Sisouan ou lArméno-Cilicie

Հեղինակ

Բաժին

Թեմա

  Sghévra était pour Lambroun ce que le couvent de Melidje était pour Babéron: C' est-à-dire non seulement le tombeau des seigneurs de la grande forteresse, mais encore le principal sanctuaire et couvent de la province. L'origine de la fondation et les fondateurs de Sghévra nous sont inconnus, mais sa splendeur remonte au baron Ochine I er, qui en fit son séjour. Peut-être a-t-il été bâti par les Grecs et ces derniers lui ont donné ce nom, si toutefois, ce nom contient une signification spéciale. Autant l'emplacement du château-fort nous est connu à présent, autant celui du couvent nous reste ignoré; le témoignage des contemporains nous fait savoir tout simplement qu'il était «près de la forteresse», à côté de la Villa de Jean, que nous avons mentionnée plus haut, au nord-est de la forteresse. Il y avait deux monastères: l'un était proprement le cloître, l'autre l'ermitage. Dans le premier, par ordre d'Ochine II, père de S. Nersès, on avait élevé une grande église en honneur de la Mère de Dieu; c'est que Nersès fut installé, par son père, comme supérieur. Cependant il faut croire qu'Ochine l'ait construit avant sa domination, ou ait restauré et orné l'édifice de son père ou de son grand-père; car pendant que son fils Sempad-Nersès suçait le lait, «il eut une dangereuse maladie, et ses pieux parents le portèrent et l'offrirent à la toute-glorieuse et très-sainte Vierge Mère de Dieu, dans le temple consacré à son nom, dans le couvent de Sghévra . . . . , dès son premier âge, il s'exerça, avec les autres frères, dans les sciences littéraires, selon le désir de ses parents».

Après la mort du père du Saint, son frère aîné, Héthoum le Sébaste, aux premiers jours de la consécration de Nersès à l'épiscopat (1175), «avait construit avec une grande magnificence un sanctuaire dans le couvent de Sghévra; et après l'avoir orné de différentes peintures, il reçut son frère Nersès, qui sortait de l'ermitage comme un époux, et que la sagesse divine rendait beau comme la lune, et dont la science brillait comme le soleil, et la pureté de sa vie était l'admiration de tous. Nersès, disons nous, fut reçu et posé à la droite de la Reine (du temple), tout paré et tout embelli. C était la fête de l'Assomption: on le fit asseoir sur le trône épiscopal, et il donna la bénédiction à tout le peuple; puis se levant, il offrit le sublime sacrifice de la sainte Messe. A partir de cette époque (1175) il prit soin des souffrances du peuple; il disposait en bon ordre ce que son père avait légué au couvent [1] ».

C'est, sans doute, dans ce jour solennel, il donna sa première bénédiction, qu'il aura prononcé d'une voix suave, son charmante « Panégyrique sur l'Assomption de la Très-sainte Vierge, se regardant comme son serviteur particulier, car ses parents l'avaient voué à la Mère de Dieu ». Il commence ainsi «... Je me fais un devoir, le jour de la fête de la Sainte Vierge, d'offrir les prémices de mes paroles, comme une vigne plantée de ses mains, parmi les milliers de tiges, dans ce saint temple du Seigneur».

Près de cette dernière église, qui était la principale, il y en avait deux autres; celle du Saint-Sauveur et celle de la Sainte-Croix. La première est citée du vivant de notre Saint et de son frère, qui firent écrire, «en l'honneur et gloire de la sainte église de Saint-Sauveur, ce livre divin (Evangile) dans le couvent de Sghévra», l'an 1193. Nous l'avons déjà mentionné à la fin de la topographie de Lambroun: le copiste parlant des deux frères, dit: «Ils embellirent avec des ornements ce pieux couvent, la sépulture de leurs pères; et pour comble de magnificence, ils ordonnèrent à moi Constantin, qui étais leur fils adoptif, de le perfectionner (l'évangile) à l'aide de ma plume et de l'orner avec des couleurs... Maintenant, je prie, souvenez-vous durant la sainte Messse, de mon maître Nersès, qui, avec foi et charité a fait orner ce livre de la parole de Dieu, ainsi que de Héthoum le Seigneur dominant». L'adroit écrivain et brave dessinateur ne peut pas laisser de côté son travail digne de louanges; il ajoute: «Souvenez-vous aussi du service, que par le talent qui m'a été accordé de Dieu, j'ai, moi infime, rendu à ce livre divin». Cinq années après, en (1198), «dans ce couvent célèbre de Sghévra, devant le saint Signe (la Croix miraculeux et dans le temple du Sauveur », un autre artiste écrivait l'évangile de Babéron, pareil au premier et peut-être mieux orné. Cela montre qu'on travaillait alors dans les monastères avec un grand soin, non seulement aux lettres, mais aussi dans l'art de copier des manuscrits, et de les orner de belles enluminures. Dans ce même monastère, se trouvaient les tombeaux des seigneurs de Lambroun, étaient aussi ceux des moines: c'est le vieux Samuel même qui nous le dit, quand il exprime son désir d'être enterré au milieu d'eux, par les mains de son bien-aimé archevêque Nersès: «Que mes pauvres restes soient posés ici, dans le tombeau, par sa bénédiction, et que je repose avec mes saints pères, auxquels je m'approche par la vieillesse qui pèse déjà sur moi».

Pendant que Samuel écrivait le Commentaire des Psaumes (p. 104. Fac-simile, tiré du manuscrit des Commentaires des Psaumes) et les mémoires sur Saint Nersès, et que Constantin ornait de dessins le saint évangile du Saint-Sauveur, paraissaient sur la scène le poète plaintif Khatchadour, serviteur du docteur bien-aimé, et le docteur Georges, qui a rassemblé et composé les Vies des Saints Pères, sous la direction du docteur commun Nersès, l'an 1192. «Dans cet ouvrage, dit-il, les vies et les paroles des Saints Pères ont été recueillies, de différents exemplaires, dans le couvent de Sghévra, et réunies dans un volume sous la protection du temple de notre Seigneur Dieu et Sauveur J. C., de la Sainte Mère de Dieu et du Saint Bois vivifiant, par l'ordre de notre vénérable frère, le pieux Khatchadour, qui m'obligea, moi Georges, son confrère, malgré ma faiblesse, à porter à bonne fin ce livre, objet de ses ardents désirs; ... et par la grâce de Dieu, je l'ai fait sous la direction spirituelle de mon Seigneur Nersès, le Saint archevêque, qui est maintenant supérieur de ce célèbre et saint couvent. Il gouverne Tarse, la capitale, avec des provinces de la Cilicie. Ce saint homme de Dieu non seulement lisait les livres sacrés et les expliquait, mais encore avec un grand amour il les rassemblait; et ce frère Khatchadour, qui servait de plein gré cette personne pure, écoutait ses paroles, imitait sa conduite et sa ferveur; comme lui, son seigneur et maître, il chercha et acquit, autant qu'il put, des livres manuscrits et, par ses conseils et ses exhortations, il fit écrire encore ceci.

