à l'histoire et à la géographie de l'Orient Latin, a publié 180 pièces de ces actes des consuls de Gênes à Ayas, donnés dans les deux seules années 1274 et 1279. On peut juger du nombre extraordinaire de leurs pièces, et de celles des Vénitiens [7] et autres, qui furent échangées aux jours de la prospérité d'Ayas.

Chaque année, à une époque fixe, les Vénitiens y envoyaient une flottille de sept à huit vaisseaux; quelquefois même, ils en envoyaient deux, l'une pendant le mois d'août, l'autre plus tôt, pendant le mois d'avril, ou vers la fin du mois de juin, selon d'autres. Chaque navire avait vingt-cinq matelots: chaque année, le sénat réglait le départ de cette flottille et le temps qu'elle devait séjourner à Ayas [8] . Ces décrets vont de 1280 à 1337; néanmoins, jusqu'en 1374, on trouve encore des ordres relatifs à la navigation pour l'Arménie.

Quel spectacle merveilleux et imposant nous offre Ayas, si nous réunissons en un seul groupe cette foule de Vénitiens, de Génois et des autres peuples que nous citions tout à l'heure; les habitants de la ville, les marins, les étrangers venus de tous les pays! Quelle diversité de types, de mœurs, d'allures, de langues! Quelle bigarrure d'accoutrements; quel miroitement de couleurs; quel entrechoquement d'êtres et de choses dissemblables! Comme tout cela devait amener dans ce port un prodigieux mouvement continuel, une exubérance de vie, et devait bien en faire une cité unique et l'un des premiers marchés universels de cette époque! Certain Thomas, docteur arménien qui a fait la description du pays de la Cilicie, en parlant de ses produits et de son commerce, ne dit au sujet d'Ayas, que deux mots qui expriment tout: «Et Ayas, ce port d'une foule de vaisseaux». Un autre écrivain est plus laconique encore, et par conséquent plus expressif: après avoir raconté les événements du temps, après avoir vanté la grandeur de cette ville et plaint sa fin, il s'écrie: «Hélas! cette glorieuse Ayas!».

On voudrait savoir quelle était l'étendue de ce port célèbre et quelle sûreté de refuge Ayas offrait aux flottes; mais nos docteurs, ces vieux écrivains si concis et quelquefois inexacts, ne nous disent rien à ce sujet. Pour nous, nous exposerons l'état actuel des côtes d'Ayas; nous décrirons ses ruines; nous parlerons de tout ce qui reste de ses digues et de son mina ou port circulaire, des débris qu'ont épargnés les flots et la rage des ennemis, d'après les dessins et les croquis des amiraux français et anglais.

Nous savons par nos ancêtres qu'il y avait deux citadelles ou forteresses à Ayas, l'une dominait la campagne, l'autre veillait sur la mer. Cette dernière était construite nécessairement sur un îlot, que les documents appellent Insula Ayacii. L'îlot sur lequel elle reposait, devait avoir été exhaussé par la main des hommes. Elle était bien loin d'être aussi formidable que la forteresse de la plaine; presque tout sa force résidait dans les flots qui l'entouraient. Au sud-est, une digue réunissait les deux forteresses, et formait un port de refuge pour les navires. Comme le représente la petite carte que nous avons placée en regard, la citadelle maritime avait la forme d'une demi-lune et se trouvait à l'est de la ville, vis-à-vis de la terre. La forme du port d'Ayas lui fit donner le nom arabe de mina, (lune), et, en arménien, mieux encore manyag, մանեակ, collier. Actuellement son étendue est évaluée à un kilomètre; bien que son bassin soit ensablé et par endroits comblé de pierres, la profondeur en est de deux, trois et quatre mètres. Le Vénitien Sanudo qui a vu Ayas à l'époque de sa grandeur et de sa prospérité, dit: «Lajacium habet portum et siccam unam ante, qu æ scolium dici potest; ad quam quidam siccam prodenses figuntur et anchora versus terram firmam» (II, IV, 26). Il paraît qu'en outre il y avait des anneaux, fixés aux murs de la forteresse de mer. C'est à ces anneaux que les Vénitiens demandèrent, en 1320, à attacher leurs navires; ce qui leur fut accordé par décret royal, entre autres faveurs.

Le fort terrestre était situé au bout de la langue de terre qui s'avançait dans la mer. Il était bâti en pierre de taille, mêlées à des morceaux et à des tronçons de colonnes provenantes de vieilles constructions: c'est pourquoi l'on y voyait des lambeaux d'inscriptions grecques. Ce fort, plusieurs fois détruit par les Egyptiens, et toujours relevé par les Arméniens, fut saccagé une dernière fois après l'effondrement du royaume: c'est alors que les Ottomans entreprirent de le rétablir autant que possible en son état primitif. Il est muni de deux bastions; l'un, l'intérieur, est plus élevé et fortifié de tours circulaires; l'autre, l'extérieur, est plus bas; il est en partie écroulé et entouré d'une tranchée remplie de décombres et des blocs de pierres qui ont été lancés contre ses murs pour les abattre. Au nord de ce fortin et près de la plage, se trouve le cimetière de la ville.

