Sisouan ou lArméno-Cilicie

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Թեմա

  Plus les Arméniens s'enrichissaient par cet immense trafic avec les Occidentaux et plus leurs relations avec ceux-ci devenaient intimes, plus s'envenimait la haine des Egyptiens contre eux. La nouvelle reine de la Mer arménienne, Ayas, commençait à faire une terrible concurrence à Alexandrie. Les sultans essayèrent mainte fois d'entraver sa prospérité, ou de s'en emparer par les armes, ou au moins de conclure des traités qui leur eussent donné droit à des parts de bénéfices.

Ce fut d'abord le sultan Bentoukhtar qui dévasta Ayas, pendant les années 1274 et 1275. Deux mille habitants de cette ville ayant voulu se sauver sur des vaisseaux, furent engloutis dans un naufrage. Quelques années plus tard, vers la fin de 1281, le sultan Kélaoun-Mansur, envahit le territoire d'Ayas ou permit aux Turcomans et aux Kurdes d'y faire une incursion, enhardi par la victoire qu'il avait remportée le 30 octobre, devant Hems, sur les Tartares dont les Arméniens étaient des alliés. A l'approche de l'ennemi qui dévastait tout, les habitants d'Ayas se retirèrent dans le fort de mer de leur ville, qu'un historien appelle la Nouvelle forteresse [1] ; mais le pays fut entièrement saccagé. Gomme les envahisseurs s'en retournaient avec un grand butin vers les régions de Thil Hamdoun, les Arméniens, embusqués dans les défilés, tombèrent sur eux et non seulement leur arrachèrent leur butin, mais les mirent en pièces, et envoyèrent au Khan Abagha les armes de leurs ennemis communs, ainsi que leurs têtes non rasées [2] . En même temps, les chrétiens alliés des Arméniens, ayant appris que la ville d'Ayas était en grand péril, dépêchèrent à leur secours cent Chevaliers; mais j'ignore s'ils arrivèrent à temps et s'ils firent quelque chose.

Vingt ans après, le 19 juillet 1305, au dire du continuateur de l'historien Sempad, «l'armée arménienne et le baron des Grecs Khazandjoukh, (gouverneur des Tartares), taillèrent en pièces, près d'Ayas, l'armée égyptienne qui avait une cavalerie de 14, 000 hommes». Selon d'autres, ces cavaliers n'étaient qu'au nombre de sept mille. Après ce hardi coup de main Héthoum II, celui qui plus tard devint religieux, s'excusa auprès du sultan, l'apaisa et fit si bien qu'il l'amena à conclure la paix.

Quinze ans plus tard, en 1320, «il y eut des troubles; car des troupes égyptiennes dévastèrent la Cilicie, et les soldats arméniens mirent en pièces les soldats égyptiens près de Parikarg(?) et aux alentours de Ayas». La même année, le roi Ochine vint à mourir, et ce fut le jeune prince Léon IV qui lui succéda; alors les Egyptiens firent, à trois ou quatre reprises, des invasions dans différentes régions du pays de Sissouan. Deux ans après, pendant le mois d'avril 1322, renforcés par le Tartare Dimourdache et les Turcs, ils arrivèrent comme un ouragan et se ruèrent sur Ayas, avec une armée de 30, 000 hommes, ainsi que le rapporte le pape Jean [3] , et, après un siège rigoureux, ils s'emparèrent du fort de terre. Le fort de mer ne fut pris, le 23 avril, qu'après une lutte acharnée et bien des assauts; car ce château, que les historiens, arabes appellent Atlas, avait selon leur propre dire, des bastions épais de douze aunes, et des portes de bronze doublées de plomb.

Un de nos chroniqueurs écrit à ce propos, en parlant des Egyptiens: «Ils vinrent avec beaucoup d'hommes dans le pays des Arméniens, et, après avoir saccagé la grande et célèbre ville d' Aegéas, ils mirent le feu au fort. Ils en emmenèrent un grand nombre de chrétiens et passèrent le reste au fil de l'épée». Cependant bien des gens d'Ayas purent s'échapper et allèrent se réfugier à Chypre, en s'embarquant sur des vaisseaux chypriotes, que le roi Henri avait envoyés à leur secours, sans vouloir se rappeler qu'il avait naguère été le captif et le prisonnier des Arméniens. L'auteur de la fin de l'histoire de Sempad dit brièvement: «Ils assiégèrent (Ayas) et occupèrent le mina (le port) [4] ; o ù ils firent prisonniers beaucoup de chrétiens». Un autre chroniqueur contemporain dit également en quelques mots, mais plus exactement: «Dans le mois d'avril, les troupes du sultan d'Egypte pillèrent le mina d'Ayas, et, douze jours après, le fort Djezor, Ճզոր ». Il n'écrit pas ce dernier mot tout entier, et je pense qu'il veut signifier l'île par le mot arabe djéziré.