Ce prêtre Georges était sûrement l'un des personnages les plus distingués du couvent; car, non seulement il est appelé Docteur par Samuel, mais il lui a décerné aussi le titre de Précepteur. Il fut envoyé par ordre de Léon le Magnifique, avec Saint Nersès de Lambroun, à la rencontre de l'empereur des Allemands; et ces deux personnages seuls échappèrent à l'incursion des Ismaélites, qui massacrèrent tous leurs compagnons: après, ils continuèrent leur voyage.

Le Samuel que nous venons de citer, est le même vieillard qui a écrit, à la fin de la copie des Commentaires des Psaumes, la vie de Saint Nersès de Lambroun, et peut-être aussi dans ce mème lieu, notre saint auteur a repris la continuation de son Commentaire des Proverbes de Salomon, l'an 1197; car, lui-même y ajoute: «J'ai commencé l'examen du fonds de ce livre sacré, trois années avant (1194)... et cette année, 1197, étant parti pour Coustantinople, j'ai demandé au patriarche leurs livres explicatifs des Proverbes et de Job: en les lisant j'ai trouvé que ce que la grâce du Saint-Esprit avait produit en nous, n'était pas différent, et que mon explication s'accordait en tout avec la leur. En retournant chez moi, j'ai béni le Seigneur en l'adorant; et j'ai pris courage pour continuer mes examens, moi, Nersès, qui suis (vile) cendre, et inspecteur de Tarse, de nom plutôt, puisque j'habite en repos dans le cloître de Sghévra».

Le beau mémoire de la copie des Commentaires de la Messe et la dédicace qu'en a faite à sa sœur Marie, le neveu de notre Saint, le jeune prêtre Nersès [2] , font voir qu'il était bien digne de son oncle. A la mort de celui-ci, il écrivait ou faisait copier le Commentaire de la Messe, «dont une partie, par le frère Avédik, pieux serviteur de Dieu, du monastère d' Anabad; l'autre partie dans le cloître de Sghévra, par les mains d'un clerc de l'église de Zoravark (les SS. Généraux)». On croit que cette église était celle de S. Georges, comme nous le verrons ci-après. Avec une affection qui mérite d'être remarquée, le neveu de Saint-Nersès s'écrie: «Que les dignes docteurs mes contemporains, soient mentionnés devant le Seigneur; tous mes amis et nos bienheureux docteurs, qui furent les nourriciers de nos âmes, Grégoire et Basile [3] , que nous fréquentons maintenant pour les études: qui dans nos besoins suppléent le Saint dont nous sommes privés. Ils brillent dans ces temps obscurs et illetrés, comme des astres pendant la nuit. Souvenez-vous aussi du prêtre Basile qui nous a nourri l'esprit et nous a instruit par le moyen de la tablette; de même aussi de nos coétudiants et de nos condisciples Jean et Barthélemi, et de toute notre famille» [4] .

Le Docteur Grégoire, qu'il a mentionné plus haut, est le même personnage célèbre, qui a obtenu la dénomination de Sghévrien, parce qu'il habitait dans ce couvent; pourtant par sa naissance il est du bourg de Lambroun, et c'est pour cette raison qu'il est aussi appelé Lambrounien ou de Lambroun. Il cohabitait avec Saint Nersès; par sa science et par sa sagesse il est le grand personnage après lui; Nersès le jeune, son disciple, outre les témoignages cités plus haut, ajoute: C'était un personnages prudent et «versé, dès son enfance, dans l'ancien et le nouveau Testament; ... il ne lui manquait rien pour être égal en tout point à Nersès». Le roi Léon qui était un profond connaisseur des hommes, honora Grégoire après Nersès, en lui commettant la traduction en arménien de la lettre grecque, «de Vahan ou Jean archevêque de Nicée, adressée à la Béatitude de Zacharie, le Catholicos des Arméniens», comme le dit Grégoire d'Anavarze dans son Ménologe, en l'appelant, Grégoire de Sghévra, le saint et le grand docteur des Arméniens». A ce même Grégoire, notre roi Léon confiait ses secrets les plus intimes, ceux-là même qu'il ne pouvait manifester qu'à Dieu: ainsi lorsqu'il dut paraître devant le Juge de l'univers, «il appela ce saint docteur, lui confessa ses fautes et reçut la sainte communion des mains du même docteur, en bénissant le Seigneur».

L'année suivante, 1220, mourut le Catholicos Jean; lors l'élection de son successeur, les princes ne furent pas d'accord ensemble; quelques-uns ayant à leur tête Constantin, Seigneur de Lambroun et neveu de Saint Nersès, voulurent élire Grégoire: mais le sort favorisa Constantin de Partzer-pert.

Nous avons vu plus haut, que le jeune Nersès obtint de Grégoire de Sghévra, après beaucoup d'instances, (1205), le Panégyrique du Saint. C'est un sermon éclate sa grande érudition, une élocution claire avec beaucoup de bon sens, bien qu'elle soit inférieure au style élevé de Saint Nersès. Nous devons faire le même jugement pour ses autres écrits, tels que le Sermon pour le Vendredi saint, et un autre sur la Résurrection du Seigneur. Ces discours tournent en grande partie sur les Saintes Femmes qui apportaient de l'huile pour oindre le corps de Jésus; il y introduit des passages pleins d'esprit, en concordant les quatre évangiles, qui paraissent en désaccord entre eux. Il distingue les unes des autres les cinq Maries, et réfute l'opinion de ceux qui affirmaient que la Sainte Vierge était allée aussi au tombeau de Jésus [5] . En tout cela plus que sa rhétorique, il montre un sage discernement dans ses pensées et une grande simplicité de langage.

Beaucoup de personnes connaissent aussi sa longue Prière «de la part de tout le genre humain», comme lui même le dit dans un passage [6] , sur les diverses dispositions de Dieu envers l'homme. Il montre encore ici une grande clarté de langue et d'esprit.