Dans la mer, on voit les ruines de la digue qui, du sud-est, conduisait au fort de mer, au nord-est. C'est dans ce fort qu'on remarque une grande tour en rotonde, dont le côté tourné au sud est garni d'une longue série de cellules voûtées, qui reçoivent le jour par une petite fenêtre carrée pratiquée dans le plafond. On trouve encore d'autres salles voûtées du côté qu'on peut appeler le devant de la tour, mais ces salles sont toutes encombrées maintenant.

Entre le fort de terre et un mince ruisseau qui descend des montagnes au nord de la ville, se trouvent les ruines de la plus ancienne partie d'Ayas. On y voit des restes d'églises, de maisons, de bains, de ponts, etc: toutes ces constructions étaient faites en briques. De l'autre côté du ruisseau, à l'ouest, sont les ruines de la nouvelle Ayas. Elles consistent en monceaux de briques et de pierres, en débris de terres-cuites et en éclats de beaux marbres. (p. 433- Plan d'Ayas et des deux forts)

Actuellement le fort est habité par quelques familles de Turcomans qui y ont planté des petites cahules: selon Langlois, leur nombre arrivait en 1852, à 75. Ce sont comme de faibles ombres et tout ce qui reste de demeures de l'ancienne multitude des indigènes et des étrangers de tant de nations et de langues différentes!

A travers ces ruines, se trouvent peut-être celles des murs extérieurs de la ville, dont nos aïeux n'ont point parlé, non plus que de leurs portes. Une seule de ces dernières est mentionnée dans un document resté aux archives de Gênes; elle est appelée Porta Alamanorum. C'est que se trouvait la logia d'un certain Jean surnommé Tortorelle.


[1] En 1315, se trouvaient à Ayas Michel Sala de Sienne et sa fille Juanne. En 1316 une dame, fille de Marc milanais.

[2] On rapporte qu'en 1300, des Espagnols achetèrent, à Famagouste de Chypre, d'un marchand Narbonnais, 15 quintaux  d' amandes cassées et menues, pour les emporter à Ayas, et qu'ils payèrent chaque quintal 100 pièces arméniennes. En 1316, des Barcelonais apportèrent à Venise du Coton d'Arménie. Sur la demande de Jacques II, roi d'Aragon, en 1293, Héthoum II, accorda aux trafiquants de la Catalogne, immunité de taxes et droit d'établir un entrepôt à Ayas. Le décret qui leur accorde ces privilèges n'a pas été retrouvé, mais le fait est incontestable. En 1274, parmi les négociants, on cite comme banquier à Ayas un certain Jacques, Jacobus Rex, qui n'était qu'un simple citoyen de Gênes.

[3] En 1314, Simon de Rama et Nicola de Nazareth se trouvaient à Ayas.

[4] Les décrets de nos rois pour les Flamands n'ont pas encore été retrouvés; mais M. Emile Van den Bussche, le savant archiviste de Bruges, sur notre demande et avec un soin tout particulier, a fait des recherches, et a trouvé des relations de voyages et des actes de commerce passés entre ses compatriotes et les Arméniens. Ces écrits nous donnent la liste des centres commerciaux se rendaient les Flamands. C'était l'Arménie, Chypre et Jérusalem: «Die steden ende poorten van coopmanscepe untten Ooste die mette die van Brueghe coopmanscepe doene; ende syn de Hermeniers, ende die van Cypre, ende van Jherusalem». Dans un autre document français il est dit que les Flamands recevaient: «Dou royaume de Hermenie vient Contons et tote autre Espicerie dessus dite» (Poivres, Brésil, etc. ). Dans les livres de comptes du couvent de Saint Obert de Bruges, il est noté, en 1369, que Nicolas des Arméniens (qui de vait être un personnage envoyé en ambassade), donna au prelat qui l'accompagnait, de la nouvelle étoffe, et à ses compagnons, qui passèrent avec lui par la porte de la Sainte Croix, 12 lires: «Betaelt Niclaise, den Hermenier, ene nieuen lakine voor den Prelate, ende oordene die quamen ten Cruuspoorte inne t'eenre dachvaert XII. lb». Tous ces documents ont été publiés par le susdit savant archiviste en partie dans la revue « La Flandre » (1880, I), et en partie dans une brochure séparée qui a pour titre: Une Question d'Orient au Moyen-âge (1878 à Bruges). En outre dans une lettre particulière M. Van Den Bussche, m'a signalé tout ceci.

[5] Archives de l'Orient-Latin, I.

[6] Voir notre ouvrage l' Armeno-Veneto, II e partie.

[7] On trouve aussi un grand nombre de ces écrits dans les actes des Notaires de Venise, mais je n'ai pas pu les voir, non plus que d'autres qui sont aux Archives Publiques.

[8] D'abord ce fut un laps de 8 jours, puis de 13 et 15 même.