Nersès Balon, historien et traducteur de cette époque, fait un récit plus détaillé de la prise d'Ayas, bien qu'il n'y ait pas beaucoup d'ordre dans tout ce qu'il raconte: «Après la mort du pieux roi d'Arménie, Ochine... Damourdache, à la tête de plus de trente mille cavaliers et de nombreux fantassins, c'est-à-dire avec toute son armée, entra par force dans le pays d'Arménie, en Cilicie, tua, pilla et se fit un immense butin. Malgré ses efforts pour se rendre maître de quelques forteresses, il ne put y réussir. Toutefois ce Tartare eut à essuyer bien des pertes de la part des Arméniens, au passage des défilés, et si Damourdache n'avait pas dit: Je viens en ami et pour rendre une visite, et si les Arméniens n'avaient pas eu peur de les attaquer ouvertement, ils les auraient tous exterminés. Damourdache parvint donc à s'échapper des mains des Arméniens; comme on était en hiver, mais que le printemps approchait, vers le 20 du mois d'avril, l'armée du sultan, qui comptait 40, 000 cavaliers et autant de fantassins, entra dans le pays des Arméniens et se dirigea sur la ville d'Egéa, qui est Ayas. Le lendemain, jour de la Saint-Georges, le 23 avril, ils s'emparèrent des forts du mina; car la mer s'était retirée et l'eau était basse, et les Arabes, qui étaient venus du côté de la mer, coupèrent le chemin qui conduisait dans le fort intérieur; aussi personne ne pouvait passer de ce côté; ils firent donc un grand nombre de prisonniers et prirent un immense butin. Ensuite ils assiégèrent le donjon du château, dressèrent des balistes et le détruisirent complètement. Ayant abattu toutes les portes et les betchkaïats (bu betchknutes) [5] de la ville, ils en firent un pont qui s'avançait dans la mer, jusqu'auprès du fort, et de ils lancèrent des flèches ardentes (rougies au feu) sur les hommes qui se laissaient voir sur les crénaux ou aux portes; aussi le combat fut-il meurtrier des deux côtés. Le roi de Chypre envoya neuf galères au secours (des assiégés), mais elles causèrent plutôt leur perte qu'elles ne servirent à les sauver, car tous ceux qui s'enfuyaient du fort, ces galères les recevaient avec tout ce qu'ils emportaient; si bien qu'il ne resta plus aucun des habitants dans la forteresse, car tous s'étaient réfugiés avec leurs biens sur les vaisseaux. En même temps que tout cela s'accomplissait, pendant la nuit, ils mirent le feu au fort, l'abandonnèrent et gagnèrent le large. C'est ainsi qu'Ayas, avec ses deux châteaux, tomba aux mains des Arabes. La triste nouvelle en étant parvenue au pape Jean, il envoya trente mille florins d'or pour reconstruire les châteaux d'Ayas. Les Arméniens ayant reçu cette somme et y ayant ajouté encore beaucoup, réédifièrent leurs remparts, les rendant plus solides et plus hauts encore qu'auparavant». Mais seize ans plus tard, dans le cours de 1340, les Arabes revinrent, plus menaçants, pour exterminer les Arméniens. Ceux-ci effrayés livrèrent facilement la ville d'Ayas, toutes les forteresses et le pays qui était de leur côté (c'est à dire au delà du fleuve Djahan)».

Le même chroniqueur ajoute autre part à propos des sommes qu'avait envoyées le Pape: «Le même pape Jean, lui et son collège de cardinaux se cotisèrent entre eux; les cardinaux versèrent ensemble douze mille florins et le pape dix-huit mille, ce qui fit trente mille, que le pape envoya pour la reconstruction d'Ayas. Ce que les Arméniens exécutèrent: ils reconstruisirent le fort d'Ayas plus fort et plus beau». Dans un autre manuscrit du même historien, il est dit plus clairement: «Le 23 avril, ils (les Egyptiens) s'emparèrent du fort, du mina (du port) et de la ville d'Ayas, et firent un grand nombre de prisonniers; après 23 jours (de siège), ils se rendirent maîtres du fort de la mer, que les Chrétiens avaient abandonné en s'enfuyant. Deux ans après cela les Arméniens et les Arabes firent la paix».