Ses réflexions sur la vie de Saint Grégoire de Nareg, sont un effet de son amour pour la prière, dans laquelle ce grand Saint était toujours plongé. Grégoire a encore composé une Prière à réciter durant la Sainte Messe; une autre dédiée à la Sainte Mère de Dieu, sur la demande d'un prêtre nommé Pierre. Il la commence ainsi: «Sainte Vierge, trois-fois-bénie, temple du Très-Haut»; il la continue se remémorant de la Passion de Jésus-Christ; et lorsqu'il arrive au souvenir du Stabat Mater, il change soudain sa prose en vers, terminés par une même désinence et dont voici la traduction:

 

Et Toi qui fus près de la Croix

De la Passion de mon Jésus,

Et entendis le «J'ai soif»

Que dit ton Fils unique!

On lui donna le vinaigre à boire

Et le fiel à goûter.

fut attaché avec des clous,

Et blessé avec une lance»... etc.

 

Son hymne la plus connue et la plus célèbre dans notre église arménienne, est celle qu'il composa en doubles distiques, selon le nombre des trente-six lettres de l'alphabet, sur la Naissance de Saint Jean-Baptiste, chantée pour la première fois en 1198; c'est une preuve éclatante de son génie d'invention. L'hymne commence de cette manière: «Astre précurseur de l'Orient du soleil de justice... ». Le grand nombre des lettres arméniennes l'aident à considérer sous plusieurs aspect le Saint Jean, le plus grand saint parmi les fils des femmes, et de le louer, du commencement de sa naissance jusqu'à sa mort; par laquelle il fut, «Précurseur de la seconde descente» du Seigneur aux places inférieures de la terre; porteur de la bonne nouvelle aux âmes dans les enfers»; il n'oublie pas les dernières circonstances de la vie et de la mort de Saint Jean:

Dans l'assemblée du festin d'ivresse le jour des fêtes natales du funeste (Hérode),

Toi, tourterelle du désert, qui naquis en tressaillant de joie,

La fille d'Hérode, en dansant, demanda ta tête [7] .

Après Grégoire de Sghévra et avant Georges, au milieu du XIII e siècle, Mekhitar, docteur de Sghévra, obtenait de la réputation par sa science et par sa modestie. Il fut jugé par le Catholicos Constantin et le roi Héthoum comme l'homme le plus digne et le plus capable d'aller dans la ville de S. J. d'Acre en messager et en homme savant, chez Guillaume II archevêque de Tyr et Légat du pape Urbain IV. Celui-ci y était arrivé en 1263 et était très véxé de ce que le Catholicos des Arméniens ou son vicaire, ne fussent venus lui faire la visite d'usage. Lorsque Mekhitar arriva, le prélat latin le reçut avec une froideur mal retenue; mais une fois remis de son ressentiment il disait à Mekhitar: «J'ai entendu dire que tu es regardé comme un savant par tes compatriotes, peut-être nous pourrions profiter de ta présence, et il répétait: «Tu es un homme sage, comme je te l'ai dit; tu me réponds à tout ce que je te demande».

Mekhitar lui répondit humblement selon les convenances, mais avec précaution, et comme il dit lui même: «Dans ce même jour il y avait un grand conseil chez le Légat: se trouvaient le préfet, qui s'appelait Joffroi, et qui était un homme aimant la paix; le Maître des Templiers, et le Commandeur des Hospitaliers, et tous les seigneurs des pays riverains d'Antioche l'exception du Prince), et tous les avocats». Ils se mirent à disputer sur la primauté de l'apôtre Saint Pierre; et quoique Mekhitar parlât avec beaucoup d'érudition et de connaissance des Saints Livres, pourtant tenu par des préjugés, il ne voulait pas céder il le fallait. Après cette question il tâcha d'exhausser le Catholicos sur les patriarches, en attribuant la cause à ce que le mot Catholicos a une étendue universelle plus que celui de patriarche, et que ce dernier est le chef d'une ville ou d'une province, tandis que le «Catholicos des Arméniens est le chef de toute une nation».

Après cela dans son rapport qu'il présenta au roi Héthoum, sur la demande de Jacob évêque de Gasdalon, il ajouta un autre chapitre contre les Grecs, sur les siéges patriarcaux et spécialment pour celui de Constantinople. C'est l'unique ouvrage de Mekhitar de Sghévra qui nous soit parvenu. Comme homme habile il accompagna le roi Héthoum dans un de ses voyages, probablement à cause de ses connaissances des langues.

Jusque vers la fin du XIII e siècle je ne trouve aucun autre mémoire sur le couvent de Sghévra, sinon la sépulture de Marie, sœur du roi Héthoum, devenue comtesse de Joppé par son union avec Jean Ibelin, seigneur de Joppé. Ce sera, sans doute, pour se consoler de la mort de son père, le régent Constantin, qu'elle vint à Lambroun et elle y mourut, l'année 1263 [8] , «laissant deux garçons et trois filles» portant des noms arméniens. Il paraît que ces enfants, Ochine et Héthoum, aient vécu à la cour arménienne, puisque Rémount, fils de ce dernier, fut sénéchal des Arméniens.

Le second personnage savant, le Docteur Georges de Sghévra, brilla vers le milieu du XIII e siècle. Il parcourut différents couvents de la Grande Arménie, afin d'enrichir son livre, le Donabadjar (Notices sur les fêtes). Il dit lui-même en parlant de son livre, qu'il fut écrit «dans un pays lointain, par Georges, jeune incapable, venu de Lambroun, forteresse inaccessible de la Cilicie, au pied de la grande montagne du Taurus. Il n'entreprit point cet ouvrage avec une témérité présomptueuse, ni en se donnant pour un homme habile dans l'écriture;... mais il le fit sur l'ordre de Grégoire archevêque de Bedjeni, dont il avait été comblé de bienfaits, et sur les instances pressantes des fils de ce dernier, (en religion) les prêtres Vartan et Grégoire, dont lui-même avait été chargé de l'éducation.... Il fut aidé dans son travail par son compagnon d'exil et précepteur, le prêtre Jean ... Mais nous n'avons pas pu travailler toujours dans le même lieu et sans interruption. Nous avons été obligés de nous transporter d'un endroit à un autre; nous avons changer nos projets et même nos habitudes... Nous avons d'abord habité le couvent célèbre de Virab,... pour nous instruire auprès de Vartan, grand docteur et personnage bien fervent... De , nous avons passé chez le grand prince du nom Kourd; nous l'avons suivi à Saghmossavank (couvent) et y sommes restés avec lui. C'est que nous avons achevé notre premier volume de ce saint livre. Comme le Docteur fut encore obligé de changer de lieu pour enseigner, dans l'endroit voudrait le guider la divine Providence, nous nous transportâmes avec lui au couvent de Téghénik; ce couvent célèbre, cet habitation angélique, Dieu demeure; c'est que nous avons terminé ce que nous nous étions proposé, ayant trouvé bon accueil auprès de l'affable et du chaste prêtre Serge, qui nous soigna et nous servit de bon gré; etc».

Le Vartan, dont il est question plus haut, est le célèbre docteur et précepteur Vartan dit l'Oriental, historien et commentateur du Pentateuque et duquel Georges fut le digne disciple.

Quand notre écrivain parle de son incompétence dans l'art d'écrire, c'est au point de vue graphique qu'il faut l'entendre, comme copiste et imagier [9] ; cependant il devait avoir bien réussi dans d'autres livres, puisqu'à son retour à Sghévra, il fut prié par un certain Constantin, (peut-être celui qui devint Catholicos dans la suite), et plus tard, par le prêtre Etienne Kouyner, de copier l'œuvre du D. r Aristaguès, de l'étendre et de le compléter.

Parmi tous les ouvrages de Georges de Sghévra, le plus connu et le plus estimé, c'est son commentaire des prophéties d'Isaïe. Comme il n'y a aucune déclaration, aucune date, ni au commencement ni à la fin du livre, nous citerons ici les paroles de ceux qui l'ont copié du vivant de l'auteur. L'un d'eux, le prêtre Jérémie, écrit l'an 1295, que le roi Héthoum (1289-1307), «Voyant que de ces grands docteurs qui avaient interprêté Isaïe, l'un, Saint Ephrem, l'avait fait brièvement, mais avec des paroles pleines de sens, et l'autre, le divin Jean Chrysostome avait écrit avec trop d'abondance, le roi Héthoum, dis-je, cet illustre prince, eut l'intention de réunir leurs commentaires en un seul ouvrage... Dans ce but, il s'adressa au docteur Georges, qui était alors bien avancé dans les vertus et instruisait avec assiduité de nombreux élèves, et lui enjoignit l'ordre pressant d'entreprendre ce travail. Le saint prêtre obéit, et en vrai prédicateur, s'aidant des travaux du D. r Sarkis (Serge), il réunit les commentaires des illustres docteurs, en fit un résumé qu'il copia de sa propre main et qu'il remit à Héthoum».

Dans les premiers chapitres Georges s'est inspiré des commentaires de Saint Cyrille; mais dans tout le reste de l'ouvrage, il suit ceux de Saint Ephrem et de Saint Jean Chrysostome. Quelquefois il unit à leurs réflexions, les remarques d'un certain Serge, qui s'était occupé avant lui du même travail, mais j'ignore quel est ce personnage. Lorsqu'il arrive aux paroles d'Isaïe: «Qui a cru, Seigneur?» il cite avec abondance les paroles de son maître, le docteur Grégoire, et le met presqu'au niveau des deux illustres Saints Pères. Mais rarement il se sert des écrits de S. Grégoire le Théologien, et encore moins de S. Basile ou de S. Athanase.

Parmi les autres ouvrages écrits par Georges, un des plus célèbres, est, l'Art de l'écriture. Un de ses disciples nous affirme qu'il composa aussi des Hymnes pour les grandes fêtes et pour les Saints. On trouve en effet plusieurs hymnes en acrostiche, dont les premières lettres de chaque strophe forment le nom de Georges, mais il ne faudrait pas croire qu'elles appartiennent toutes à ce savant docteur, car on en trouve déjà dans un manuscrit de l'an 1241, époque antérieure à celle Georges commença à écrire.

Un des disciples de Georges, le D. r Moïse, écrit, en parlant de son maître: «Il écrivit, avec beaucoup d'ordre, des Règles et des Conseils pour la Confession, au profit des prêtres ignorants. Il composa plusieurs préfaces pour les livres de la Bible, et en fit le résumé des chapitres. Il écrivit des Panégyriques en l'honneur des Saints, de brèves interprétations des Actes des Apôtres, à la demande de l'évêque Jean, frère du roi.... Il fit aussi des hymnes intitulées Laudate pueri, un recueil de maximes et d'exemples utiles tirés de la Bible».

Le Commentaire abrégé des Actes des Apôtres, dont parle ici Moïse, mérite aussi de figurer parmi les meilleurs ouvrages de Georges. En voici la dédicace: «Au Seigneur Jean évêque et frère du roi, (Héthoum), qui a demandé ce bref commentaire»; et plus loin il ajoute: «Voici, ô mon père théophile et seigneur, que ta demande pressante et ton visage vénérable m'ont comblé de crainte.... car tu m'as ordonné, toi-même en personne, en m'expliquant ta volonté, de résumer en entier en gardant les mêmes idées, les longues et riches interprétations d'Ephrem et de Jean Chrysostome. C'est avec crainte que je me suis lancé sur les traces de ces Saints aussi je demande grâce pour mon arrogance pour réunir en une seule œuvre leurs profondes et sublimes interprétations,... pour les accorder comme en collier de perles précieuses, ou comme des fleurs odoriférantes et incorruptibles, avec lesquelles je puisse faire une couronne d' espérance pour votre tête auguste... Que mon pauvre ouvrage soit récompensé par Dieu, et qu'il m'accorde le pardon de mes péchés». Cet ouvrage est d'autant plus précieux que nous ne possédons pas les textes primitifs des interprétations étendues de S. Ephrem et de S. Jean Chrysostome. Chaque fois qu'il cite leur texte, il indique leur nom en marge; on y trouve aussi quelquefois ceux de S. Nersès de Lambroun, de S. Grégoire le Théologue, des deux Cyrille, de S. Nersès le Gracieux et d'un certain Cyriaque. L'ouvrage est divisé en 55 chapitres, et à la fin de chaque chapitre se trouve une courte exhortation.

A la demande du même personnage, l'évêque Jean, Georges, écrivit encore, l'an 1283: le «Panégyrique de S. Jean, l'Evangéliste théologue».

Tous ces ouvrages suffisent pour prouver le talent et l'intelligence de Georges, talent que son oncle Grégoire, supérieur du couvent, avait deviné dès l'enfance du jeune homme et s'était efforcé de développer.

Un signe de la grande réputation et de l'estime dont jouissait Georges, c'est que la date de sa mort est inscrite, avec celle des personnages illustres, dans la chronique commencée par Samuel d'Ani: «Cette même année, l'an 1301, y est-il inscrit, le vertueux et saint docteur Georges de Sghévra, se reposa dans le Seigneur».

L'un de ses disciples, Moïse, qui écrivit un panégyrique sur le bienheureux abbé et doux docteur Georges de Lambroun, indique d'une façon plus exacte encore, le jour de sa mort: «Il vécut en vrai chrétien et se reposa dans le Seigneur, le mercredi, onze janvier, l'an 1301».