Le docteur Basile du couvent de Macheguévor, qui écrivait pendant ce temps ses commentaires de l'Evangile de Saint Marc, traite, dans quelques passages de ses discours, des calamités de cette époque; il voudrait en même temps ranimer le courage des Arméniens. Voici un passage remarquable de son livre, bien que nous ne sachions pas au juste de quels lieux il veut parler: «Là, une si grande multitude de fidèles furent massacrés par les infidèles, considère, combien ces lieux sont agréables à Dieu. Les forteresses d' Elia et de Djangalèse ne sont pas moins célèbres que l'église de Nicomédie, vingt mille martyrs donnèrent leur vie sur le bûcher, pour Jésus-Christ». Ne pourraît-on pas supposer que le copiste ait commis une erreur en écrivant Elia au lieu d' Egéa? Après avoir décrit la destruction et l'incendie d'Ayas, ce même auteur raconte aussi l'invasion des Turcs à Meloun ils «mirent le feu à deux forteresses et brûlèrent un grand nombre de chrétiens». Sans nous arrêter plus longtemps à ces deux nouveaux endroits, situés probablement entre Ayas et Meloun, revenons à la reine de la mer arménienne, pour déplorer sa destruction, et nous citerons les paroles du même docteur Basile qui, voulant ranimer le courage de ses compatriotes, s'écrie: «Lorsque Ayas fut prise, nous crûmes que la terre allait être bouleversée et que nous allions être tous massacrés, et nous en fûmes profondément affligés». Dans la suite de son livre, parlant de ce qui se passait un an après cette catastrophe, il dit avec plus d'énergie: «Maintenant le pays de la Cilicie paraît plus beau et plus attrayant dans son affliction..... surtout dans cette contrée se commirent tant de meurtres et de carnage, et d'où se répand à présent un parfum si odorant, que le Seigneur et Créateur de toutes choses, se complaît à cette douce odeur».

Ces paroles sont consolantes: il ne les aurait pas écrites s'il n'avait pas vu se relever au bord des flots bleus sa chère Ayas, à la réédification de laquelle ne s'était pas opposé le sultan dévastateur, Nassir. Fut-il touché du sort de cette ville? ou bien la laissa-t-il relever par intérêt ou par crainte de représailles de la part des Arméniens, dont une colonne composée de 600 hommes s'était battue trois fois dans la même journée, et avait si bien résisté à une grande troupe, que celle-ci avait été forcée d'appeler en aide les dévastateurs des forteresses  d'Ayas?.

Une autre colonne de deux cents vaillants Arméniens embusqués dans les défilés des montagnes, avait, elle aussi, tenu tête à dix-huit mille cavaliers et en avait tué plus de six mille, au dire du pape Jean, dans son bref, par lequel il exhortait les chrétiens à courir au secours des Arméniens. Non seulement le sultan Nassir permit de relever Ayas, mais il voulut contribuer de ses trésors à son relèvement. Il ne posa qu'une seule condition, celle de ne pas reconstruire le fort de mer. Il exigea en outre qu'on lui payât cent mille drams de plus pour Ayas, outre le tribut annuel du pays, qui se montait déjà à douze-cents mille drams, ou cinquante mille florins d'or. D'autres disent, qu'il exigea la moitié des revenus de la douane d'Ayas. Si cela est vrai, Ayas devait avoir alors un revenu de 200, 000 drams, ce qui me semble bien peu; je sais bien que l'argent avait alors une plus grande valeur: au cours de l'époque, cette somme représenterait 350 à 400 mille francs; mais les revenus des douanes royales, d'après ce que nous en avons dit plus haut, devaient être bien plus considérables.



[1] Castellum Novum ascenderunt in medio mari extructum.

[2] D'Ohson, Histoire des Tartares. III, 585.

[3] Lettres de Jean XXII; Liv. 20, Décembre 1322.

[4] L'éditeur Chahnazar a pris par erreur le mot mina, qui ne désigne que le port, pour la ville elle-même. Dulaurier a reproduit d'après lui cette même erreur.

[5] Ce mot turc signifie, les volets des fenêtres ou les contrevents des maisons, ou encore les bagages; il est dérivé des deux mots badja et Kincth.