Nous pouvons dire que Georges a fermé la série de nos auteurs célèbres; nous ne trouvons plus après lui que Jean d'Erzinga et Basile, dit le Macheghévor, qui furent ses imitateurs.

Dans son discours Moïse, fait une longue énumération des titres honorifiques de son maître. Non content de cela, il y ajoute encore une lamentation en vers. La poésie de Moïse vaut mieux que sa prose; mais elle est loin de s'élever au génie simple et sublime qui éclate dans les lamentations de Khatchadour, au sujet de la mort du plus illustre des Lambrouniens. Au milieu de ses vers Moïse intercale quelques lignes de prose, afin de traduire ses regrets personnels: «Hélas! et moi, quel père n'ai-je pas perdu! quel précepteur! quel conseiller et quel consolateur!. O père vénéré, tu ne m'envoies plus ta parole et ton écriture précieuses; je ne reçois plus de loin de tes joyeuses nouvelles.... ». L'orateur reprend de nouveau la suite de ses vers et termine ainsi: «Cet écrit est pour le bienheureux docteur appelé Georges; ce ne sont point des paroles fausses ou ambiguës; mais toutes justes et certaines, pour exhorter ceux qui doivent venir après nous, et pour la gloire du Seigneur trois fois Saint. Amen».

Moïse oublie de citer un ouvrage de Georges, très utile pour les fidèles et qui ne laisse pas non plus d'être une preuve de son talent, de son art de vérsificateur, et de son habileté en prosodie. Je veux parler de son «Choix et confirmation des mots et des airs de nos hymnes». Les érudits arméniens auront sans doute remarqué que dans plusieurs antiphonaires du commencement du XIV e siècle, on trouve une annotation indiquant que les hymnes sont écrites selon le meilleur texte, et qu'elles ont été tirées d'un certain recueil, appelé Khelguets; quelques-uns affirment que l'auteur de ce recueil fut Grégoire, le premier maître de Sis et un copiste habile, surnommé Khoul (le Sourd). Or Arakel, évêque de Siunik, dans ses Explications des Définitions de David l'Invincible, atteste que, le texte vérifié de nos hymnes est celui contenu dans «l'exemplaire de Kheloug (Petit sourd) corrigé par le Grand docteur Georges, le même qui a commenté les prophéties d'Isaïe à la demande du roi Héthoum à Sis... » il ajoute plus loin: «Afin que l'art de la prosodie soit uni à celui du chant, comme nous le trouvons dans l'exemplaire de Khoul, que le docteur Georges a fixé». La version la plus juste de ces paroles est d'admettre que Khoul s'est occupé de la partie musicale et que Georges a adapté les paroles à ces airs vérifiés. Quant à Georges a-t-il travaillé avec Grégoire (le Sourd), ou bien a-t-il fait le travail seul après lui, je ne le sais pas, car je n'ai trouvé aucun autre passage relatif à Khoul [10] .

Tous ces éloges d'auteurs contemporains, nous prouvent que Georges devait être très versé dans l'art grammatical, dans l'art de diviser les paragraphes et de mettre la ponctuation, surcout dans les copies de l'Ecriture-Sainte: et, l'incomparable D. r Sargavak mis à part, aucun de nos auteurs anciens ne le surpassa en cela. Nous possédons dans la bibliothèque de notre couvent une Bible écrite selon cet art grammatical, très élégante et très artistique, copiée 20 années après la mort de Georges, sur le manuscrit original ou du moins sur une copie de ce manuscrit, exécutée sous les yeux et sous la direction de Georges.

Parmi les titres honorifiques de Georges on trouve très souvent ceux de Chef des docteurs, de précepteur [11] et de conseiller. Fut-il jamais directeur du couvent? C'est peu certain; même il est probable qu'il ne le fut pas. L'an 1285, en effet, le directeur du monastère était un certain Minas; après lui ce fut Constantin II de Rome-Cla, qui avait renoncé bon gré ou mal gré à la dignité de Catholicos, en 1290. Ce dernier ayant appris la nouvelle fatale de la ruine du siége patriarcal de Rome-Cla, et la destruction des objets sacrés, fit construire, pour la consolation de son âme et pour conserver une partie des reliques saintes, un reliquaire d'argent. Il y renferma des restes précieux de plus de soixante Saints, y inscrivit leur nom et composa pour chaque Saint quelques vers mystiques. C'est également aux environs de ces temps (1296) qu'entra en religion un jeune prêtre du nom de Pierre (neveu et disciple du prêtre Etienne). «Ce dernier était du pays des Lycaoniens, d'Iconium, la fameuse capitale; il préféra la vie paisible du cloître à la modeste vie séculière, et il se rangea au nombre des vénérables solitaires de notre saint couvent. Il y resta longtemps et vieillit dans le service de Dieu et de son église ... ».

Un autre personnage illustre de cet époque fut le D. r Marc de Sghévra qui assista au concile de Sis, en 1307. Enfin, on trouve encore le nom d'un certain clerc Etienne, qui écrivit la vie des Saints pour le pieux, vénérable, divin, etc... vieux solitaire Abraham. Il écrivit ces vies «au couvent de Sghévra, à l'ombre sainte et salutaire de la Croix et sous la protection de la sainte Mère de Dieu».

Tout ces faits montrent clairement que ce couvent était habité et très florissant au commencement du XIV e siècle, quoiqu'il eût été incendié en 1279, comme l'écrit le continuateur des Chroniques de Samuel d'Ani. Ces quelques mémoires sur le couvent de Sghévra nous montrent aussi qu'il dut surpasser toutes les autres maisons religieuses de Sissouan. Comment en eut-il été autrement? puisqu'il eut pour protecteurs les sébastes de Lambroun et pour directeur, l'illustre Saint Nersès, la fleur de sa famille, dont l'œuvre fut continuée par des docteurs aussi célèbres que les Grégoire et les Georges.

LE RELIQUAIRE DE SGHEVRA

Nous avons indiqué dans quelles circonstances, Constantin II le Catholicos, fit exécuter un Reliquaire, ou comme il l'appelle quelquefois lui-même, une demeure de repos pour les reliques des Saints. Cette précieuse pièce d'orfévrerie, est l'une des rares merveilles archéologiques, qui nous soient parvenues de l'Arménie du moyen-âge; il est curieux qu'elle ait échappé aux pillages des incursions, dont ce pays a été si longtemps le théâtre. Actuellement [12] les antiquaires de l'Europe s'émerveillent devant une photographie de ce reliquaire, laquelle figure dans une exposition d'antiquités à Leyde. On a découvert récemment ce précieux monument de l'art arménien du moyen-âge, alors qu'on le croyait détruit depuis plusieurs siècles.

C'est le Catholicos lui-même qui nous indique l'époque de la construction du Reliquaire, les circonstances qui l'y ont amené et la matière dont il est fait. Il a renfermé tout cela dans 104 vers octosyllabiques, et il les a fait graver sur le revers de la couverture d'argent qui contenait les reliques. Le tout comprend 43 lignes très compactes, car les vers sont écrits les uns à la suite des autres, sans revenir à la ligne, et ne sont séparés que par des points. Voici la traduction littérale de ces vers.

 

Dans l'année sept cent de l'ère arménienne,

Y ajoutant encore quarante ans,

Puis deux encore sur toute cette somme;

Tout cela complait la date [13] :

Moi Constantin, homme entrepris,

Qui suis indigne serviteur du Seigneur:

J'ai été élevé à Rome-Cla.

se trouvait le grand siège des Arméniens,

Et le digne chef

Etait assis sur le trône patriarcal,

Le père de tous les Arméniens

Et le représentant de Jésus;

Successeur de la troupe de S. Grégoire

L'Illuminateur de l'Arménie:

Duquel ont commencé et sont arrivés jusqu'à nous,

Les saints Catholicos.

Ils ont été aussi mes protecteurs,

Me soignant avec leur paternelle tendresse.

Là-bas, au dessus de mes mérites,

Me fut confiée la dignité

De m'asseoir sur le siége de l'inspection,

Avec mon bâton de pasteur.

Or, par la faveur divine

Et selon que les événements ont disposé,

Sous le règne du pieux Héthoum,

Qui était instruit dans les choses sacrées,

J'ai été élevé au siège éminent

De la direction du couvent de Sghévra;

Je fus institué inspecteur de cette grande maison

Et de son propre diocèse.

Mais plût à Dieu qu'ici eût fini

Le récit de mon histoire.

Hélas! quel grand malheur

Qui a touché toute la nation arménienne!

Un an avant cette date

Rome-Cla fut prise;

Les habitants naturels de ce lieu

Furent emmenés en esclavage;

Les églises à la ressemblance céleste

Furent foulées aux pieds par les infidèles,

Et les objets sacrés et divins,

Furent profanés par les mains des impurs.

Les saints livres théologaux

Furent éparpillés avec mépris;

Les saints patriarches et leurs attachés,

Furent emmenés esclaves en terre arabe.

Hélas ! hélas ! mille fois hélas!

Pour la grande calamité qui nous surprit.

Je suis accablé de douleur à la pensée des saints objets

Au milieu desquels j'ai été élevé depuis mon enfance;

Ma pensée y revient toujours.

Je reste abîmèe, dans le plus triste deuil.

Mais m'étant établi à Sghevra,

Mon grand desir me poussa

De placer ces reliques dans un etat de repos;

Dans l'espoir d'obtenir pour moi un grand bien,

Et pour soulagement de mon chagrin,

Qui tourmente toujours ma pensée.

Or, cette magnifique châsse

Qui sert pour contenir des saintes reliques,

Je l'ai faite executeur merveilleusement

D'argent pur et precieux,

Entrelacé avec de l'or flamboyant;

Embelli avec d'admirables ornements

D'une structure très élégante,

Entremêlé avec des pierres précieuses,

Semblable à l'éphod d'Aaron.

Que pour les saints restes ici recueillis

Ceci puisse servir de lieu de repos.

Comme un monument raisonnable

Pour la divulgation de la victoire des Saints.

Les reliques Saintes qui furent placées ici

Et qui sont au dessus de toutes les choses matérielles,

Sont des remèdes pour les souffrances,

Et un grand secours pour le genre humain;

Elles chassent les esprits malins,

Et invitent les anges pour nous garder.

Et moi m'appuyant sur cela,

J'ai fait exécuter ce modeste sanctuaire,

Comme offrande agréable aux Saints;

Et comme un bon souvenir de moi,

Aussi bien que de mes parents,

Et de toute ma nation entière:

Que je donne comme un don sacré

Pour la gloire de la rédemption du Sauveur,

Dans le temple de sa sainteté,

Du saint Sauveur de Sghévra.

Que Dieu le conserve pour longtemps

Dans une solidité inébranlable:

Et qu'il prenne toute l'Arménie

Dans son sein paternel!

Or, j'exprime ici mon désir,

Et je parle en suppliant,

En m'adressant à tout le monde,

En les priant ardemment.

Vous qui voyez ce Reliquaire

Et qui approchez des trésors qui y sont renfermés: Que par vos ferventes prières

Et par vos sollicitations suppliantes,

Héthoum, roi de la nation arménienne,

Soit couronné avec les Saints dans le paradis;

Et pour les bienfaits qui j'ai reçus de lui,

Qu'il en puisse recevoir la récompense. Amen.

 

Le fond du reliquaire est formé par une planche de bois, couverte de lames d'argent doré, d'une longueur de 0, 63 m. sur 0, 35 m. de large et sur 0, 075 de profondeur. Tout le dos de la planche est occupé par l'inscription, dont les lettres mesurent 0, 015 m. de grandeur.

La face du reliquaire a deux portes à deux battant. La première de ces portes se trouve dépouillée de tous ses ornements à la partie extérieure, recouverte actuellement d'un papier doré; mais la surface intérieure est encore garnie d'une lame d'argent ornée de figures et de lettres. La seconde porte qui cache la niche interne, est également doublée d'argent travaillé, comme nous l'examinerons plus bas.

Le sujet principal représenté sur les deux battants de la porte extérieure, est l'Annonciation de la Vierge. Sur le battant gauche (en faisant face au reliquaire) se trouve l'ange Gabriel, comme le témoigne au reste une inscription. Au-dessus et au-dessous de l'ange se trouvent des médaillons: le premier représente S. Jean, le second le roi David. La bordure est couverte d'inscriptions avec des lettres en relief. Chacune de ces inscriptions se rapporte au caractère du saint. Ainsi celle de S. Jean, porte: « Voici l'agneau de Dieu, qui ôte les péchés»; celle de l'ange Gabriel: « Ave, le Seigneur est avec toi; tu es bénie entre toutes les femmes; voici que l'Esprit-Saint viendra en toi »; enfin celle de David: « Ecoute, ô ma fille, et vois; basse tes oreilles ». Sur l'autre battant celui de droite, la figure centrale représente la Vierge, assise sur un siège sans dossier. Autour de l'auréole sont inscrits ces mots: « Mère de Dieu », et autour de la bordure: « Voici je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon tes paroles ». Il y a également deux médaillons; celui du haut représente Saint Etienne: il tient un encensoir de la main droite et porte de la gauche une pierre sur laquelle se trouve gravé son nom. Tout autour du bord du médaillon sont écrites les paroles du Saint: « Je vois les deux ouverts et le Fils de l'homme à la droite de Dieu ». Le médaillon inférieur représente le roi Héthoum, en manteau, dans l'attitude de prière; l'inscription du médaillon contient le nom et les titres du personnage: Héthoum, roi des Arméniens. (p. 115. Héthoum II. roi des Arméniens) Une autre inscription gravée à partir du cercle du médaillon, comme si elle sortait de la bouche du roi, et continuée sur la bordure de la porte, contient la prière du roi, composée de quatre vers:

 

Intercédez pour moi, Mère de Dieu,

Auprès de votre Fils merveilleusement.

Afin qu'il se réconcilie

Avec Héthoum son serviteur.

 

La partie supérieure des panneaux, actuellement sans inscriptions, devait pourtant en porter; il semble même qu'on en distingue encore quelques traces.

La seconde porte interne est plus ornée et contient surtout beaucoup plus d'inscriptions que la précédente. Le panneau gauche a pour motif principal l'image de Saint Grégoire l'Illuminateur; dans les deux médaillons, Saint Pierre et Saint Eustache. Sur le panneau droit, en face de Saint Grégoire, Saint Thaddé, avec la main levée pour bénir; puis dans le médaillon, Saint Paul à la tête allongée, avec l'épée: au dessous Saint Vartan, (p. 114. S. Vartan) le célèbre général arménien, portant également une épée dégainée. Sur la bordure des panneaux se trouvent gravées, de chaque côté, huit couples de vers. D'un côté, les premières lettres de chaque vers forment le nom de Héthoum roi, de l'autre, celui de Constantin.

L'inscription commence en haut, sur la bordure du milieu, sur le panneau droit, au dessous de la petite croix que l'on y remarque. Elle indique les noms de tous les Saints dont il y avait des reliques dans le reliquaire. Au-dessus de cette deuxième porte, en dehors, se trouvent également deux médaillons. Celui de gauche représente, S. Hypéric; celui de droite qui ne porte aucun nom, doit représenter assurément saint Pierre, comme l'indique la forme de son front et la clef qu'il porte en main. Pourquoi deux fois l'images de saint Pierre? Il doit y avoir eu certainement une confusion de la part de l'artiste ou de l'un des graveurs. En effet ce médaillon devait assurément faire pendant à celui de Saint Paul, et l'autre, bien qu'il porte l'inscription «Saint Pierre», représente un autre personnage, comme l'indique sa mine et sa mise princière, et devait se trouver en face de Hypéric. Ce doit être saint Varus, comme cela est indiqué dans une relation du reliquaire.

Un peu au-dessous de ces deux médaillons qui ornent le frontispice, on trouve d'un côté le nom de S. Serge et de l'autre celui de S. Baccus. Enfin chaque côté du reliquaire est orné de neuf images de Saints indiqués par leurs noms.

Sur l'un des côtés

 

S. Jacques S. Isaïe (prophète)

S. Judas S. Elie (prophète)

S. Thomas S. Denis, le Théologue

S. Simoun S. Chrysostome

 

Sur l'autre côté

 

S. André S. Moïse

S. Philippe S. Siméon

S. Barthélemi S. Nicolas

S. Simon S. Ignace

S. Basile

 

Voilà tout ce qui reste actuellement de ce célèbre reliquaire, dépouillé non seulement des ornements et des pierres précieuses dont l'avait orné le Catholicos, mais encore des reliques des Saints. Par les noms qui nous sont restés, nous pouvons conclure que des reliques précieuses et rares n'y manquaient pas; par exemple, celles des Prophètes. Non contents d'en avoir enlevé tous les ornements précieux, les profanateurs de ces reliques ont encore ruiné quelques inscriptions; ils ont été plus loin encore, après avoir tout dispersé, ils ont cloué les fermetures internes avec la pièce de bois qui forme le fond du reliquaire et sur laquelle se trouvaient, si non toutes, du moins la plus grande partie des reliques. Il y a un demi-siècle on voyait encore sur la face interne une plaque d'argent portant l'image de Jésus crucifié, sur laquelle étaient fixées les reliques. La croix portait à sa partie supérieure l'inscription ordinaire: Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. (p. 113. Image de Jésus crucifié qui existait sur une plaque d'argent)

Selon les indications d'un mémoire, trouvé dans les archives du Vatican, et dont on ignore la date précise, les reliques des Saints étaient disposées tout autour et leurs noms souscrits; mais à l'époque fut rédigé ce mémoire, les noms de plusieurs se trouvaient déjà en partie effacés ou détruits. Du côté droit du crucifix on pouvait encore lire en haut:

 

Jean Thomas

Jacques Barthélemi

 

Du côté gauche en haut on ne voyait plus de lettres, et en bas on lisait ces noms:

 

Thomas Cyriaque

Philippe Jacquovic

Eustrade Jacques l'Intercis

Vartan  Mercure

Artémis Vahan

Christophore Andrée le Général

 

Du côté gauche on ne voyait plus que trois noms, sous le bras du crucifix.

 

Grégoire. Phéphon (Fébronie?) Jacques.

 

Sous le piédestal de la croix était gravé le nom d'Etienne. Je ne crois pas que ce soit le nom du Protomartyr, je pense plutôt que c'est le nom de l'artiste, car nous ne trouvons, à part cela, aucune marque ni aucun témoignage relatif à l'auteur et au lieu fut construit ce reliquaire. Il est probable qu'il fut construit si non à l'étranger dans le diocèse de Sghévra ou à Sis, sous la surveillance de deux pieux et honorables personnages: le Catholicos Constantin et le roi Héthoum II.

L'époque de sa translation en Italie, et les événements qui l'amenèrent nous sont tout à fait inconnus. Fut-il apporté par les religieux de Sghévra eux-mêmes dans leur fuite, lors de l'invasion et de la conquête de Sissouan par les Egyptiens? Fut-il envoyé comme présent par nos princes aux occidentaux? Fut-il arraché des mains mêmes de ceux qui avaient pillé le couvent? Autant d'hypothèses possibles. Nous ne savons pas même en quel endroit il fut déposé premièrement, si ce fut à Rome ou ailleurs.

C'est au commencement de notre siècle, en 1828, qu'un diplomate arménien, M. r Asdouadzadour (Dieudonné) Papazian, le trouva dans le couvent des Dominicains de Bosco, près d'Alexandrie, en Piémont. Il constata que ce couvent avait été bâti durant le Pontificat de Pie V (1566-72), et que ce même pape leur avait envoyé beaucoup de livres, de vases sacrés et d'ornements d'église; parmi lesquels on peut supposer aussi le reliquaire de Sghévra [14] .


[1] Ce sont les paroles de Samuel de Sghévra; témoignage rapporté plusieurs fois dans le mémoire des Commentaires des Psaumes

[2] Son père n'est pas cité, mais nous le présumons d'une famille noble.

[3] Ce Basile a laissé la trace de son écriture avec ce petit mémoire, à la fin du livre des Scolies de S. Cyrille, que nous avons cité en parlant des manuscrits autographes de S. Nersès de Lambroun: «En 1175 fut composé ce livre divin par Nersès, souvenez-vous de Basile, après l'auteur du livre».

[4] Quoiqu'il ne nous soit parvenu  que  des débris de mémoires et non pas d'ouvrages de ce jeune Nersès, mais ils nous montrent suffisamment sa piété, ses pensées profondes et son noble amour; et comme nous avons présumé que son oncle s'était pourvu du savoir auprès de Nersès le Gracieux, de même j'estime que son neveu s'est illuminé par les soins de Nersès de Lambroun; ils ont ainsi formé une admirable triade des Nersès.

[5] Nersès de Lambroun aussi fut de cet avis, quand il écrivit son premier discours sur l'Assomption de la Sainte Vierge.

[6] Dans cette prière en plusieurs endroits il change la prose en vers, suivant le style de Nersès de Lambroun; il se réduit ainsi à faire une composition forcée et affectée; quelques idées mêmes le sont aussi.

[7] Grégoire en cela fut devancé par son précepteur S. Nersès, qui avait écrit dans son Commentaire d'Amos: «Le Pauvre Jean, la tourterelle du désert, fut donné par Hérode comme prix des bottines de Hérodiate, pour sa danse».

[8] La même année, son frère, l'archevêque Jean, écrivant le mémoire d'un évangile, dit pour la comtesse: «La bienveillante Cala-Marie, Comtesse Japhoun, offrit à moi, son frère cadet, le parchemin de cette copie».

[9] Pendant que Georges s'occupait dans son pèlerinage à écrire en prose et en vers, il apprit les désastres de sa patrie, l'invasion des Egyptiens, le combat malheureux de Mari, avec une série d'autres funestes événements; ainsi il inséra le mémoire suivant: «Hélas! la douleur de mon cœur me contraint d'interrompre l'histoire; car l'année passée (1266), pendant que j'étais en train d'écrire ce livre, le sultan d'Egypte avec une grande armée ... comme par la colère de Dieu, pénétra dans le territoire de la Cilicie» etc; et il résume l'événement en quinze autres lignes.

[10] Le plus ancien Hymnaire de Khelig qui me soit connu est daté de 1309. Il est aussi appelé dans une copie, Hymnaire de Khoul Baba.

[11] Parmi ses élèves est aussi mentionné le Docteur Mardiros, en 1303.

[12] Treize ans avant cette traduction.

[13] 1293 de notre ère.

[14] Papazian avait déjà fait dessiner et publier les figures. Quant au mémoire et aux autres inscriptions, il les fit publier au couvent de S. Lazare en 1828, le 6 avril. De même il avait  préparé en langue italienne la description du reliquaire, ainsi que de quelques autres antiquités arméniennes; mais il gardait tout cela en secret, dans l'attente de trouver le moment favorable pour la publication. Quand en 1853, j'ai eu l'occasion de le voir à Turin et d'obtenir de lui un exemplaire de ces figures, tout en me les donnant il me recommanda de ne point rendre publique la chose. Après sa mort tous ses écrits furent déposés dans la bibliothèque royale de Turin, et c'est ainsi que l'existence du précieux reliquaire tomba dans l'oubli. Il paraît que lorsque en Italie les couvents furent supprimés et que les religieux furent dispersés, ce reliquaire tomba dans des mains avares qui le dépouillèrent de ses ornements. Il est probable que les reliques des Saints furent enlevées par les religieux mêmes, afin qu'elles ne tombassent aux mains des profanateurs. C'est Basilewsky, le riche amateur d'antiquités, qui l'acheta à Paris, en 1880.

C'est par une heureuse coïncidence, que lorsque j'avais à peine terminée la description du couvent de Sghévra, M. r A. Carrière, bibliothécaire de l'Ecole des langues orientales à Paris (et en même temps successeur de Dulaurier comme professeur de la langue arménienne), me demanda des renseignements sur le couvent de Sghévra et sur le mémoire de ce reliquaire, dont il m'annonçait la découverte, et en même temps il me donnait avis qu'il allait publier une notice, en y ajoutant une traduction française du mémoire de Constantin. L'intention de M. r A. Carrière était d'envoyer tout ceci, et encore d'autres de ses écrits, au Congrès des antiquaires qui allait se réunir, dans la même année, (1883), dans la ville de Leyde, en Hollande. Nous étant donné mutuellement des informations sur ce sujet, M. r Carrière publia son ouvrage sous le titre: «Inscriptions d'un reliquaire arménien, de la collection Basilewski, publiées et traduites par A. Carrière. » Il fut inséré dans le livre intilulé «Mélanges Orientaux», que les professeurs de l'Ecole des langues publièrent (p. 169-213) et présentèrent au Congrès de Leyde.

En même temps le savant directeur de la bibliothèque de Turin, Vincenzo Promis, rédigea toutes les notices préparées par notre Dieudonné Papazian, et les publia, avec les figures du reliquaire, dans l'ordre des mémoires de l'Académie royale de Turin, sous le titre, «Reliquario armeno già esistente nel Convento del Bosco presso Alessandria in Piemonte. Brevi cenni di Vincenzo Promis, 1883. »

Enfin le tour est à nous de publier nos recherches avec les figures des portes du reliquaire, que les susdits professeurs firent photographier, et dont l'éditeur Ernest Leroux a eu l'obligeance de nous donner autant d'exemplaires que nous en avons désiré. La figure, comme on peut le présumer en considérant les mesures exposées plus haut, est reduite à un tiers de sa grandeur naturelle; les deux figures, celles de Vartan et de Héthoum, sont dans leur grandeur réelle, d'où on pourrait s'imaginer la grandeur du reliquaire. Quant à la figure du crucifix, que nous avons tirée des dessins de Papazian, elle est plus petite que les reproductions photographiques.